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Critiques de Paul Valéry (105)
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La jeune Parque

J'ai lu une analyse de ce long poème de plusieurs pages à la suite, et je n'avais absolument pas compris et ressenti la même chose. Je ne connais pas l'écriture de Valéry, c'est seulement la deuxième œuvre de lui que je lis.

Valéry voulait peindre une âme et ses tourments, du plaisir charnel à l'angoisse et au désir de la mort mêlés. Pour moi, n'ayant aucune connaissance en psychanalyse, j'ai surtout lu une scène d'amour et d'extase, d'orgasme même :

« Mon cœur bat ! Mon cœur bat ! Mon sein brûle et m'entraîne !

Ah ! Qu'il s'enfle, se gonfle et se tende, ce dur

Très doux témoin captif de mes réseaux d'azur...

Dur en moi... mais si doux à la bouche infinie ».

Dans une première moitié, cette jeune fille célèbre la beauté de ses propres bras, de ses propres seins, elle se caresse, voire se masturbe semble-t-il puisque, au début du poème, elle est « seule sur sa couche », « maîtresse de [ses] chairs », elle « [s']enlace ». Un éventuel amant n'est ainsi pas évoqué, seul un serpent vient la mordre et la pénétrer.

Ensuite, elle appelle la mort. Mais elle l'appelle avec tant de volupté, tant de désir, que je me suis demandée si la mort n'était pas mise pour l'orgasme, cette petite mort qui fait perdre conscience de soi-même. Car la jeune fille se cherche elle-même, elle cherche son moi profond, son identité.

De ce que j'ai lu, Valéry a beaucoup écrit et ré-écrit ce poème, il pensait un moment le titrer « l'Âme ». Cela suggère bien que je n'ai pas compris ce que l'Auteur voulait dire. Néanmoins, j'ai lu un poème très sensuel écrit avec beaucoup de subtilité, même si je n'ai pas saisi toutes les images. Je pourrais regretter que le contexte antique, voire mythologique, évoqué par le titre ne soit pas assez présent : à part une allusion à une robe de lin, une autre au serpent comme animal de la Pythie, cette jeune fille pourrait être n'importe qui, n'importe où ; alors que, pour moi, la Parque renvoie au destin, aux trois soeurs de la mythologie qui filent le destin des hommes.

Je suis donc un peu passée à côté de ma lecture.
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Poésies : Album de vers anciens - Charmes - A..

Disciple de Mallarmé, donc de l'art pour l'art et de l'esthétique parnassienne, Paul Valéry fut poète officiel de la bourgeoisie française d'après la 1ère Guerre mondiale, mais aussi engagé dans la sauvegarde de l'enfance et anti-collabo manifeste durant la seconde Guerre mondiale. Surtout, grand travailleur, il s'est entraîné, sa vie durant, à la curiosité intellectuelle et, en poésie, à une recherche permanente de la précision et de la perfection formelle.

Mon 1er contact avec lui, très physique, dura 15 ans, années de collège, de lycée, puis d'études, pendant lesquelles j'écrivais sur un sous-main transparent sous lequel je pouvais lire et relire, imprimé sur papier brut souvenir du Moulin Richard de Bas, son texte "La feuille blanche". Ce contact physique prolongé avec ses mots, aux propriétés hypnotiques maintes fois vérifié, me poursuit toujours, tant dans ma crainte de la page blanche que dans l'intense et rude exigence de s'améliorer toujours...

Je lui dois donc beaucoup. Pour autant, la lecture de ce recueil m'a déçu. Il est pour moi comme un grand-père un peu froid, dont l'idéal supérieur suscite l'admiration et un sentiment d'inaccessible, mais ni la séduction ni la fraternité de la plume au lecteur, qui encouragent le commun des mortels, dont je suis, au progrès.

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La jeune Parque

Poésie trop abstraite pour que j'y entre vraiment, sauf quand ce sont des fragments d'utopies qui construisent des mondes autres, sur des îles, toujours, où la vie de l'esprit est aussi réglée que celle du corps, où l'on vend de la pensée dans des boutiques, où l'esprit prend corps. Dans "La Jeune Parque", on a l'impression que c'est le contraire : le corps prend esprit, se cherche un être, se demande qui il est et d'où il vient. Bien sûr, Valéry n'a pas le mauvais goût de répondre à ses questions, et laisse flotter un mystère, mais je reste sur le seuil, comme s'il me fallait toucher des mots plus tangibles, et comme si la pensée et la poésie devaient divorcer.

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Monsieur Teste

Attention, lecteur ou lectrice ne vous fiez pas à cette mauvaise note. Je mets une étoile non pas pour juger l'intérêt des textes de Paul Valéry mais pour mesurer mon degré de compréhension de "Monsieur Teste".

J'ai eu l'occasion de voir l'adaptation au théâtre, filmée à la Comédie-Française. Paul Valéry est mis en scène à la terrasse d'un café d'où il s'adresse aux spectateurs pour nous faire part de la grande intelligente de Monsieur Teste, un homme qu'il a rencontré par hasard. Lorsque ce dernier le rejoint, Il raconte ses cheminements mentaux sur ce qu'il est et ce qu'il n'est pas.

Comme je n'ai pas compris grand-chose, je suis allée voir à la source en tentant de lire l'essai de Paul Valéry.

Le texte est organisé en plusieurs chapitres dont une lettre de Madame Teste au narrateur qui ne m'a pas éclairée. Des questions sont posées comme Pourquoi j'aime ce que j'aime ? Pourquoi je hais ce que je hais ? mais je n'ai pas lu de réponse ni de tentative de réponse et j'ai beau avoir essayé de comprendre l'insaisissable Monsieur Teste, l'abstraction du texte le rend inaccessible.

Le livre est court mais dense en concepts et semblerait être écrit pour faire fonctionner nos méninges, les miennes ont pédalées dans le vide.





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Le cimetière marin

Long poème dans lequel Valéry exprime son amour de la mer, son envie d'être entérré à Sète et d'avoir la Méditéranée en horizon. C'est une ode à sa terre natale. Brassens reprendra l'idée et y fera référence dans La Supplique pour être entérré sur la plage de Sète.
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Le Bilan de l'intelligence

Bilan de 1935, mais que notre monde en accélération continue peut et doit encore méditer... Nous avons perdu le sens de la durée, bombardés que nous sommes sans cesse par tout, n'importe quoi et leurs contraires. La transition sentie par Valéry semble perpétuelle. Plus rien n'est stable. Tout bouge. La modernité vibre, fuit, court, s'effiloche, bâtit des chateaux de sable. Et l'intelligence? Elle subit. Certes les neurones sont excitées et les connexions se font et se défont à tire-larigot, mais la pensée, le lent travail d'élaboration d'un système d'explication du monde, fonctionne à vide. Nous croyons penser mais c'est l'air du temps qui cause dans notre cerveau. Lutter contre ce vide par l'éducation ? Oui, mais sans que le but unique de celle-ci soit le diplôme, ennemi mortel de toute vraie culture... Mais cessons là ce commentaire lui-même dans l'air du temps : il faut que je corrige les examens de mes élèves...

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La jeune Parque

"La Jeune Parque" est l'un des plus célèbres poèmes de Paul Valéry. Il me fait penser à un kaléidoscope chatoyant. Pour apprécier ces vers, il faut complètement s'affranchir d'une recherche précise de leur sens. Cette poésie - assez longue - est subtile et même obscure, mais elle sonne très bien; elle nous permet de découvrir ce qu'est la beauté des mots. Peut-être l'idéal serait de la lire (par morceaux) d'abord, puis de la réciter à haute voix. C'est alors que le plaisir d'entendre - mais non de "comprendre" rationnellement - apparait vraiment. De fait, P. Valéry en tant que digne héritier de S. Mallarmé affirmait que ses poèmes avaient seulement le sens que le lecteur leur prêtait.

Permettez-moi cette analogie: si dans la poésie on comparait Valéry à un Hugo (par exemple), la différence serait du même ordre qu'entre l'art abstrait et l'art figuratif, dans la peinture... Naturellement il n'y a pas de hiérarchie de valeur entre ces diverses catégories.
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Poésies : Album de vers anciens - Charmes - A..

Il serait difficile de définir la poésie de Valéry sans sombrer dans de fastidieuses explications. Qu’il nous suffise de savoir qu’elle est éminemment musicale, ainsi que celle son aîné et ami, Stéphane Mallarmé.

À ce propos, « Mallarmé et Valéry se rencontreront entre 1892 et le 14 juillet 1898. Mallarmé meurt subitement début septembre. Mallarmé ne doit rien à Valéry sauf une présence affectueuse —mais intermittente — et une écoute à la fois intelligente et sensible… Et Valéry, lui, se construit d’abord contre — donc aussi avec — un tel poète, une telle figure, une telle entreprise, tout en gardant intactes son admiration puis son affection » (Françoise Haffner « Sous une si grande ombre… Valéry et le fantôme de Mallarmé »).

Donc, mieux vaut, sans doute, picorer çà et là des vers contenus dans ce sublime recueil, oscillant entre la mythologie et les choses de la vie, pour reprendre un fameux titre de film…

Ainsi, au détour de notre lecture, on tombe sur des vers qui s’envolent (« La lune mince verse une lueur sacrée, / Comme une jupe d’un tissu d’argent léger ») ; d’autres qui contemplent (« Dormeuse, amas doré d’ombres et d’abandons, / Ton repos redoutable est chargé de tels dons ») ; qui aiment désespérément (« Hélas !... J’embrasse en vain l’abondante étendue... / Je n’épouse que l’onde et m’épuise éperdue / Et n’ai fait qu’irriter cette fureur d’amour / Que j’avais cru distraire en m’éloignant du jour... »), etc.

Ces vers – qui parlent autant de Sémiramis, la mythique reine de Babylone, que d’une simple fileuse –, recèlent une beauté implacable, laquelle frappe nos oreilles d’une musique langoureuse, comme ceux-ci, extraits du plus fameux poème de Valéry (« Cimetière marin »), auquel s’est amicalement et humblement frotté, plus tard, Georges Brassens dans sa « Supplique pour être enterré à la plage de Sète »: « Les cris aigus des filles chatouillées, / Les yeux, les dents, les paupières mouillées, / Le sein charmant qui joue avec le feu, / Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent, / Les derniers dons, les doigts qui les défendent, / Tout va sous terre et rentre dans le jeu ! »

Évidemment, cela demande un certain abandon de la part du lecteur, mais – et puisque c’est à la mode ! –, qu’il se permette de lâcher prise et sombre délicieusement dans cette poésie bénie (ou peut-être maudite, pour ce poète qui aime tant Narcisse, lequel les a par trop défiés !) des dieux.

Et, en arrivant au bout de ce chemin de vers, on sait enfin que : « C’est ainsi que l’on se délivre / Des ces écrits si clairs qu’on n’y trouve que soi »…



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Poésies : Album de vers anciens - Charmes - A..

Ce que j'aime chez Valéry, c'est la maîtrise absolue de la forme. Il ne propose pas une poésie lyrique. mais une poésie que je qualifierais de froide. Il me fait penser à un sculpteur de marbre très pur. du marbre de Carrare ciselé. le mot marbre revient d'ailleurs souvent dans sa poésie. Ce qui me fascine aussi dans ces mots offerts ( qui je le conçois peuvent sembler hermétiques ) c'est la liberté d'interprétation que Valéry laisse à son lecteur. La part du hasard malgré une précision d'orfèvre ! Car la plupart des vers de Valéry sont beaux en eux-mêmes ; je veux dire qu'il n'y a pas besoin de les remettre dans le contexte d'une strophe pour leur donner du sens. On leur donne le sens que l'on veut. Seul reste le son. Et du coup lorsque je lis le cimetière marin, la dormeuse, les pas ou l'aurore je dessine une histoire qui n'appartient qu'à moi même.

Et puis je découvre, ébahie, que le poète philosophe a écrit :



"Mes vers ont le sens qu'on leur prête. Celui que je leur donne ne s'ajuste qu'à moi, et n'est opposable à personne. C'est une erreur contraire à la nature de la poésie, et qui lui serait mortelle même, que de prétendre qu'à tout poème correspond un sens véritable, unique, et conforme ou identique à quelque pensée de l'auteur."

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Regards sur la mer

Voici un petit recueil d'une trentaine de page d'écrits de Paul Valéry sur la mer. Il s'agit d'un condensé de réflexions et de vignettes de l'écrivain que l'on découvre au travers d'une lecture aisée sur un petit créneau peu chronophage et qui invite à y revenir, à le garder sur soi pour le relire une nouvelle fois.

Ce regard sur la mer est celui que nous pourrions tous avoir, assis à contempler l'océan, coupé du reste du quotidien. Une mini expérience de lecture simple mais sincère à contre-courant des fastidieux essais de plusieurs centaines de pages.

Merci au Musée Paul Valéry et aux Éditions Fata Morgana.

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Charmes

Je connaissais très mal la poésie de Paul Valéry. Suite à ma lecture de "Mallarmé l'obscur", je me suis décidé à découvrir "Charmes". Ce recueil, paru en 1922, inclut certains poèmes publiés antérieurement, comme le très célèbre "Cimetière marin". Ces textes, de longueur variable, me semblent d'une grande beauté formelle; Valéry est un magicien des mots, fascinant et étrange. Mais, dans la lignée de Mallarmé, l'interprétation de sa poésie est multiforme. Ce n'est pas étonnant, puisque l'auteur a lui-même reconnu: « Mes vers ont le sens qu'on leur prête ».



Pour ma part, j'ai particulièrement apprécié "Les grenades", "Le sylphes" (courts et particulièrement accessibles), "Les Pas", et surtout "Cantique des colonnes" et "Palme"… Je me suis particulièrement concentré sur "Le Cimetière marin" qui est un plus long poème; pour en découvrir toute la richesse, je n'ai pas hésité à consulter Internet pour en trouver quelques analyses et ensuite je l'ai relu avec profit. Mais il faut reconnaître que Paul Valéry est un auteur difficile !
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Regards sur le monde actuel et autres essais

Quand un poète, écrivain et philosophe jette un regard sur le monde qui l'entoure cela donne une oeuvre lucide et visionnaire pénétrée de poésie et néanmoins fort claire. Valéry nous livre ici ses pensées particulièrement sur la décadence de l'Europe, les partis politiques, le concept de liberté, les différentes images de la France et le destin de nos "belles lettres françaises". Personnellement j'ai vraiment beaucoup aimé et je le conseille à tout amateur d'essai.

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Regards sur le monde actuel et autres essais

A priori, rien ne semble plus étranger à Paul Valéry que l’actualité politique. « Ce petit recueil se dédie de préférence aux personnes qui n’ont point de système et sont absentes des partis ; qui par là sont libres encore de douter de ce qui est douteux et de ne point rejeter ce qui ne l’est pas », écrit-il pour commencer. On sait peu de chose sur ses opinions. S’il était passablement engagé dans la vie politique au sens noble du terme, il ne l’était pas du tout dans la diffusion des opinions et après la lecture de ce livre je continue de me poser beaucoup de questions. Je comprendrais, par exemple, et j’admettrais même qu’on le range parmi les conservateurs, mais ça ne l’a pas empêché d’écrire cette phrase définitive : «Prenons garde d’entrer dans l’avenir à reculons ». « Un esprit vraiment libre ne tient guère à ses opinions », écrit-il encore.

Ces précautions prises pour dire que « Regards sur le monde actuel » n’est pas fait pour exposer des opinions mais des perceptions, ce ne sont que des « regards ». Valery n’utilise jamais (ou alors très peu, je n’en ai relevé aucun) les fameux mots en « -isme ». Il écrit sur beaucoup de sujets, sur les changements ahurissants du monde, sur la « nation », la « liberté », les dictatures, sur l’Europe, la France, dans ses aspects culturels, géographiques, historiques, sur ses rapports avec l’Orient, les colonies. Mais jamais il n’est question de mondialisme, de nationalisme, de libéralisme, de colonialisme, etc. Ces mots de théorisation idéologique n’appartiennent pas à son vocabulaire.

En m’attardant sur un seul aspect, je ne voudrais pas donner une fausse image de ces divers essais, mélange de préfaces, de conférences, de réflexions, de proses intellectuelles, de textes plus aphoristiques ou poétiques. On trouve de tout, mais il y a quand même quelques idées maîtresses qui reviennent dans plusieurs de ces écrits de l’entre-deux-guerres. Une pensée globale sur le progrès, sur le trépignement incessant du monde depuis la révolution industrielle, sur la place de plus en plus écrasante faite à l’actualité, et les dangers de se détourner complètement de l’Histoire. Sur l’importance, aussi, de penser cette Histoire différemment dans un monde devenu compliqué et imprévisible, non plus en termes d’évènements mais d’évolution, de création permanente.

Paul Valéry avait sûrement des idées toutes personnelles mais je trouve que ses perceptions sont parfois proches de celles de Walter Benjamin. Il a l’avantage d’être moins dogmatique que ce dernier.

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Le Bilan de l'intelligence

Formidable texte qui date de 1935 mais qui nous incite encore et toujours à réfléchir sur notre environnement. Valéry constate l' évolution de la société et semble parfois le déplorer. À son époque déjà , il dénonce l'apparition d'une civilisation de la vitesse voire de l'urgence au détriment de la réflexion, de la sensibilité, matière première de l'homme. C'est un texte de court, pédagogique, intelligent, dénué de cet aspect moralisateur que l'on peut parfois retrouver chez certains auteurs du début du 20e siècle.
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Le Bilan de l'intelligence

Sensibilité et intelligence



Le 16 janvier 1935, Paul Valéry donnait une conférence à l'université des Annales sous le titre “Le Bilan de l'intelligence” : laquelle conférence n'a rien perdu avec le temps de la justesse de son constat.

La parole de Valéry se déploie avec la limpidité d'un cristal de roche : le propos est lumineux en tous points et nous conduit à mieux discerner les parois de cette caverne où nous passons notre vie à jouer avec des ombres.

C'est ici que les vers de Boileau (issus de son "Art poétique") prennent leur plein sens : « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. »



Loin de tout dualisme réducteur, Paul Valéry affirme la nécessaire coexistence de la sensibilité et de l'intelligence. Si l'une vient à manquer, l'autre s'éteint aussitôt, de même que la flamme d'une bougie par manque d'oxygène. Car, sans un minimum de sensibilité, comment nous serait-il possible de “comprendre” quoi que ce soit ? Sans cette clef de voûte, nulle intelligence véritable. Allons donc boire à la source première des mots, au ruisseau de l'étymologie qui toujours désaltère et empêche à la pensée de trop s'assécher.

“Intelligence” provient du latin “intelligere”, qui signifie “connaître”. “Sensibilité” est, quant à lui, issu de “sensibilitas” qui annonce, entre autres, le “sens” et la “signification”. Nous pouvons donc voir ici l'harmonie de ces deux termes et en quoi leur mariage est pleinement légitime et pas morganatique pour deux sous ! Abolissons donc le divorce stérile imposé à ces deux notions si étroitement mêlées et laissons-les dès lors coucher dans le même lit !



En 1935 déjà, Paul Valéry nous démontrait à quel point la sensibilité avait une fâcheuse tendance à s'émousser, laissant ainsi le champ large à la barbarie sous toutes ses formes. Les totalitarismes à venir, qu'ils fussent hitlériens ou communistes, allaient douloureusement corroborer son discours. Une fois de plus, Cassandre ne fut pas écoutée.

L'autre argument fort de cette conférence concerne l'inanité des diplômes et le tort que ceux-ci ne cessent de causer à l'éveil de l'esprit ainsi qu'à sa liberté propre. Pour finir, laissons parler Paul Valéry :



« Disons-le : l'enseignement a pour objectif réel, le "diplôme". Je n'hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l'ennemi mortel de la culture. Plus les diplômes ont pris d'importance dans la vie (et cette importance n'a fait que croître à cause des circonstances économiques), plus le rendement de l'enseignement a été faible. Plus le contrôle s'est exercé, s'est multiplié, plus les résultats ont été mauvais. […] du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt s'organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens. le but de l'enseignement n'étant plus la formation de l'esprit, mais l'acquisition du diplôme, c'est le minimum exigible qui devient l'objet des études. » (p. 43-45)



« Enfin, la question si difficile et si controversée des rapports entre l'individu et l'État se pose : l'État, c'est-à-dire l'organisation de plus en plus précise, étroite, exacte, qui prend à l'individu toute la portion qu'il veut de sa liberté, de son travail, de son temps, de ses forces et, en somme, de sa vie, pour lui donner… Mais quoi lui donner ? Pour lui donner de quoi jouir du reste, développer ce reste ?... Ce sont des parts bien difficiles à déterminer. Il semble que l'État actuellement l'emporte et que sa puissance tende à absorber presque entièrement l'individu.

Mais l'individu, c'est aussi la liberté de l'esprit. Or, nous avons vu que cette liberté (dans son sens le plus élevé) devient illusoire par le seul effet de la vie moderne. Nous sommes suggestionnés, harcelés, abêtis, en proie à toutes les contradictions, à toutes les dissonances qui déchirent le milieu de la civilisation actuelle. L'individu est déjà compromis avant même que l'État l'ait entièrement assimilé. » (p. 58-59)



© Thibault Marconnet

le 10 septembre 2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Degas Danse Dessin

Paul Valéry – alors âgé de 25 ans - avait rencontré Edgar Degas (1834-1917) en 1896 chez l’ingénieur et peintre Henri Rouart. Ce livre-hommage – une suite de considérations tendres et respectueuses sur la vie et l’art du peintre, le mouvement, la peinture, la philosophie, la danse - lui a été commandé par Ambroise Vollard au tournant des années 30 mais publié seulement en 1936.

DDD est une réflexion universelle sur la création. Elle occupe un tout petit espace dans l’œuvre protéïforme de Paul Valéry (76 pages sur 2883 dans l’édition de la Pleiade soit 2,67% !), un texte court, un peu décousu, qui vaut largement la peine d’être lu. Surtout en regardant les innombrables dessins de Degas qui ont été ajoutés dans l'édition illustrée de Gallimard en 1938, ses pastels aux couleurs éclatantes, ses portraits sans complaisance.

Valéry – que Degas appelait Ange – est un vieillard nerveux, sombre presque toujours, parfois sinistre et notoirement distrait, avec de brusques fureurs ou traits d’esprit, des impulsions enfantines, des caprices … L’auteur oppose son mauvais caractère à la nature amène, délicate, délicieusement ironique de Mallarmé.

Il convient de savourer la décortication de l’acte du dessin : les danseuses, certes, mais aussi le cheval « Tout nerveusement nu dans sa robe de soie » dit Degas …Degas et ses planchers admirables : le sol est un des facteurs essentiels de la vision des choses. Degas et sa propension à dessiner la mimique, la grimace de l’effort, Degas et le sonnet – il en a écrit une vingtaine ...

Degas, fou de dessin : une passion, une discipline, l’objet d’une mystique et d’une éthique, qui se suffisaient à elles seules, une préoccupation souveraine qui abolissait toutes les autres affaires, une occasion de problèmes perpétuels et précis qui le délivrait de toutes autres curiosités. Pour Degas, « Le Dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme ».

A lire par tous ceux qui se passionnent pour la peinture, et qui redécouvriront un texte plein de charme et de tendresse d’un auteur largement oublié aujourd’hui mais qui fut l’un des plus respecté de son temps. Et surtout, une passionnante exposition à voir actuellement au musée d'Orsay, avec la découverte des carnets de Paul Valéry, jalonnés de dessins ...
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Les Principes d'anarchie pure et appliquée

Sous forme d'un carnet, Les Principes d'an-archie pure et appliquée sont en fait des notes de Paul Valéry, prises au cours de sa vie, suivant (ou non) le fil de ses pensées. Réellement intéressant pour qui s'intéresse à l'auteur, très enrichissant pour quelqu'un qui a de l'intérêt pour l'anarchisme, et captivant pour n'importe quel curieux. Un livre que je conseille vivement. De plus, sa forme fait qu'il se lit aisément, tout en gardant l'intérêt.
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L'idée fixe

Quarante et un ans après Monsieur Teste, Valéry reprend la veine de l’éveillé critique. Il n’est plus dépressif, plutôt volubile. Il présente ses idées du jour sous la forme d’un dialogue entre Moi et Le Docteur (c’est l’époque où il fréquente Henri Mondor et écrit le Discours aux chirurgiens). La réflexion est vive, brillante, mais les échanges en ping-pong sont peu fertiles en idées. Le livre vaut surtout pour sa dernière phrase : « un homme seul est toujours en mauvaise compagnie ».
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Degas Danse Dessin

Ni une biographie, ni un ouvrage théorique, ce court texte richement illustré est une flânerie dans les souvenirs de Paul Valéry. L’auteur relate des anecdotes, des bons mots, des sentiments laissés par la fréquentation d’Edgar Degas qui fut son intime autant que son caractère absolu le permît. En effet, d’après Valéry, Degas était un artiste, une individualité, rare, complètement voué à la peinture ; rien n’avait plus d’importance que son travail, ce qui impliquait non seulement une certaine solitude mais aussi un tempérament proche de l’irascibilité. Beaucoup de souvenirs de Valéry se rapportent à des querelles ou des emportements du peintre, notamment quand on le contredisait sur la peinture. Il ne supportait d’ailleurs pas que les littérateurs s’occupent d’art (bienheureusement, du temps de leur fréquentation, Valéry avait abandonné l’écriture). L’irascibilité est le principal trait de caractère qui ressort de ce portrait, avec une pointe de naïveté. On apprendra également, peut-être, certaines choses : que Degas fut un antidreyfusard, qu’il a écrit une vingtaine de sonnets « remarquables », selon le mot même de Valéry, très élogieux (d’ailleurs j’ai personnellement appris que Valéry a lui-même dessiné, peint et sculpté ; quelques œuvres sont reproduites dans ce livre). Tous ces souvenirs permettent aussi à Paul Valéry d’effectuer quantité de digressions sur l’art et son évolution au cours du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle. Le chapitre consacré au nu m’a paru très intéressant. Celui sur la danse est original, elle y est étudiée d’une manière qu’on pourrait presque qualifier de physique (au sens scientifique du terme) : le mouvement bien sûr, mais aussi l’espace et le temps, la probabilité et le hasard. La description d’une méduse comme allégorie de la parfaite danseuse est magnifique. L’auteur évoque également l’apport de la photographie, le romantisme, le cubisme, mais surtout l’impressionnisme, qui fut, véritablement, le mouvement de rupture qui a fait basculer l’Art dans la modernité. Valéry est plutôt circonspect quant à l’Art moderne et l’impressionnisme. Il insiste beaucoup, à propos de Degas et du dessin, sur ce mystère qui existe entre le regard qui perçoit et le mouvement de la main qui reproduit, sur ce processus intellectuel qui a connu des modifications au cours du dix-neuvième siècle. Enfin, voici ce qu’il écrit sur la modernité, et qui aujourd’hui n’est plus qu’un constat banal : « Qu’il s’agisse de politique, d’économie, de manières de vivre, de divertissements, de mouvement, j’observe que l’allure de la modernité est toute celle d’une intoxication. Il nous faut augmenter la dose, ou changer de poison. Telle est la loi. » Au bout du compte, le chapitre qui concerne le plus l’art de Degas est celui où Valéry ne fait que reproduire les souvenirs d’Ernest Rouart. Mais ce livre est une jolie promenade au temps où l’on pouvait encore, en France, côtoyer de grandes individualités comme Degas, Mallarmé, ou… Valéry. Un texte très court donc, auquel l’éditeur a postérieurement ajouté un grand nombre de photographies pour donner un peu de substance au livre, ce qui a l’avantage de renforcer ce sentiment de flânerie dans un temps révolu.
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Introduction à la méthode de Léonard de Vinci

Paul Valéry a publié l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci en 1894. Il est revenu dessus en 1919 pour ajouter quelques approfondissements. Enfin, ce livre contient également une préface écrite en 1929, sous la forme d’une lettre intitulée Léonard et les philosophes. Ultime révision, il a corrigé et précisé l’ensemble de ces trois parties par des commentaires, écrits apparemment en 1930, que l’on retrouve dans les marges du livre.

L’essai originel n’a rien à voir avec une biographie et il n’est même fait mention qu’évasivement des œuvres du maître florentin. Cet essai a plutôt un intérêt philosophique, celui d’une étude sur le fonctionnement de la conscience humaine. Comment l’homme perçoit les formes et les mouvements, quels rôles jouent le temps et l’espace, à quoi servent les analogies et les métaphores dans le langage, à quel moment l’imagination succède à la perception, la production à la compréhension et finalement qu’est-ce que la création ? Mais Paul Valéry préfère employer le terme de construire plutôt que de créer. Construire, trouver de nouvelles possibilités, de nouvelles combinaisons, faire des liens, pousser l’intelligence au-delà de ses limites jusqu’à l’imagination.

Quinze ans s’étaient écoulés lorsqu’en 1919 Valéry rajouta Note et digression. Il y précise ce qu’il a tenté de faire dans cet essai et à quel point sa situation personnelle, sa stérilité poétique et ses aspirations, étaient liées aux réflexions qu’il avait menées à cette époque sur la conscience humaine. Cet addendum est moins aride que l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, même s’il est toujours beaucoup question de philosophie, notamment de la vision naturaliste qu’avait Léonard de la vie, de la mort et de l’amour. Tout cela aboutissant à une pensée de Valéry sur le Moi très épurée. Des réflexions passionnantes sur l’identité, la personnalité, la conscience de soi et l’universalité.

Dans Léonard et les philosophes, il est plus étroitement question de l’esthétique, de son évolution à travers les temps, de son impossibilité. Mais il aborde également l’éthique ou la métaphysique et le travail des philosophes en général. Sans porter de jugement, il analyse la situation de la pensée au début du vingtième siècle, les insuffisances du langage verbal et, finalement, assimile les philosophes à des artistes. C’est d’ailleurs une constante de ce livre, rechercher ce qui relie le scientifique et l’artiste, le savant et le créateur, les connaissances et les possibilités, l’universel et le personnel, leur complétude. Ce que Léonard de Vinci - architecte, peintre, ingénieur, anatomiste - représente parfaitement.

Paul Valéry est un écrivain extrêmement précis. Il y a dans son écriture une aisance crispée, une subtilité qui ne se trouve jamais assez subtile, qui rend chaque mot écrit par lui précieux. Cette conscience exacerbée le pousse dans une dialectique dont la résolution ne peut que demander un certain consentement du lecteur. L’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci baigne donc dans une vague philosophie pourtant complexe. On n’y trouve aucune anecdote biographique. Même les œuvres sont à peine évoquées, c’est seulement le processus créatif de Léonard qui a intéressé Paul Valéry, en ce qu’il reflétait son propre questionnement.
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