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Critiques de Paul Valéry (105)
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Monsieur Teste

Pas facile de lire Monsieur Teste, de comprendre ses mots au moment de l'endormissement. C'est compliqué un Monsieur Teste. Vous n'imaginez pas... Mais pour autant quel bonheur de vivre avec lui. On ne sait jamais ce qu'il va dire, ni s'il va dire quelque chose. On le voit plonger dans ses pensées, entrer dans son moi intérieur et on imagine toutes ces bulles de pensées s'entrechoquer ou s'élever vers ...un horizon qui ne m'est pas accessible. Parce qu'il est unique et seul. Il n'apprécie pas sa propre pensée d'après « l'expression de celle des autres ». Mais chez moi, « il y a une belle partie de l'âme qui peut jouir sans comprendre ». Ma vie est « nulle et utile ; la sienne, toute en habitudes et en absence. »



« Mais je vous avoue que rien ne m'attache plus à lui que cette incertitude de son humeur. Après tout, je suis bien heureuse de ne point trop le comprendre, de ne point deviner chaque jour, chaque nuit, chaque moment prochain de mon passage sur la terre. Mon âme a plus de soif d'être étonnée que de toute autre chose. L'attente, le risque, un peu de doute, l'exaltent et la vivifient bien plus que ne le fait la possession du certain. »



Si vous rencontrez Monsieur Teste, ne faites pas le détour, foncez et lisez la Lettre de Madame Émilie Teste, des mots que je trouve si beaux.



Mais que dis-je ? ...je me laisse aller... « L'expression d'un sentiment est toujours absurde. »



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Monsieur Teste

UNE BOUFFISSURE.



Publié en 1929, Monsieur teste de Paul Valéry comprend: "La soirée avec M. Teste" (1896), "Lettre d'un ami", "Lettre de Madame E. Teste", "Extraits du Log-book de M. Teste". Paul Valéry a écrit une préface à "La soirée" à l'occasion d'une traduction de cette oeuvre en Anglais. "La soirée avec M. Teste" se présente sous les aspects d'un conte philosophique, d'une note hypertrophiée qui aurait pu devenir un roman. Tout aussi bien une autobiographie intellectuelle.



Les premières pages sont traitées dans un style volontairement rèche, expéditif, avec, comme par défi, tout le matériel brut du genre: confessions. La vie sentimentale sociale, mentale, du narrateur y est exposée à la hâte et sur un rythme exemplaire: "La bêtise n'est pas mon fort. J'ai vu beaucoup d'individus; j'ai visité quelques nations; j'ai pris ma part d' entreprises diverses sans les aimer; j'ai mangé presque tous les jours; j'ai touché à des femmes. Je revois maintenant quelques centaines de visages, deux ou trois grands spectacles, et peut-être la substance de vingt livres. Je n'ai pas retenu le meilleur, ni le pire de ces choses: est resté ce qui l'a pu". Puis nous apprenons que l'auteur rêve "que les têtes les plus fortes, les inventeurs les plus sagaces, les connaisseurs le plus exactement de la pensée devaient être des inconnus, des avares, des hommes qui meurent sans avouer". A partir de là, il s'agit donc de se donner par coup d'Etat, par effet de dictature sur sa propre liberté, l'image possible d'un homme de cet ordre, d'un de ces "solitaires qui savent tout avant le monde". Cette gageure nous est présentée sous les traits familiers et quotidiennement relevés, d'un certain M. Teste, auquel Valéry prête le comportement le moins visible, le plus banal qui soit. Il nous donne quelques renseignements sur le physique de cette créature: "M. Teste avait peut-être quarante ans. Sa parole était extraordinairement rapide, et sa voix sourde. Tout s'effaçait en lui, les yeux, les mains. Il avait pourtant les épaules militaires, et le pas d'une régularité qui étonnait. Quand il parlait, il ne levait jamais un bras, ni un doigt: il avait "tué la marionnette". Il ne souriait pas, ne disait ni bonjour ni bonsoir; il semblait ne pas entendre le "comment allez-vous?" M. Teste opère tout ce qui se pense et se sent chez un homme, sans autre but que de résoudre la question: "Que peut un homme?". Il parle:"Il y a vingt ans que je n'ai plus de livres. J'ai brûlé mes papiers aussi. Je rature le vif... Je retiens ce que je veux. Mais le difficile n'est pas là. "Il est de retenir ce dont je voudrais demain"... J'ai cherché un crible machinal..." Nous le voyons à l'opéra, tournant le dos au spectacle, et seulement intéressé par les éléments contagieux qui composent la salle. Dans la rue, dans sa chambre, couché, aux prises avec "un dixième de seconde qui se montre". Avec son angoisse, et sa certitude: "Je suis étant, et me voyant. Me voyant me voir, et ainsi de suite." Enfin: "Il ronflait doucement. Un peu plus doucement je pris la bougie, je sortis à pas de loup".



M. Teste est une mécanique extraordinairement bien réglée, sans transcendance possible, puisqu'il est cette transcendance. Sa puissance est réduite à rien par l'absolu qu'elle implique. S'il voulait, il ferait sauter le monde. Mais que peut-il vouloir? Il a prévu tout acte, par l'opération systématique qui l'annule de lui-même. "Pourquoi M. Teste est-il impossible? -C'est son âme que cette question. Elle vous change en M. Teste", dit Valéry dans la préface. On peut se laisser aller à imaginer ce qu'eût fait l'âme allemande -ou Edgar Poe- de ce héros, de cette idole de l'esprit, placé chez Valéry sous le signe cartésien. Dans quelle nuit fantastique elle l'eût égaré pour en tirer les sons les plus inouïs!



Une fois achevée, que reste-t-il cependant de cette lecture ? On n'aura sans doute pas ajouté grand chose en rappelant, une fois de plus, que le surréaliste André Breton était capable de dire "La Soirée" par cœur, ou encore qu'André Gide y voyait une éthique, que des auteurs aussi importants que Jorge-Luis Borges y voyaient «la plus extraordinaire invention des lettres contemporaines», qu'un lecteur à la critique aussi acérée et judicieuse qu'un Georges Perros en faisait l'un de ses livres de chevet, etc.



Cette oeuvre est très certainement l'une des plus lue et appréciée des grands écrivains d'une large première moitié du XXème siècle. Pour autant, il est apparu plus sec et abrasif qu'un vent de sirocco, plus prétentieux qu'un vieux professeur polymathes dispensant son savoir universel du haut de sa chaire, plus aride et stérile que le désert d'Atacama, plus bouffi qu'un lupus mal soigné...



Nul doute que le créateur de "Le Cimetière marin" était un homme d'une intelligence en tout point supérieure au commun des mortel, qu'il créa une oeuvre singulière marquant son époque et les décennies qui suivirent, il n'en demeure pas moins que son Monsieur Teste, dans lequel d'aucuns auront cru reconnaître une sorte d'autoportrait de son démiurge, est d'un ennui total, d'une arrogance rare, d'une sécheresse pénible et d'une bouffissure insupportable. Une leçon à retenir, peut-être : que cet heureusement bref objet littéraire inclassable fut appelé à devenir un livre culte de bien des auteurs -et pourtant de très bon - de ce vingtième siècle révolu en dit sans doute long de ce qu'il fut dans ses aspects les plus intellectualisant et présomptueux.



Mais plus assurément votre serviteur sera-t-il passé totalement à côté de ces rivages inhospitalier des lettres moderne ? C'est bien possible, et sans le moindre regret !

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Monsieur Teste

En parlant de Monsieur Teste, me revient à l’esprit une anecdote parmi tant d’autres. Ça se situe au niveau du cours d’étymologie, et ça nous permettra peut-être de comprendre l’évolution de l’espèce humaine.





En latin, deux mots se faisaient concurrence pour désigner la tête : « caput » et « testa ». Caput s’est spécialisé dans les éléments pleins et on le retrouve encore rescapé dans le mot « couvre-chef ». Testa s’est quant à lui dévoué pour désigner nos petites têtes sous le signe de la vacuité car, dans son sens latin, ce mot servait également à désigner les cruches vides que l’on n’emplit jamais sans finir par se retrouver avec un marais de moustiques écrasés et de crapauds copulants.





Pourquoi cette anecdote ? Peut-être parce que Monsieur Teste, sous ses abords de grand homme nietzschéen, s’embourbe en fait dans un complexe d’infériorité qui le rend pompeusement emmerdant.





Moi, je faisais pleinement confiance à Walter Benjamin et si j’en suis venue à lire ce Monsieur Teste, c’est parce que les quelques extraits que j’avais pu lire m’avaient semblé brillants. Je dois en fait le reconnaître : ils l’étaient surtout dans l’œuvre de Benjamin car ils étaient entourés des commentaires de ce dernier. Walter Benjamin, en voilà un, au moins, qui ne se donne pas des airs de vouloir gagner le prix Nobel à chaque point-virgule.





Les points positifs que je soulignerais dans ce livre sont les suivants :

- Lecture rapide : peu de chapitres, pensée peu profonde malgré des tournures parfois empruntées, peu de surprises.

- Ne nécessite aucune mémoire et, partant, aucune méthode : je vous conseille même une lecture décousue et incohérente. C’est en butinant que l’on pourra éventuellement apprécier cette daube, plutôt que de se la farcir d’un coup comme une botte de poireaux.





J’ai beau me creuser la tête, je trouve pas d’autres raisons mais enfin, puisqu’elle est vide et que nos ancêtres ont décidé de la réduire à une cruche, ceci s’explique peut-être aisément.

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La jeune Parque

Paul Valéry est d'une lecture exigeante. Sa poésie se confond avec sa pensée. La pensée de la pensée, dirais-je même. Sa poésie obéit à une exigence d'intégrité et de tolérance intellectuelle.

Elle ne se complaît pas dans un vague esthétisme, sa beauté, elle la trouve dans cette exigence.

Elle se frotte à l'expérience des limites, des remises en cause, de l'infinitude, de la pluri-sémantique et des fragments et, en cela, est résolument moderne. Elle n'obéit donc plus nécessairement aux lois fondamentales du cartésianisme: elle ne s'effraie pas, comme plus tard celle d'un Roland Barthes ou d'un Maurice Blanchot, de contenir sa propre contradiction.

La poésie de Valéry, comme celle de Mallarmé, exige la relecture, non pas une mais d'innombrables relectures qui à chaque fois mèneront les lecteur dans un nouvel îlot de contemplation et de réflexion.
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Regards sur le monde actuel et autres essais

Pour moi Paul Valéry restera le poète de "la feuille blanche", texte qui para mon sous-main de bureau durant près de dix ans. Depuis, j'ai appris à mieux connaître ce poète perfectionniste, cet écrivain précis, cet intellectuel à la culture immense et ce penseur inquiet ; avec ses qualités et ses défauts.



Dans son "Regard sur le monde actuel et autres essais", il décortique avec profondeur, finesse et précision le monde qui l'entoure en 1931. Dans une langue policée qui rappelle sa poésie, il porte en effet "des" regards à la fois inquiets et lucides sur des sujet aussi vastes que l'Histoire, la liberté de pensée, la Modernité, le développement technologique et la mondialisation, la valeur travail, l'art, l'identité de la France...



Quel travail ! Son entraînement permanent de l'esprit porte ici ses fruits... dans une somme de réflexions et une prise de recul qui, du coup les rendent formidablement contemporaines presque 90 ans plus tard ! Et cela malgré un style, une référence à certaines valeurs traditionnelles terriennes et à une "certaine idée de la France" qui donnent aussi à l'ouvrage une valeur de référence classique ou historique... Paul Valery n'est pas un surréaliste ni un avant-gardiste : il voit loin , mais reste ancré dans son temps.



Un excellent moment de lecture donc... de ceux où l'on a le sentiment, comme avec Montaigne, Hugo ou Malraux, de recueillir directement de leur bouche, dans l'intimité de notre chambre ou salon, les meilleurs fruits de l'intelligence collective humaine.

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Morceaux choisis : Prose et Poésie

Pour tout dire, il y a peu, touché dans ma vanité de lecteur à la lecture de la pièce de théâtre "Eupalinos ou l'architecte, précédé de l'âme et la danse", il m'avait, alors, semblé, pour y revenir mieux préparé, plus judicieux d'aborder l'oeuvre de Paul Valery à l'aide de quelques "Morceaux choisis".

Cet ouvrage paru, en 1930, à la Nrf, tombait donc à pic ...

Le volume s'ouvre sur de la poésie, d'abord rédigée en vers, ensuite façonnée de prose.

"Féeries", "Le bois amiral", "Les vaines danseuses", "Le cimetière marin" ...

"La jeune mère", "Comme le temps est calme", "Le bain", "Comme au bord de la mer" ...

Cette poésie, faite de puissance et d'esthétisme, construite avec plus de raison que de sentiment, pétrie de plus de grandeur que de charme, a, me semble-t-il, parfois du mal à pénétrer le coeur.

Elle laisse comme un arrière goût indéfinissable, une étrange impression de passer à côté de l'essentiel, d'avoir côtoyé un bel édifice gêné par une architecture trop classique, trop majestueuse.

Puis le volume se poursuit avec de nombreux écrits dont :

- trois fragments à la méthode de Léonard de Vinci ...

- quelques remarques extérieures ...

- un fragment du discours de réception à L Académie Française ...

- des extraits d'Eupalinos et l'âme et de la danse ...

- des essais divers sur les mythes et la mythologie, sur Bossuet, sur Montesquieu et sur Mallarmé ...

- une lettre inédite à Pierre Louys ...

- un fragment du cycle Teste ...

La table des matières ploie sous tant de richesses.

Le lecteur que je suis se sent rapetisser devant tant de force et de beauté.

La phrase est esthétique mais l'idée n'en est pas moins profonde.

L'oeuvre est exigeante et difficile d'accès.

Il faut s'y attarder, lire et relire jusqu'à ce que la lumière se fasse, si elle se fait.

La pensée de Paul Valery est une pensée moderne qui se situe, dans une Europe remodelée par la première guerre mondiale, à la charnière entre l'ancien et le nouveau monde.

La philosophie qui naît de ses mots est complexe, mais passionnante.

L'on sort de cette lecture, un peu brisé, le cerveau moulu, mais satisfait d'avoir aperçu un peu de la lumière cachée derrière les mots, d'avoir capté un peu de l'intelligence contenue dans cette si belle littérature ...
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Eupalinos ou l'Architecte (précédé de) l'Âme et ..

Publié en 1921 dans la prestigieuse collection Nrf, ce petit volume contient deux morceaux de scène, écrits, sans aucune coupure, par Paul Valéry.

Trois personnages dissertent.

Socrate, le philosophe

Phèdre, son disciple et Eryximaque, le thérapeute.

Si le philosophe semble interroger le médecin, c'est pour mieux dérouler, pour nous, le fruit de sa méditation.

Quels sont les besoins de l'homme ?

Il y en a huit : le chaud et le froid, l'abstinence et son contraire, l'air et l'eau, le repos et le mouvement.

C'est tout.

Chacune de ces choses ne pénètre le corps humain que pour nourrir ses "biens" et ses "maux".

Le reste n'est que le destin ...

Le premier morceau, "l'âme et la danse", plus court que le second, m'a paru être une réflexion philosophique sur la danse, le corps et la sexualité.

La réflexion est profonde. Elle touche à l'essentiel.

Elle vient démasquer la misère et l'ennui qu'apporte à l'homme la connaissance de sa pitoyable condition.

Eupalinos est un de ces livres devant lesquels on se sent petit.

Il est fait de philosophie, d'intelligence, d'esthétisme littéraire et de poésie.

Mais il y a, pour le lecteur, un prix à payer.

L'ensemble est très hermétique, difficile à comprendre.

La pensée de l'auteur se fait difficile à appréhender.

Paul Valery projette la richesse de ses idées et la beauté de ses mots au delà de la frontière derrière laquelle mon esprit ne perçoit plus leur sens.

En un mot, plutôt qu'en cent, je n'ai pas réussi, malgré une lecture lente et très attentionnée, à comprendre complètement ce livre.

Et lassé, je l'ai abandonné au début de sa deuxième partie où Phèdre recherche Socrate au royaume des morts, près du fleuve du Temps.

Mais j'y reviendrai, mieux armé et plus préparé ...





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Degas Danse Dessin

*****



« Un personnage singulier, grand et sévère artiste, essentiellement volontaire, d'intelligence rare, vive, fine, inquiète, qui cachait sous l'absolu des opinions et la rigueur des jugements, je ne sais quel doute de soi-même et quel désespoir de se satisfaire » - Paul Valéry



Paul Valéry ne pense pas trop de bien des biographies. Ce petit livre est un long monologue intellectuel sur un peintre qui était mort depuis une vingtaine d'années lorsque le livre est publié en 1938 chez Gallimard, après une édition précédente par Amboise Vollard. Pour donner de l'épaisseur à l'ouvrage, l'éditeur a rajouté de nombreuses photos d'archives, parfois prises par le photographe qu'était Edgar Degas. Des tableaux en noir et blanc sans grand intérêt ne sont là qu'à titre d'informations : peut-on apprécier les magnifiques pastels de Degas sans la couleur ?



Edgar Degas a 60 ans, l'écrivain 23 ans, lorsque le jeune homme se présente au 37 rue Victor Massé à Paris, demeure du peintre, dans les années 1893 ou 94.

Difficile de faire un résumé plus précis et juste du personnage Degas : « Tous les vendredis, Degas, étincelant, insupportable, anime le dîner chez Henri Rouart. Il répand l'esprit, la terreur, la gaieté. Il perce, mime, il prodigue les boutades, les apologues, les maximes, les blagues. Il abîme les gens de lettre, l'Institut, les faux ermites, les artistes qui arrivent ; cite Saint-Simon, Proudhon, Racine et les sentences bizarres de Monsieur Ingres… Son hôte, qui l'adorait, l'écoutait avec une indulgence admirative, cependant que d'autres convives, jeunes gens, vieux généraux, dames muettes, jouissaient diversement des exercices d'ironie, d'esthétique ou de violence du merveilleux faiseur de mots. »



Sans être un biographe ni un spécialiste de l'art pictural, Paul Valéry, de part son intimité avec l'artiste jusqu'à sa mort en 1917, permet aux lecteurs, à travers de nombreuses anecdotes et réflexions personnelles, de découvrir et connaître l'homme Degas, ses relations, ses conceptions sur l'art, ses techniques de travail, ses thèmes favoris.



Le peintre des danseuses : Degas aimait se glisser dans les coulisses de l'opéra pour les croquer en mouvement. Il les traquait, les capturait, les modelait comme sa « Petite danseuse de quatorze ans » dont la grâce ne cesse de nous enchanter.

Paul Valéry nous offre dans un texte une merveilleuse comparaison érotique d'une danseuse humaine avec une « grande Méduse, qui, par saccades ondulatoires de son flot de jupes festonnées, qu'elle trousse et retrousse avec une étrange et impudique insistance, se transforme en Éros ».

Le peintre aimait aussi représenter les femmes du peuple et leurs mimiques dans leur activités quotidiennes : modistes, repasseuses, blanchisseuses, femmes aux terrasses des cafés ou occupées à leur toilette.



« le cheval marche sur les pointes. Nul animal ne tient de la première danseuse, de l'étoile du corps de ballet, comme un pur-sang en parfait équilibre. »

La recherche des formes poussait Degas vers les champs de course où, comme pour les danseuses, il ne cessait de reproduire les mouvements des chevaux.

Admirateur de la ligne et du dessin d'Ingres, Degas concevait la peinture comme une construction intellectuelle et se sentait totalement étranger aux tentatives de ses confrères et amis impressionnistes de jeter des impressions sur la toile et recueillir la vibration de l'éphémère. Paul Valéry considérait également que l'abus du paysage menait à la diminution de la partie intellectuelle de l'art, en éloignant le peintre moderne des anciens idéaux sur la technique pictural.



Degas a laissé une vingtaine de remarquables sonnets. le travail du poète lui paraissait comparable au travail du dessinateur tel qu'il le concevait. « Quel métier ! criait Degas, j'ai perdu toute ma journée sur un sacré sonnet, sans avancer d'un pas… Et cependant, ce ne sont pas les idées qui me manquent… J'en ai trop… » le poète Stéphane Mallarmé dinant avec lui chez Berthe Morisot lui répondit : « Mais, Degas, ce n'est point avec des idées que l'on fait des vers… c'est avec des mots. » Il aurait pu faire un poète remarquable pensait Valéry.



L'écrivain rapporte des souvenirs d'Ernest Rouart, fils d'Henri Rouart très divertissants sur la manie du peintre lorsqu'il retrouvait une de ses oeuvres anciennes. Il voulait la remanier, et, souvent la reprenait et l'on ne la revoyait pas, ou même, parfois, il la détruisait.



Une dernière réflexion de Paul Valéry après la mort de son grand ami qui s'éteignit en 1917 pratiquement aveugle correspond bien à ce qu'était ce grand artiste :

« Degas s'est toujours senti seul, et l'a été dans tous les modes de la solitude. Seul par le caractère ; seul par la probité ; seul par l'orgueil de sa rigueur, par l'inflexibilité de ses principes et de ses jugements ; seul par son art, par ce qu'il exigeait de soi. »



Je m'aperçois que je m'étais trompé dans le nombre d'étoiles accordées. Je rectifie car Degas et Valéry valent largement quatre étoiles, voir plus si le format était plus important et, surtout, avec des couleurs.



***


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Monsieur Teste

La préface de Paul Valery annonçant un personnage de fantaisie pousse à faire une lecture amusée et amusante de la soirée avec Monsieur Teste écrit quand son auteur était un tout jeune homme et bien longtemps avant qu'il n'atteigne les sommets de la réputation littéraire. Sous le titre Monsieur Teste sont regroupés plusieurs textes dont la soirée, formant le cycle Teste ainsi nommé par l'éditeur, écrits à différentes périodes. le contexte de création de la soirée avec Monsieur Teste semble baigner dans le parfum d'absolu mêlé d'impertinence dont raffole la jeunesse de l'époque. Et l'auteur de confier : "Teste fut engendré [...] pendant une ère d'ivresse de ma volonté et parmi d'étranges excès de conscience de soi". Plus loin encore : "tout ce qui m'était facile m'était indifférent et presque ennemi". C'est au jeune Valéry pénétré de ses propres potentialités que Teste renvoie avec plaisir dans les notes de la pléïade. À la fois son alter ego et une tentative, un "germe", "une chimère de la mythologie intellectuelle". La créature impossible au-delà de "quelques quarts d'heure" dans la vie réelle, et dont le modèle a pu (entre autres) être Degas.



Trois moments à cette soirée : le narrateur (pas mal non plus, voir pour un avant goût la quatrième de couverture) se dépeint puis parle de Teste qu'il n'a connu que la nuit, dont l'âge est approximatif. Des détails déroutants de leurs échanges lui font dire : "Je sentais qu'il était le maître de sa pensée", Ou encore : "M. Teste n'avait pas d'opinions". Plus loin on apprend qu'avec lui les mots perdent leur sens, prennent une valeur nouvelle, certains sont bannis. Ses facultés de mémoire dépassent tout. Mais... comment souffre-t-il, comment est il amoureux, a-t-il peur, autant de questions ? Vient ensuite le souvenir de la soirée au théâtre. le spectacle est dans la salle sur laquelle Teste reste concentré. L'assemblée se géom(aî)trise. Cube de la salle, cercles du rire. Masses des choses intimes. Ensembles d'hommes liés par des relations de maladie ou de vice. Lumière. Fin du spectacle.



En sortant, Teste déclare à son ami qu'il n'en a que faire du talent (p. 27) et l'invite chez lui à fumer un cigare. On découvre le "garni" de Teste : une chambre verdâtre qui sent la menthe. le mobilier est abstrait. le lieu quelconque. L'abandon nocturne saisit Teste qui continue a manier cependant la musique des chiffres. "Tout à coup, il se tut. Il souffrit." (p. 29). Teste se met au lit sous l'oeil de son ami. La géométrie de la souffrance lui apparaît. "Car souffrir c'est donner à quelque chose une attention suprême". Phrase superbe sortie de nulle part après laquelle Teste s'endort sur cette autre : " le sommeil continue n'importe quelle idée". La musique de son ronflement Clôt l'exercice. Que voulez-vous moi tout ça me détend, m'égaie, et je relis souvent la soirée avec Monsieur Teste pour ces excellentes raison.
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Poésies : Album de vers anciens - Charmes - A..

Ouvrage regroupant certaines oeuvres du poète publiées entre 1920 et 1934, ces Poésies n'ont pas forcément été ce à quoi je m'attendais. J'avais en effet une image de Paul Valéry, transmise par mes années fac, et sans avoir eu l'occasion de vraiment entrer dans son œuvre : celle d'un poète obsédé par la rigueur et la perfection formelles, empreint d'un classicisme à contre-courant de nombre de ses contemporains, mais pas pour autant dénué de modernité.



Alors oui, j'ai parfois retrouvé le classicisme et la rigueur attendus, dans des constructions lexicales, rythmiques et syntaxiques vraiment travaillées, donnant une certaine harmonie musicale à l'ensemble. De même, j'ai parfois retrouvé une certaine modernité, surtout formelle, dans l'utilisation de la prose ou de formes libres, alternant strophes et mètres variés, toujours utilisés dans une recherche de cette même harmonie musicale. Le tout aurait pu, sans conteste, me plaire.



Mais, excepté dans le cimetière marin, et dans certains poèmes de Charmes, j'ai trouvé cette poésie d'une grande froideur, certes à la recherche de perfection et d'harmonie, mais à mon sens trop artificielle, ne me touchant de fait quasi pas. Or, pour moi, la poésie n'est pas que recherche poétique, elle doit aussi être émotion. Je m'attendais de fait à quelque chose de plus incarné.



Une rencontre relativement ratée en somme, alors que je me faisais une joie, depuis longtemps, d'enfin plonger dans l’œuvre du poète sétois...
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La jeune Parque

Le grand poème de la Jeune Parque rebutera deux types de lecteurs : le premier cherche à retrouver dans la poésie des pensées qu'il a en lui et qu'il apprécie de revoir écrites en beau langage ; le second est en quête d'une communion sentimentale au détriment de tout le reste. La poésie de Valéry est d'abord une suite d'images et de mots splendides, qu'il faut goûter tels quels, sans chercher forcément leur sens. Le sens, d'ailleurs, vient se mêler à ce plaisir et à cette émotion esthétiques, et transforme la fête de l'imagination en "fête de l'intellect" (selon les mots du poète), à égale distance des raisonnements intellectuels et des pensées confuses et informulées du surréalisme. Valéry a toujours cherché dans ses poèmes à faire de la musique non pas seulement avec les mots et les images, mais aussi avec les idées. Et il n' y a rien de plus sobre et de moins bavard sentimentalement qu'une belle musique.
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Monsieur Teste

Ouh la.

Première rencontre avec Paul Valéry, que j'ai l'impression d'avoir appréhendé par la face nord. A moins qu'il n'y ait que des faces nord chez Valéry?

Qui est Monsieur Teste? Un personnage qui n'en est pas un, une création littéraire absconse et monstrueuse qui semble n'être là que pour donner à son lecteur le sentiment d'être un parfait abruti. Ou que l'auteur se fout de lui.

Monsieur Teste parle à peine, a les yeux en dedans et voit au-delà de tout, pense au-delà des mots, des idées, des lettres et fait parfois offrande de ses réflexions sous formes de pensées ou d'aphorismes mi ésotériques, mi hallucinées.

Mal à la tête avec cette lecture kaléidoscopique jusque dans la forme, collage surréaliste de tranches disparates entre propos construit de Monsieur Teste, lettre de sa femme (mon passage préféré - le seul que j'ai compris à vrai dire!), lettre de son ami (illisible), notes éparses...

En refermant Monsieur teste, j'ai eu le sentiment d'avoir mis le pied dans un univers dans lequel je n'étais pas invitée. Cela m'a refroidie, rendue stupide et grognon.

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Poésies : Album de vers anciens - Charmes - A..

Si je dois être sincère, je n’ai pas été particulièrement emballée par la première partie du recueil…. et j’en ai honte. Des « vers anciens », largement inspirés par la nature et la mythologie antique, se dégage une beauté limpide et harmonieuse, douce, mais finalement distante et je ne me sens pas très concernée. Les Charmes m’interpellent d’avantage, plus dynamiques ou percutants, je retrouve le fameux Cimetière marin où la brise légère des films de Miyazaki cède la place à « Une grande mer de délire douée », où « La vague en poudre ose jaillir des rocs ! ». Enfin, la puissance poétique à son paroxysme !

Les poèmes clôturant le recueil me paraissent plus modernes que les premiers, ils m’amusent parfois et me séduisent bien d’avantage. Toutefois, toutefois…il me faut bien admettre que je reste globalement hermétique aux écrits de Paul Valéry. Dois-je en conclure que je suis sensible à une poésie plus contemporaine ? Ai-je fait l’erreur d’épuiser ma lecture dans ces vers anciens qui ne seraient pas du meilleur cru ? Je reste perplexe devant mon propre manque d’enthousiasme… et suis bien curieuse d’avoir votre avis sur la question !
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Eupalinos - L'Âme et la Danse - Dialogue de ..

Pour être bien franc, je connais assez peu Paul Valéry et c’est un recueil de poésie que je m’attendais à trouver sous cette couverture.

Ma surprise d’y trouver plutôt des dialogues ne s’est toutefois pas tournée en déception puisque ce sont nuls autres que Socrate et Phèdre sont mis en scène dans le premier dialogue, qu’ils sont rejoints par Érixymaque dans le second et que le troisième se déroule entre Lucrèce et Tityre. Je me suis dit que c’était une belle idée de la part de Valéry, car, bien qu'il n’ait pas une grande réputation de philologue, sa poésie se déploie très souvent en des horizons teintés de philosophie et il me semblait donc assez naturel qu’il se soit prêté au jeu des dialogues socratiques.

Et au final, je garde un très bon souvenir de cette lecture. Les échanges sont mis en place avec beaucoup de finesse :

« LUCRÈCE

Ce que j’allais te dire (peut-être te chanter), eût, je pense, tari la source de paroles qui surgit tout à coup du fond de ton esprit. Mais parle!... Si je te demandais d’attendre, tu t’écouterais intérieurement toi-même, avec complaisance, au lieu de m’écouter. »(171)

Et les envolées lyriques sont franchement sublimes :

« PHÈDRE :

Elle semble d’abord, de ses pas pleins d’esprit, effacer de la terre toute fatigue, et toute sottise... Et voici qu’elle se fait une demeure un peu au-dessus des choses, et l’on dirait qu’elle s’arrange un nid dans ses bras blancs... Mais, à présent, ne croirait-on pas qu’elle se tisse de ses pieds un tapis indéfinissable de sensations?... Elle croise, elle décroise, elle trame la terre avec la durée... O le charmant ouvrage, le travail très précieux de ses orteils intelligents qui attaquent, qui esquivent, qui nouent et qui dénouent, qui se pourchassent, qui s’envolent!... Qu’ils sont habiles, qu’ils sont vifs, ces purs ouvriers des délices du temps perdu!... Ces deux pieds babillent entre eux, et se querellent comme des colombes!... Le même point du sol les fait se disputer comme pour un grain!... Ils s’emportent ensemble, et se choquent dans l’air, encore!... Par les Muses, jamais pieds n’ont fait à mes lèvres plus d’envie!

SOCRATE

Voici donc que tes lèvres sont envieuses de la volubilité de ces pieds prodigieux! Tu aimerais de sentir leurs ailes à tes paroles, et d’orner ce que tu dirais de figures aussi vives que leurs bonds. »(127)

L’ensemble, fort joli et brillant, laisse un sentiment de joie sereine qui me semble convenir parfaitement aux vacances et aux voyages.

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Histoires brisées

Valery ne s'est jamais accommodé de la "scandaleuse " démission du sens laissé à la libre interprétation du lecteur.



Aussi préfère -t-il s'essayer à lancer des fragments de récits, des bribes de poèmes en prose, des amorces de contes sur quelques grandes figures mythiques ou mythologiques de la litterature: Calypso, Héra, Robinson...



Quelques poèmes, finis , eux, et tout aussi ciselés, viennent enrichir cet étrange recueil de potentialités poétiques inabouties et esquissées, mais avec quel talent , quelle exigence formelle et quelle redoutable intelligence!
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Poésie perdue : Les poèmes en prose des Cahiers

Paul Valéry pourrait faire figure d'intimidant classique, auréolé d'un certain ennui officiel et promis à un oubli rapide, avec toute notre culture. C'est le poète néo-symboliste de la Jeune Parque, de L'album de Vers anciens, de Charmes. C'est le prosateur fin et subtil écrivant sur l'art, la danse, la civilisation. En somme, il n'a rien du classique que l'on relit, comme Hugo ou Zola, pour ses bonnes grosses idées humanitaires.



Tous les matins, cet homme "officiel" travaillait à ce qui allait devenir ses Cahiers : des essais d'écriture sur tous les sujets possibles, à commencer par le sommeil, l'éveil, le retour de la conscience de soi, que le Matinal guette avec perspicacité, plume à la main. Il en ressort un foisonnement de pensées et d'idées que l'auteur, puis les éditeurs ont classé en deux volumes de la Pléiade. Mais Valéry n'est pas pour rien le contemporain des surréalistes : il lui vient des poèmes "bruts", des proses, des vers, parfois brefs, parfois plus longs, qu'il consigne sans plus d'élaboration. le Cahier du matin est réservé, chez Valéry, à la pensée ou à la poésie comme elles viennent. le résultat est prodigieux. Valéry disait que dans la création d'un poème, une part (un vers, un mot) était donnée, et le reste incombait au travail de l'artiste de la langue. Ce petit volume est fait de pages "données". Il est précédé d'une préface remarquable de clarté et riche en informations indispensables.
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Le cimetière marin et autres poèmes

Le cimetière marin est un des poèmes les plus émouvants de Paul Valéry.

D'abord le cadre, un petit cimetière marin à Sète, celui-là même où repose maintenant l'auteur.

Puis l'angoisse de la mort qui réduit tout et qui, avec la terre, digère les corps et les ossements pour les réduire en poussière et les condamner à l'oubli.

Enfin, un hymne à la vie avec l'apparition du vent. Le vent se lève, il faut tenter de vivre !

Ce vers, repris par Hayao Miyazaki pour sa dernière œuvre, le vent se lève, est porteuse d'espoir et d'avenir.

Ce court ouvrage compile également d'autres très beaux poèmes de Valéry, dont la jeune parque, le platane...

A ouvrir régulièrement pour y trouver un peu d'air pur et de beauté.
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Eupalinos - L'Âme et la Danse - Dialogue de ..

J'avoue connaître très peu ce grand poète. C'est même la première oeuvre complète que je lis de lui. Et bien, je n'ai pas été déçu. Ce fut une très belle découverte. Difficile de décrire ou de faire un résumé de ce livre, mais même si, je l'avoue à titre personnel, certains passages (très peu) m'ont paru un peu "déroutant" à la première lecture, je trouve cette oeuvre (et ce poète) trop méconnue du grand public. À découvrir absolument pour ceux qui aiment la poésie.
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Poésies : Album de vers anciens - Charmes - A..

Pour Valéry, être poète est un travail, ou plutôt, c'est être capable de prolonger par un travail acharné un vers unique "donné" par l'inspiration, qu'il s'agit de poursuivre par un texte qui sera à sa hauteur. La réflexion formelle de Valéry l'a conduit aux portes de la pensée structuraliste, qu'il contribua à fonder par sa réflexion, et par sa poésie si particulière et si belle, dans la ligne du Parnasse et de son maître Mallarmé, hostiles à l'effusion, la facilité, aux effets de sincérité, mais attentifs à faire "rendre" aux mots leur pouvoir d'évocation maximal. Les poèmes de ce recueil sont très beaux, ce sont de belles pièces de collection pour lesquelles on se passionnera comme fait un collectionneur, mais ils ne créeront pas l'amour qui naît de la communication approfondie entre deux subjectivités, celle du poète et celle du lecteur. Le courant lyrique ne passe pas, mais il n'y a pas que le lyrisme en poésie. Il y a aussi l'admiration, la surprise, et le bonheur du langage.
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Monsieur Teste

Valéry écrit La soirée avec Monsieur Teste « pendant l’octobre 93 ». Il a 22 ans. Il vient de rentrer à Montpellier après quelques mois à Paris où il a rencontré Louÿs et Mallarmé et fréquenté l’Opéra (« Une immense fille de cuivre nous séparait d’un groupe murmurant au-delà de l’éblouissement. Au fond de la vapeur brillait un morceau nu de femme, doux comme un caillou »).



Edmond Teste, c’est à dire lui-même, a la quarantaine — on ne peut pas être revenu de tout en sortant de l’adolescence. Il est fantomatique (« tout s’effaçait en lui, les yeux, les mains »), boursicoteur, vivant dans un petit garni : « Je n’ai jamais eu plus fortement l’impression du quelconque ». « Il mangeait comme on se purge, avec le même entrain ». Il n’a pas d’opinions. Il est l’esprit libre « qui fait tuer ses joies par ses joies, la plus faible par la plus forte, — la plus douce, la temporelle, celle de l’instant et de l’heure commencée, par la fondamentale — par l’espoir de la fondamentale ».



Valéry/Teste est dépressif. « Je me suis rarement perdu de vue ; je me suis détesté, je me suis adoré ; — puis nous avons vieilli ensemble. Souvent, j’ai supposé que tout était fini pour moi, et je me terminais de toutes mes forces ».

Teste/Valéry lui ouvre le temps, l’emploi du temps, la patience : « L’art délicat de la durée, le temps, sa distribution et son régime, — sa dépense à des choses bien choisies, pour les nourrir spécialement, — était une des grandes recherches de M. Teste ». Il n’y a pas de système Teste, plutôt une humeur, une prise de distance, la tentation d’une maitrise démentie par la porosité de l’intellect et du sentiment : « Et je sentais qu’il était le maître de sa pensée : j’écris là cette absurdité. L’expression d’un sentiment est toujours absurde. » Le poète (qui a écrit La fileuse en 91) se révolte contre le solipsisme, la sécheresse de son modèle : « Pourtant, répondis-je, [sortant de l’Opéra] comment se soustraire à une musique si puissante ! Et pourquoi ? J’y trouve une ivresse particulière, dois-je la dédaigner ? J’y trouve l’illusion d’un travail immense, qui, tout à coup me deviendrait possible… Elle me donne des sensations abstraites, des figures délicieuses de tout ce que j’aime, — du changement, du mouvement, du mélange, du flux, de la transformation… Nierez-vous qu’il y ait des choses anesthésiques ? Des arbres qui saoulent, des hommes qui donnent de la force, des filles qui paralysent, des ciels qui coupent la parole ? ».



Valéry tue Teste symboliquement dans cette étrange et longue scène où son mentor l’invite chez lui, se déshabille, se met au lit et lui dévoile sa douleur physique et morale : « Il se dévêtit tranquillement. Son corps sec se baigna dans les draps et fit le mort. Ensuite il se tourna, et s’enfonça davantage dans le lit trop court » […] « Je n’attends que mon cri,… et dès que je l’ai entendu — l’objet, le terrible objet, devenant plus petit, et encore plus petit, se dérobe à ma vue intérieure… ». Quel objet ? Je pense à l’objet désagréable de Giacometti mais il est de 1931.



La suite de ces vingt pages est tardive, écrite en 1926 quand Valéry est devenu le poète officiel de la Troisième République. Rien d’aussi sincère et personnel que la Soirée, publiée 30 ans plus tôt. On y trouve la lettre de Madame Émilie Teste, bien surprenante car M Teste est célibataire et proche de sa fin dans la Soirée, bonne à lire comme exemple de l’emprise. On y trouve encore un bric-à-brac qui contient quelques pépites, certaines ajoutées post mortem dans l’édition Gallimard de 1946. Par exemple une brève mention de « ceux qui veulent me traduire en français », allusion au colonel Godchot qui publia en 1933 son « Essai de traduction en vers français du Cimetière marin de Paul Valéry ».

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