Citations de Robert Sabatier (310)
"Une grand-mère pas comme les autres!" Pas d'attendrissements, de manières, de câlineries, de tendresses. Elle allait droit sa vie sans être embarrassée de ce qui se fait en société, des attitudes qu'on doit prendre. Elle priait, mais elle savait aussi dire son fait au mauvais clérical ou à la bigote. Elle fréquentait l'église, or on lui prêtait des manières de rouge. Son Dieu était celui des simples ; il aimait les pauvres, il se défiait des riches ; ici le paradis avec ses anges, là l'enfer avec ses diables, et au milieu un tout petit corridor appelé purgatoire avec des âmes pour lesquelles il fallait prier. Parce qu'elle ne savait pas feindre, certains la croyait méchante. Et si on lui rapportait un commérage la concernant, elle répondait : "On ne peut plaire à tout le monde, on n'est pas louis d'or."
Selon ses moments de tristesse ou de joie, la rue changeait de costume.
- Faites attention à ce que vous dites, Bougras, vous vous adressez à un ancien combattant !
- Et moi, dit Bougras, je suis un nouveau combattant. A la bonne vôtre !
- Vous combattez quoi ? La société ?
Bougras fit attendre l'auditoire. Il se gratta la tête, fourragea dans sa barbe, parut réfléchir et proclama :
- Je combats la connerie !
Les résultats du certificat d'étude étant flatteurs, l'instituteur de cette classe et les lauréats reçurent un compliment et l'on indiqua les mentions "très bien" et "bien". Parmi les écoliers nommés, peu poursuivraient leurs études car, promis au monde du travail, la cérémonie marquait pour eux un point final à l'univers de l'école.
Un grammairien est un codificateur des caprices .
LE MOT
Extrait 2
De l'eau, de l'eau pour éteindre dans l'homme
Des feux cruels et de faux théorèmes.
Qu'ont déchirés les preuves du matin
Renouvelé sur les champs de bataille
Et qui disait l'Erreur aux petits morts.
Et s'il n'était qu'un mot resté fidèle,
Je le dirais les lèvres déchirées.
Vous qui cueillez les fruits pensez aux branches
Que le vent noir arracha de son souffle
Et délivrez un chant de gratitude.
Vivre un langage est l'affaire des arbres
Et mon attente est dans chaque vocable.
Bonjour à l'aube et bonjour à ces bouches
Qui font l'amour et fécondent la terre
Pour que je naisse, ô frères, parmi vous.
p.97-98
Quand des lèvres se recherchent de nouveau avec gourmandise, le baiser se prolonge.
Si je t'écris, enfant de ma poitrine,
C'est pour te dire amour à perdre haleine.
Pour éclairer la neige ton sourire
Et pour printemps le fruit de tes yeux noirs.
J'entends la nuit des voix qui me caressent
Et je m'éveille en embrassant ton nom.
Pour toi je plane au-dessus de la ville
Et je te vois parmi tous les herbages.
L'encre du jour sur la page nocturne
Trace un poème et tu dors dans mon livre.
Extrait de " Roseaux" du recueil " L'oiseau de demain"
Mon préambule déambule à l'image de mes errances parisiennes.
La sirène
A toi la soeur des vagues,
Mon chant marin.(...)
Est-ce ton corps qui brille
Ou le soleil ?
Tu nages mieux que moi
Qui suis galet.
Tu danses sur les plages
De l'avenir.
Nous sommes seuls au monde
Parmi les flots.
Petite soeur des vagues,
Existes-tu ?
N'es-tu qu'un peu d'écume,
Un souvenir?
Ou bien la flamme bleue
Pour me brûler? (...)
Depuis le petit matin, il pleuvait, mais ce n'était pas une eau triste : elle préparait la voie du soleil. On percevait la complicité des éléments, les jeux subtils de la brume et de la clarté. Le dos bombé des pavés se réjouissait, et aussi les herbes, les mousses qui les cernaient. La pierre vivante souriait, le gris s'argentait, apprivoisait de nouvelles nuances, vert, bleu, or. L'eau dans les ruisseaux chantonnait doucement.
Dédicace d'un navire
La mer contient la mer,la seule que j'invente,
astre multiplié par tous ses éléments;
je livre à l'univers un peu de sa tourmente
et tous les cris d'oiseaux que contiennent les vents.
Il me restait à apprendre le monde, à allumer quelques lampes de savoir. Je devais remplir ma vie page à page, tenter d'oublier les espaces déserts.
Entre Pigalle et Blanche, un Constantinois du nom d'Abdel-Hadj, assez bien vêtu, se promenait une main dans la poche. Quand un homme passait, il sortait sa main et dans le creux lui présentait un paquet de photos de nus. Certains s'éloignaient, fermés comme le mépris, mais, de temps en temps, un étranger, un vieillard ou un très jeune homme achetait le paquet de photos et une fois chez lui s'étonnait de trouver des fragments de tableaux de maîtres.
Le véritable scandale de la misère,c'est notre impuissance à la guérir.[Le livre de la déraison souriante]
Ta grand-mère ne comprenait rien du tout et disait que le mauvais sort s'était mis sur la maison pour sept ans. Mais devant les gens, ils se taisaient. Le malheur ici, c'est qu'on garde ses chagrins pour soi. Alors, ils vous étouffent. Et on travaille comme des bêtes pour oublier.
Un rêve qui ne devient pas réalité est un rêve qui n'a pas été assez rêvé.
![](/couv/sm_CVT_dedicace-dun-navire-et-autres-poemes_8413.jpg)
Le conquérant du vieux fort Solitude
Avait pour arme un lys à longue tige
Qu'aucun soleil ne fit jamais fléchir.
Masqué de noir, il chevauchait vers l'ouest,
Un océan de bisons le suivait.
Il entrera quelque jour dans la mer,
Le conquérant du vieux fort Solitude.
Lâchant la bride à son cheval Tumulte
il regardait vers les septentrions.
La fleur de lys à hauteur de visage,
Attendait-il un souffle, une parole ?
Un vol d'oiseaux sauvages précéda
Le vent de sable et le cri des coyotes.
Toujours allait, dressé droit sur sa selle,
Le conquérant du vieux fort Solitude.
Je peux le voir en fermant les paupières.
Sur un fond rouge, il chevauche sans hâte.
Que le soleil s'éteigne et se rallume,
Toujours est là ce héros de naguère :
Le conquérant du vieux fort Solitude.
Ne dites pas qu'il fut roi légendaire :
Vous le verriez chevaucher sur mes lèvres
Avec son lys protégeant mon silence
Et poignardant vos doutes d'un regard,
Le conquérant du vieux fort Solitude.
(La ballade de l'ouest)
Il devrait exister des histoires pour toutes les journées où il pleut.
nous l'emmenions au restaurant :
il se déplaçait avec difficulté et nous le tenions chacun par un bras.
A table, il fallait l'aider et il manquait sa bouche lorsqu'il buvait.
Nous étions comme des parents accompagnant un enfant.
Sans que nous en parlions, cette attention constante, affectueuse,
était un tribut ou une action de grâce pour remercier quelque dieu
inconnu de nous avoir offert le don de l'amour.