LE MOT
Extrait 2
De l'eau, de l'eau pour éteindre dans l'homme
Des feux cruels et de faux théorèmes.
Qu'ont déchirés les preuves du matin
Renouvelé sur les champs de bataille
Et qui disait l'Erreur aux petits morts.
Et s'il n'était qu'un mot resté fidèle,
Je le dirais les lèvres déchirées.
Vous qui cueillez les fruits pensez aux branches
Que le vent noir arracha de son souffle
Et délivrez un chant de gratitude.
Vivre un langage est l'affaire des arbres
Et mon attente est dans chaque vocable.
Bonjour à l'aube et bonjour à ces bouches
Qui font l'amour et fécondent la terre
Pour que je naisse, ô frères, parmi vous.
p.97-98
ÉLOGE OU BLÂME
Éloge ou blâme ? Il disait ce dieu blême
À qui l'aimait des paroles sans timbre
Qu'interprétait un cerveau musical.
Vois : les errants dans les cités funèbres,
Las d'invoquer, saignent par habitude
Leur propre vie en dévorant l'absence.
À tant lécher les barreaux de leur geôle,
Ils ont limé leur antique douleur
et la muraille a dévoré l'cône.
Sans monuments, sans gloire, sans louange
Et sans néant pour s'y précipiter,
Ce sont les corps inhabités du monde.
Jadis en eux vivait une mémoire,
Un cri du père — espoir ou désespoir —
Un rien sensible aux battements du jour.
Tout ennemi leur était intime
Et tout ami parcelle de leur joie.
Éloge et blâme allaient se rejoignant.
Leur athéisme alliait la croyance.
Contre la foi se dressait un vivant
Dont la colère affirmait l'existence.
L'aveugle même en lui pouvait surprendre
Un paysage. O double cécité.
Cherchons un dieu pour nier sa présence.
J'ÉTAIS
L'enfant touché par l'aile de la mort
Ne parle plus. Son regard inaugure
Un neuf exil si tendre et si glacé
Qu'il ne sait pas s'il est arbre ou rivière.
À son côté, sa mère devient givre
Et lui, croyant à un simple sommeil,
Veille sur elle. Un roseau sur la rive
Tremble quand fuit une truite surprise.
Ce court instant, redonnez-le pour vivre
Entre bonheur et folle tragédie
Interminable. O ma vie ! ô détresse !
J'étais l'enfant, je ne suis plus que l'homme
Veillant sur l'ombre et la terre confuse,
Quêtant pour vivre une étoile de plus
Qu'il n'en existe au ciel toujours muet.
Abandonnez votre haine aux corbeaux.
La terre-ogresse a digéré ce corps
Où tu naquis. vasque de pourriture,
Dernier sursis, mimant ton existence,
Et ne croyant qu'à cette histoire morte
Mal racontée aux amants du passé.
Le Moule
En ce temps-là, l’univers se coulait
Dans tout mon corps devenu cire tendre.
J’étais vallons, montagnes, champs, rivières,
Et je savais, dans l’ordre des planètes,
Que je pouvais revivre, étoile bleue.
Nature es-tu si loin de ma nature ?
Les transcendants vont dans le jour, déjouant
À coups de mots les destins du cosmos.
Un dieu sourit parmi les éphémères
De n’être plus que le dernier mortel.
De l’arbre à moi s’étendent des espaces
Toujours plus grands. O landes déchirées,
Mes longs bras nus sont les ultimes branches
D’un don total qu’abandonne l’oiseau
Et je m’en vais dans la ville sans ailes.
p.99
LES FEUILLES VOLANTES
Extrait 1
Adieu mon livre, adieu ma page écrite,
Se détachant de moi comme une feuille,
Me laissant nu comme un cliché d'automne.
Je vous dédie une arche de parole
Pour naviguer, mes amis, naviguer
Dans ma mémoire où se taisent les loups.
Vole ma feuille au-dessus de la ville,
Franchis le fleuve et détruis la frontière.
Amour, amour, ô ma géographie !
…
p.114
"Quelle idée de génie que la publication de cette trilogie de rêve qui m'a fait aimer les livres" - Gérard Collard.
A l'occasion du centenaire de la naissance de l'écrivain et poète Robert Sabatier, les trois romans qui composent Les allumettes suédoises (Les allumettes suédoises ; Trois sucettes à la menthe ; Les noisettes sauvages), sont réunis pour la première fois en un seul volume. Un chef-d'oeuvre à découvrir ou à redécouvrir.
https://lagriffenoire.com/les-allumettes-suedoises-trois-sucettes-a-la-menthe-les-noisettes-sauvages.html
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