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Critiques de Ugo Bellagamba (94)
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L'origine des victoires

Quel livre singulier. On tombe tout de suite sous le charme de ces femmes guerrières qui, à travers le temps, combattent avec une énergie farouche le même ennemi commun.

Ugo Bellagamba nous offre ainsi quelques superbes portraits de femmes. Vous les trouverez flamboyantes, envoûtantes, lettrées, dangereusement manipulatrices, et prêtes au sacrifice suprême pour contrer cet ennemi insaisissable, impalpable, venu du fin fond des étoiles.

Étrange livre où les hommes plastronnent, font la Grande Histoire, mais sont protégés par les femmes en coulisse, dans l’arrière-cour, de ce monstrueux dévoreur d’âmes. Gustave Effel, l’empereur Auguste, Saint Thomas d’Aquin, tant d’autres encore, doivent une fière chandelle à celles que l’on nomme en secret les Victoires.

Superbes vigies qui empêchent ce vampire suceur d’esprits de plonger notre monde dans un éternel chaos.

Interminable partie de go qui débute à l’aube de l’humanité pour se poursuivre plus loin que les étoiles, sans que l’on sache qui du monstre ou des Victoires finira par l’emporter.

Suivez les vies brèves mais radieuses de Natacha, d’Euphoria, de Patrizia, de Gloria, d’Égéria, de Nadia, de Coppelia qui va peut-être parvenir à renvoyer notre démon dans les profondeurs noires de l’espace, de Oruah enfin, la toute première à l’avoir baffé de si belle manière.

Quel beau livre qui nous montre le dessous des cartes, le sens caché de l’histoire. Quelle immoralité de faire, au travers des siècles, de nos misères et de nos grandeurs un simple terrain de jeu pour notre démon incorporel.

À lire absolument.

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Le monde de Julia

Julia a été abandonnée par ses parents, seule, dans une zone inhabitée. Une ancienne station de ski où ne subsistent que des pylônes, des panonceaux, un cabanon. Mais ils ne l’ont pas laissée réellement sans soutien. Elle est accompagnée par un robot dévoué, R-17, qui se charge de son éducation et de sa survie. Et il aura fort à faire, car autour de ce havre de paix, le monde semble être devenu fou.



Les gens ne vivent plus en sociétés, mais en groupes. Et certains d’entre eux sont ridiculement petits. Tout comme leur durée de vie, d’ailleurs. Car le climat général est à la tension et à l’intégrisme. Chaque clan a ses propres règles et tout ce qui est différent est un ennemi potentiel qui doit être soit converti soit éradiqué. Le mot « tolérance » semble avoir été rayé du vocabulaire de nos descendants. Comment se créent ces rassemblements ? C’est là l’originalité et le côté drôlatique (et en même temps désespérant) de ce roman écrit à quatre mains : dans cet univers post-apocalyptique, les biens de consommation sont devenus rares et difficiles à trouver. Les livres aussi. C’est pourquoi, ils sont en quelque sorte paroles d’évangile. Quand une femme ou un homme tombe sur un exemplaire, il y découvre des éléments qui deviennent loi. Il en tire des règles de vie. Pourquoi pas me direz-vous ? Eh bien le problème est qu’ils prennent n’importe quoi comme règles de vie. Par exemple, pour le clan des FC (pour Fight Club), la première règle est celle-ci : « il est interdit de parler du Fight Club ». Je continue avec les quatrième et cinquième : « seulement deux hommes par combat » et « pas de chemises, ni de chaussures ». Bon courage pour user de ces préceptes de vie exceptionnels au quotidien !



Ce clan est le premier d’une longue série, dont certains qui m’ont particulièrement plu. Par exemple, les Terra ignota, inspirés de la merveilleuse et très riche série d’Ada Palmer (publiée aux éditions du Bélial’), que j’ai lue mais renoncé à chroniquer tant cela m’a paru difficile sans en trahir le contenu. Ou ce clan très puissant inspiré des œuvres de Dmitry Glukhovsky et de son univers noir et étouffant de Metro 2033. Et le cinéma est également mis à contribution avec le clan des Brazil 1138, qui prennent source dans l’œuvre de Terry Gilliam (1985). J’ai également pensé, pour cette ambiance, à un ancien jeu de rôle complètement frappadingue traduit en 1984 par les éditions des Jeux Descartes : Paranoïa, avec ses divers clans qui passaient leur temps à se dézinguer dans un délire des plus absolu et une critique implicite de nos sociétés fragmentées. Pour finir sur ce versant érudit de l’œuvre, même les titres de chapitres peuvent faire référence à une culture de l’imaginaire impressionnante de la part des deux auteurs. Je ne citerai que « Vue en coupe d’une mégapole malade », qui rappelle diablement la Vue en coupe d’une ville malade de Serge Brussolo (1980, quand même). Des clins d’œil nombreux qui sont un des atouts de ce roman.



Et cela fait de surcroît travailler les méninges : j’ai passé mon temps à me demander de quels ouvrages venaient ces règles si surprenantes et, souvent, si absurdes. Car, même si un des personnages assène qu’« Il faut des règles, putain, des règles ! Sinon, c’est l’anarchie. », certaines scènes sont la démonstration du contraire. En tout cas, les règles ne font pas tout. J’avais déjà pu m’en apercevoir en lisant Un pays de fantômes ou même Cité d’ivoire. Il faut que les lois qui nous gouvernent aient un sens. Et que les citoyens les comprennent.



Et justement, c’est le sens profond de ce récit qui rappelle les textes humanistes du XVIIIe siècle. Car, du côté de Julia, la jeune fille dont je parlais dans l’introduction, les leçons s’enchainent. Et elles sont nombreuses à avoir pour thème la bonne façon de créer des lois justes et efficaces. Selon quels critères les choisir ? Quel principe, quelle idée placer au-dessus des autres ? Comment choisir ? Le bon vieux R-17, et d’autres après lui, vont exposer des thèses. Pour illustrer ces réflexions, Julia va rencontrer, entre autres, Platon, saint Augustin, Thomas Locke ou Thomas Hobbes. Autant de points de vue sur l’idée de justice et les principes qui permettent de la respecter. Autant de développement qui permettent de se faire une idée. Car, comme nombre d’ouvrages un peu ambitieux, Le monde de Julia veut nous proposer une réflexion. Et, comme on s’en aperçoit bien dans le monde actuel où n’importe qui est appelé à parler de n’importe quoi, même s’il n’y connaît rien, il est capital d’être informé sur le sujet dont on débat. Donc les auteurs nous résument, de façon très claire et brève, certaines étapes de la pensée à propos de ces thèmes. J’ai lu quelques avis de lecteurices qui trouvaient cela un peu bancal et longuet. Au contraire, de mon côté, cela m’a emballé. À travers une histoire assez simple, Ugo Bellagamba et Jean Baret nous ouvrent l’esprit. Ce court roman permet de mener une réflexion construite sur la notion de loi. Sur ce qui doit la guider. Sur ce qui peut permettre de bien diriger un peuple, de la façon la plus juste possible.



Comme l’expliquent les auteurs en fin de roman, ce récit pas été conçu de façon classique. En fait, Ugo Bellagamba, auteur de SF (dont j’ai beaucoup apprécié, entre autres, La Cité du soleil et autres récits héliotropes – Folio) et docteur en histoire du droit, en a eu l’idée depuis des années. Il l’a fait grandir dans son esprit, dans sa famille, parmi ses amis. Et ce texte a finalement vu le jour grâce à la collaboration avec Jean Baret, avocat et auteur de Trademark, une trilogie perturbante et nécessaire composée de Bonheurtm, Vietm et Morttm (Le Bélial’). J’ai retrouvé un peu de ces deux auteurs au fil des pages, tout en étant incapable de distinguer quels passages viennent plutôt de l’un que de l’autre. Le fond juridique est commun et a dû donner lieu à de belles discussions entre les deux compères. C’est à mon avis un bel exemple de collaboration fructueuse.



La lecture du Monde de Julia a représenté pour moi un petit moment de bonheur : la joie de redécouvrir des ouvrages lus voilà des années à travers les différents clans ; la satisfaction intellectuelle de réfléchir, dans le plaisir, à une notion capitale et de découvrir ou redécouvrir des pensées solides et argumentées ; la délectation de découvrir une histoire bien ficelée malgré son apparence foutraque au début et qui conduit à un dénouement que je commençais à pressentir depuis un moment, mais qui ne m’a pas déçu, au contraire. Un texte que je conserve dans un coin de mon esprit et que je consulterai sans doute de temps à autres comme piqûre de rappel quand j’entendrai dans les médias certaines personnes remettre en cause des valeurs que je considère comme nécessaires à la vie en société.
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L'origine des victoires

En voilà bien un nom pompeux : L’Origine des Victoires ! Derrière cette belle couverture de Casimir Lee, se cache le vibrant hommage aux femmes dans l’Histoire proposé par Ugo Bellagamba (auteur notamment de Tancrède, une uchronie, du Double corps du roi avec Thomas Day, et accessoirement, ancien directeur artistique des Utopiales de Nantes et actuel conseiller de l’organisation de Nice Fictions, ville où il est également enseignant-chercheur, bref, ça vous pose un auteur !).



Huit moments de l’histoire de l’humanité, voilà ce que nous propose Ugo Bellagamba ; huit moments pour découvrir un combat ancestral et diachronique où l’engagement des femmes n’en est pas réduit au féminisme tant décrié aujourd’hui. Passant de 1973 à 1932, en passant par 31 av. J.-C. et l’an 2032, l’auteur se permet de jumeler huit récits qu’on pourrait prendre comme huit nouvelles mais qui sont étonnamment liés sans jamais mettre en scène les mêmes personnages. Ainsi, nous suivons dans une forme de mouvement d’inexorable balancier entre les époques le destin de combattants contre l’influence toujours plus grande et dangereuse de l’étrange Orvet, puissance mystique qui a la possibilité de posséder l’esprit et le corps d’une certaine catégorie de la population et d’en faire ses orvets, ses jouets en somme. Face à lui, la résistance s’organise au fil des temps sous de multiples façons, et c’est l’occasion pour l’auteur de mettre en scène des résistances improvisées, des sociétés secrètes, des voyageurs solitaires, tout comme des vengeresses impitoyables. Elles s’appellent Euphoria, Nathacha, Patrizia et quantité d’autres prénoms possibles, et elles sont les Victoires qui nous ont défendu, nous défendent et nous défendront encore devant la puissance destructrice de l’Orvet.

Avec ce roman qu’ActuSF a bien fait de rééditer dans sa collection Hélios (bientôt La 8e colline de Rome du même auteur ?), nous ne pouvons pas dire qu’Ugo Bellagamba, avec ses références antiques méditerranéennes et son nom qui chante, se facilite la tâche. Le fait même de tenter l’aventure du diachronisme n’est déjà pas une mince affaire : comment lier efficacement une intrigue de roman se déroulant sur plusieurs dizaines de milliers d’années qui n’a aucune unité de lieu ou de temps ? Bien sûr, nous pourrions supposer que le thème, nouvelle variation du traditionnel « Ordre face au Chaos », suffit pour unifier le tout, ce combat épique et ancestral étant largement porteur ; nous pourrions aussi nous dire que finalement le véritable protagoniste est l’Ennemi, cet Orvet quasi imbattable, antagoniste pervers et vicieux qui traque ses adversaires jusque dans les recoins les plus intimes, et de fait l’auteur a choisi de le mettre en scène aussi directement en exposant ses pensées dans des paragraphes entiers en italique.

Pourtant, le véritable héros, ou plutôt héroïne, c’est le concept même de Victoire ; en effet, ces allégories antiques, largement réutilisées et adaptées depuis l’époque romaine, équivalaient quasiment aux Nikê grecques, symbolisant une victoire souvent militaire, parfois sportive, toujours politique et étant tout à la fois porteuses de trophées et trophées elles-mêmes. Ce sont ces victoires discrètes remportées au cours de l’Histoire que l’auteur a voulu mettre en valeur en usant très subtilement de ressorts de l’histoire cachée (le chapitre sur Thomas d’Aquin est sûrement le meilleur exemple), tout en se permettant de toucher lors de chaque nouveau récit à un genre supplémentaire. Ainsi, le lecteur en est-il pour son argent quand il découvre qu’il va agréablement parcourir un récit de type thriller où la course-poursuite ne peut mener qu’à des pertes humaines, un récit réaliste qui vire au cauchemar au sein d’une société secrète, un récit médiéval façon « Le Nom de la Rose » où les moines se demandent bien si la Gloria chrétienne les sauvera, un peu de cyberpunk futuriste, pour finir encore plus loin dans le space opera et la fantasy préhistorique. Je n’ai pas dit un seul mot du décor utilisé par l’auteur, il est vrai qu’il s’appuie largement sur sa connaissance de la Côte d’Azur en nous prenant par la main pour visiter Marseille, Digne, Nice et compagnie ; je n’en ferais pas un argument de vente, mais c’est toujours agréable de changer un peu des villes surpeuplées habituelles, des New York, Paris et Londres, ou des plans cinématographies les plus connus.



Dans L’Origine des Victoires, Ugo Bellagamba fait donc à la fois de la fantasy et de la science-fiction d’une façon peu classique, mais en y apportant un certain côté académique propre à dérouter autant qu’à éblouir.



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Le double corps du roi

Choc en perspective ! D’un côté, il y a Ugo Bellagamba, universitaire spécialisé dans le droit, mais féru d’Histoire, et « accessoirement » membre de l’organisation du festival international des Utopiales de Nantes ; il a aussi « commis » Tancrède, une uchronie chez Les Moutons électriques. De l’autre, il y a Thomas Day, auteur de textes de science-fiction, fantasy et fantastique souvent durs et glauques, reconnu autant en tant qu’écrivain qu’en tant qu’éditeur, et maintenant scénariste de bande dessinée. Autant vous dire qu’un tel duo qui s’associe pour écrire de la fantasy, ça s’apprécie.



Le double corps du roi nous invite à un voyage surprenant. Le décor fait clairement penser à la Grèce antique, les technologies sont puissantes, les destins épiques et l’heure au coup d’État. Dès les premières lignes, nous sommes plongés dans l’action : le général Déléthérion s’allie aux Eizihils, des insectoïdes aux abois, pour renverser le monarque de sa cité, Déméter. Ledit monarque se défend comme il peut, mais seul survit son favori Égée Seisachtéion qui emporte avec lui l’armure royale, l’Hérakléion. De ce point de départ, le roman dérive sur deux axes principaux : l’organisation du royaume après le coup d’État (que choisir comme nouveau régime, par exemple) et l’organisation d’une résistance dans un environnement hostile aux confins du royaume (la Canopée est recouverte de forêts impénétrables et renferme bien des secrets).

En bon petit apprenti historien, quand j’entends « double corps du roi », je pense directement au XVIe siècle français qui a mis en valeur l’adage « Le roi est mort. Vive le roi » afin de concrétiser l’usage qui veut que le roi est à la fois une personne et l’incarnation d’une entité qui, elle, ne meurt pas mais est transmise au successeur (d’où l’importance de connaître l’héritier). Ici, certes, il y a cette idée qui traîne mais de là à dire que c’est un roman qui s’est construit sur ce concept, c’est poussé un peu trop loin, car le récit se focalise davantage sur des personnages complexes et cette situation de coup d’État qui l’est tout autant, même si le questionnement de la potentielle majesté des prétendants est posée.

La gêne posée par ce roman est peut-être concentrée dans l’Hérakléion, le véritable enjeu des confrontations. Cette armure royale est bien plus qu’un ornement, puisqu’elle recèle une technologie largement supérieure à ce qui peut se faire alentour et donne à son détenteur la possibilité de faire à peu près tout ce qui lui vient à l’esprit en terme de destruction massive. L’aspect super-héroïque joue à plein avec cet artefact… et, pourtant, à aucun moment, son utilisation n’est vraiment profitable à son détenteur : soit parce qu’elle le gêne, soit parce qu’il décide pour des raisons morales de ne pas l’utiliser et doit la cacher, la faisant devenir comme un poids à nos yeux de lecteur.



En somme, Le double corps du roi n’est pas la merveille qu’on aurait pu imaginée, mais c’est un roman très bien référencé et qui se lit avec grand plaisir.



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Le monde de Julia

Dans un avenir post-apocalyptique, la petite Julia est protégée et élevée par un robot, Roland17 ; tous deux vivent isolés dans la montagne. Loin de là, Darius, un adulte, appartient à un clan qui en côtoie d’autres dans les ruines de la civilisation, clans qui représentent des modèles de sociétés différents dans un environnement dystopique où les confrontations sont possibles.



Ce court roman est un conte de philosophie juridique, sur le modèle du monde de Sophie. La jeune Julia grandit et, sous la houlette de Roland 17, elle explore les concepts de liberté ou d’égalité, ainsi que des principes juridiques de base comme le droit naturel, en prenant référence sur la mythologie antique ou l’histoire des idées. Darius, quant à lui, doit traverser les autres clans qui se réfèrent à des livres anciens (nos livres de science-fiction d’aujourd’hui) et qui ont fondé des communautés d’après des préceptes inspirés de romans, préceptes qu’ils ne comprennent pas toujours, voire dont ils ignorent que ce ne sont que des inventions d’écrivains ou de réalisateurs de films.



Construit sur des chapitres courts alternants les aventures de Julia et de Darius, le principe du roman est séduisant, même si parfois il n’échappe pas à l’écueil du catalogue (notamment les clans et leurs modèles de société que cite Darius). L’arc narratif de Julia est attrayant, car il est souvent empreint de poésie et de simplicité, ce qui n’empêche pas de décrire quelques concepts juridiques fondamentaux. Des grands penseurs y font une apparition dans ce qui prend l’allure d’une fable.



L’histoire de Darius, quant à elle, ne manque pas d’ironie, notamment grâce aux références culturelles SF détournées, mais elle n’évite pas, quelquefois, l’artificialité : on comprend qu’elle n’est qu’un outil pour présenter certains concepts, au détriment du scénario lui-même dont on ne sait pas où il va ni pourquoi.



La conclusion utilise des fondamentaux de la SF avec intelligence, si on oublie Robespierre qui plaide en sa faveur sans être contredit.



Un court roman intéressant par son concept, dont les défauts sont visibles, mais qui s’évertue à présenter les grands principes juridiques pas toujours connus du grand public.


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Tancrède : Une uchronie

Pour résumé il s’agit la quête idéelle d’un idéaliste : un personnage empathique qui cherche à imposer la paix pour trouver la paix. Et pour un connaisseur, je dirais que le réel point de divergence est la mort de Bohémond lors de la prise d’Antioche suivie de l’armée turque qui rebrousse chemin ou lieu d’assiéger les croisés dans la cité.



Car la partie l’Apostat est particulièrement bien documentée d’un point de vue historique : la démarche est très séduisante de s’immerger ainsi dans la 1ère Croisade avec la narration à la 1ère personne, et mieux on connaît les événements réels et mieux on peut apprécier le récit d’Ugo Bellagamba qui nous mène de la Sicile à Jérusalem.



La 2e partie, dans laquelle l’appellation uchronie prend tout son sens, m’a moins séduit : multiplication des ellipses temporelles, écriture plus froide, narration plus détachée, introspection beaucoup plus intellectualisée. Un style particulier aussi caractérisé par la concision (les phrases courtes constituent l’essentiel de sa prose) qui masque une grande maîtrise de la langue française, qui s’épanouit dans les trop rares passages descriptifs. Pour le meilleur et pour le pire, j’ai un peu retrouvé le ton, le style et les thèmes du cultissime René Barjavel ! Bohémond, Raymond de Saint-Gilles, Godefroy de Bouillon, les Pierres de Sang… avaient une présence qu’on retrouve moins dans Gaston, Clorinde, le Vieux et ses Assassins, qui sont plus dans la réflexion que dans l’action. D’ailleurs tous ses personnages auraient effectivement mérité quelques pages de plus.

Heureusement l’unification de l’umma et le lancement du djihad permet au récit de ne pas terminer en eau de boudin.



Religion, fanatisme, violence, manipulations, personnages qui doutent d’eux-mêmes et de leur mission, j’ai vu en Tancrède, Gaston, Clorinde, le Vieux de la Montagne… de nombreux protagonistes du "Prince du Néant" : Sarbon et Tancrède même quête ? Achamian et Gaston même combat ? Heureusement que les 2 œuvres ne boxent pas du tout dans la même catégorie, car la comparaison aurait été quand même rude avec le chef d’œuvre de Richard Scott Bakker.



Ce "Tancrède" me donne envie de me replonger dans "Les Croisades Vues par les Arabes" d’Amin Maalouf, mais aussi dans les nouvelles très intenses de R.E. Howard contenus dans le recueil "Le Seigneur de Samarcande". Car nombre d’acteurs des croisades sont de parfaits candidats à des romans historicisants ! (je pense notamment à Conrad de Montferrat, aux sonorités quasiment howardiennes, qui serait quasiment devenu roi de ses propres mains s’il n’avait été assassiné par 2 envoyés du Vieux de la Montagne à la sortie de sa messe de couronnement)



Ce "Tancrède" donne aussi envie de (re)lire :

- la "8e colline de Rome", un roman complètement historique pour le coup qui se déroule dans la Nice romaine

- l’excellent "Double Corps du Roi" coécrit avec Thomas Day !

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Dictionnaire utopique de la science-fiction

Dans le train de retour des Utopiales, c'est avec appétit et logique que je me suis lancé dans la lecture de ce Dictionnaire utopique de la science-fiction par Ugo Bellagamba, une figure de la SF française. À ne pas confondre avec "Hey, la gambas!". Vous n'avez pas demandé de jeux de mots foireux ? Vous en aurez.



Le Dictionnaire, dans l'ensemble, est bien tenu ; la plume savante de Bellagamba donne une profondeur historique à la dizaine d'entrées. J'en ai retiré un tas de suggestions pour ma pile à lire (pile à acheter déjà, tsundoku oblige) ! D'une qualité assez égale, j'ai noté quelques entrées qui m'ont davantage intéressé.



"Femmes" nous donne l'occasion de retrouver les noms des grandes Mary Shelley, Élisabeth Vonarburg ou encore Marie de Gournay, mais le chapitre manque d'un souffle nouveau. Dans ces quelques pages, le livre aurait pu donner de la place aux autrices plus récentes ou des romans plus récents aux héroïnes utopiques.



Le micro-focus sur Orange Mécanique, son nihilisme absolu, dans "Violences", est une réussite. Le parti pris de Bellagamba de mentionner dans "Contacts" uniquement les figures extraterrestres positives (ou pas négatives en tout cas) était percutant et intelligent. J'ai beaucoup aimé cette entrée qui retrace la recherche d'une altérité complexe et bienveillante par nos auteurs de science-fiction.



A contrario, "Cyberpunks" m'a déçu : si l'essence du courant cyberpunk est maîtrise par Bellagamba, l'auteur se montre d'un poil de snobisme tout étrange lorsqu'il évoque l'évolution et la réappropriation du genre par la pop culture (il parle notamment de Cyberpunk 2077). C'est une sortie surprenante : l'auteur s'estime juge de la dignité des œuvres à figurer dans la classification SF utopique/dystopique. Comme si un comic comme House of M ou des jeux comme Dishonored ou Deus Ex n'avaient pas la légitimité ou la hauteur de vue pour se retrouver estampillés. Ça m'a chagriné autant que m'irritent les tenants de la littérature dite classique qui étalent leur mépris de la littérature qu'ils appellent "de genre". Encore une fois, j'ai été étonné car l'auteur ne se prive pas de faire référence à cette même pop-culture.



Au final, une somme intéressante des connaissances et de l'histoire de la culture, en particulier de la littérature, utopique et dystopique. J'aurai aimé une meilleure prise en compte de l'évolution des références, ce qui n'enlève rien à la qualité de celles citées. Il est parfois bon de mettre à jour son logiciel et de s'interroger sur ses propres références.



Merci à Babelio pour ce MC et aux éditions Le Bélial pour ce beau Dictionnaire !
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Dragons

Avec cette anthologie « Dragons », les éditions Calmann-lévy proposent de nous faire découvrir pas moins de dix-huit textes nés de la fertile imagination aussi bien d'auteurs confirmés comme Thomas Day, U. Bellagamba ou encore Charlotte Bousquet, que d'auteurs moins connus... et qui le resteront malheureusement pour moi puisqu'on ne trouve aucune présentation, même succincte, des différents participants. De même, il est un peu dommage de démarrer l'ouvrage abruptement par la première nouvelle sans qu'il n'y ait de préface nous présentant en quelques mots le sujet et la ligne principale de cette anthologie (la présence de belles illustrations en noir et blanc au début de chaque nouvelle est cependant très appréciable). Tour à tour bêtes malfaisantes faisant la ruine d'une ville ou d'un peuple, monstres incompris et persécutés, divinités aériennes à la beauté majestueuse, légendes inlassablement recherchées mais toujours insaisissables et rarement comprises..., les auteurs explorent ici différentes facettes de cette créature mythique et désormais emblématique du genre de la fantasy. Le résultat est mitigé, la première partie de l'anthologie étant assez difficile à digérer et manquant trop souvent d'originalité, tandis que la seconde se relève de très grande qualité.



Impossible dès qu'il s'agit de critiquer un ouvrage de ce type de parler de tous les textes, surtout lorsque ceux-ci sont aussi nombreux qu'ici. Je me contenterais donc de citer ceux vers qui penche ma préférence, même si certains non mentionnés méritent également le coup d’œil. Commençons par la nouvelle de Philippe Guillaut qui signe avec « Quelques bêtes de feu et d'effroi » le plus beau texte de cette anthologie et nous entraîne au cœur de l'époque tourmentée des Diadoques où un soldat et un poète se lancent en quête des légendaires créatures du dieu de la guerre Arès. Le style y est extrêmement travaillé et d'une grande poésie, de même que l'intrigue par laquelle on se laisse aisément embarquer. Estelle Faye réussit également son coup avec « Suriedad », nouvelle mettant en scène un dragon des mers et un marin destiné à purger le monde. De même pour Johan Héliot qui nous fait vivre avec « L'huile et le feu » l'enquête d'un shérif d'une bourgade insignifiante des États-Unis du XIXe où se mêle trafic de femmes chinoises, complot organisé par une secte à la Ku Kux Klan, et évidemment saurien de taille gigantesque. Thomas Day, enfin, signe comme toujours un texte captivant comprenant son lot de personnages attachants et un univers intéressant et que l'on devine d'une grande richesse.



Au final, si l'ouvrage souffre de quelques défauts, notamment dans sa première partie, il serait toutefois dommage de passer à côté de certaines nouvelles qui valent franchement. le détour. « Dragons » est donc un bel hommage à ces créatures légendaires qui ne cessent de titiller notre imagination depuis des siècles et qui prennent ici vie le temps de quelques pages.
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Le double corps du roi

Je vais tout de suite mettre en avant le principal défaut du livre : il est bien trop court ! 300 pages seulement pour ce one-shot : on aurait facilement pu avoir le double voir le triple tant la matière est riche.



Il faut aller au-delà du titre qui fait référence aux travaux d’Ersnt Kantorowicz sur la monarchie française. Après "le Rouge et le Noir" de Stendhal, voici "le Rouge et le Vert" coécrit par Ugo Bellagamba et Thomas Day : la synergie entre les styles et les thèmes forcent le respect car l’alchimie fonctionne à merveille.



Le Rouge :

Déméter, le roi Yskander, le poète Égée, le contrebandier Solon, le rebelle Thésée, le collabo Aristote, l’Exécuteur Ixion, le navire Odysseus, l’armure Héraklion, la Phuséios Théias… et la caste guerrière des Magmatiques qui fait indubitablement penser aux armées romaines !

Ugo Bellagamba aime l’Antiquité et cela se voit !



Le Vert :

La Canopée, la Sylve, les strates herbacées, les strates arboricoles, les villarbres, les fougères détrempées, les sous-bois chargés d’humidité… et cette immense verte dans laquelle vont se perdre les personnages fait indubitablement penser à l’Amazonie !

Thomas Day a aimé les forêts tropicales et cela se sent !



Et pourtant on est très loin d’une "Forêt d’Emeraude antiquisante à la sauce fantasy.



Les images se bousculent dans ma tête : Alexandre le Grand, François Ier, Henri IV, Louis XIV, Napoléon III, le Général Boulanger, Charles de Gaulle, Jean Moulin, le Maréchal Pétain…

Un roman très politique donc très politisé ! Mais il est aussi psychologique avec les plongées introspectives dans les pensées de personnages souvent déchirés. Mais il est aussi écologique : doit-on adapter l’environnement ou s’adapter à lui ? Les tribus de la Sylve sont finalement plus proches des insectoïdes eizihils du Désert de Sel que de leurs congénères Thaumaturges.

Quand à l’univers : Antiquité ou Renaissance ? Bronzepunk ou Clockpunk ? Difficile de trancher ! Armures mécaniques, armes à feu ou incendiaires, chimères cristallines changeformes, navires à vapeurs, submersibles, engins volants… sans parler des généticiens canopéens et de la surpuissante Héraklion !





Le livre est divisé en 3 parties, qui aurait pu chacune avoir vocation à constituer un roman entier :



Tout commence avec un souverain éclairé qui veut amener son peuple vers la modernité et la prospérité : annulation des dettes paysannes, redistribution des terres arables, fin des monopoles nobiliaires, création d’une assemblée du peuple… déplaisent fortement aux classes privilégiées qui sont persuadées qu’il n’existe rien de plus dangereux que d’élever le bas peuple au dessus de sa condition qui est d’obéir et de travailler sans broncher !

Les aristocrates arrivistes rêvent d’une oligarchie… Les prélats pervertis rêvent d’une théocratie… L’appât du gain étant leur seul motivation, les élites conservatrices s’allient pour soutenir le programme de Révolution Nationale d’un pervers narcissique qui ne rêve que d’une monarchie absolue qui amènerait une nouvelle ère de grandeur (la sienne bien sûr, les autres n’existent que pour servir ses ambitions).



I) L’Avènement d’Absû Déléthérion = Coup d’Etat





II) La Vengeance d’Egée Seisachtéion= Résistance





III) Le Destin d’Eiroénée = le choc des civilisations





On peut regretter les choix effectués qui nous parle d’héroïsme mais nous prive de véritable héros auxquels s’attacher avec cette structure tripartite et ses ellipses centrée sur 3 personnages différents mais semblables. Et attention aux scènes d’assassinats, de batailles ou de torture, qui n’épargne rien ni personne y compris le lecteur. Néanmoins un roman très original, très riche et très intéressant ! Enjoy
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Tancrède : Une uchronie

Ugo Bellagamba nous entraîne avec « Tancrède » dans un Orient du XIe siècle en pleine mutation, bouleversé par l'arrivée des armées chrétiennes envoyées dans le cadre de la fameuse Première Croisade. Pour son premier roman solo (il en avait déjà co-écrit deux avec Thomas Day), l'auteur a donc opté pour un mélange de fantasy et d'histoire et nous propose une uchronie centrée sur la personne du prince normand Tancrède de Hauteville. Le principal attrait de l'ouvrage réside avant tout dans la reconstitution du contexte historique à propos duquel l'auteur s'est manifestement abondamment renseigné. Les alliances, les trahisons, les batailles, les sièges, les massacres... : Ugo Bellagamba revient sur les différentes étapes de cette première « guerre sainte » à mesure que les croisés progressent de ville en ville, de Nicée à Jérusalem en passant par Antioche ou encore Dorylée. Des noms emprunts d'un certain exotisme qui donne l'occasion à l'auteur de proposer une vision de cet Orient du XIe siècle particulièrement saisissante, pleine de beauté et de mystère et surtout jamais caricaturale.



L'intrigue est quant à elle relativement bien ficelée et c'est non sans une certaine avidité que le lecteur suit les pérégrinations du protagoniste qui va devoir surmonter bien des épreuves et va parcourir bien du chemin. D'un chevalier chrétien sûr de sa foi à un apostat rejeté par ses paires en passant par un espion-assassin : les rôles endossés ne manquent pas et leur diversité tient sans mal le lecteur en haleine tout au long du roman. Un bémol toutefois : le personnage de Tancrède qui ne m'a que peu touché. En dépit de l'intérêt que l'on porte au long cheminement intellectuel suivi par le héros, on peine en effet à s'attacher à ce chevalier trop froid, trop distant dont on ne parvient pas toujours à bien saisir la personnalité et les véritables motivations. Les personnages secondaires peuvent quant à eux paraître quelque peu effacés au début du roman mais, fort heureusement, l'auteur nous offre dans la seconde partie une galerie de portraits très réussis et, pour le coup, plus marquants que le personnage de Tancrède lui-même.



Ugo Bellagamba signe avec « Tancrède » un bon roman dans lequel il se plaît à modifier le parcours d'un chevalier chrétien parti entreprendre la Première Croisade. L'auteur mêle ainsi savamment fantasy et Histoire et, si le personnage principal peine à convaincre, on en reste pas moins saisi devant la vision proposée ici de cet Orient du XIe siècle revisité.
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Utopiales 2012

En Résumé : J'ai passé un bon moment avec cette anthologie qui nous offre des textes variés et plaisants même si, j'avoue, certains m'ont plus ou moins accrochés. On se laisse tout de même facilement captiver par des textes divertissants, intelligents, nous forçant à réfléchir et à se poser des questions sur des sujets souvent d'actualité et aussi qui ne manquent pas, parfois, de poésie et de magie. Comme je l'ai dit tous les textes ne sont pas au même niveau, mais, au final, on retrouve avec ce livre une anthologie de nouvelles de SF divertissantes et efficaces et qui se laisse lire avec plaisir.



Retrouvez ma chronique complète sur mon blog.
Lien : http://www.blog-o-livre.com/..
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Le double corps du roi

Voilà un roman bien atypique que ce « Double corps du roi » qui prend le parti d'un mélange des genres (fantasy-science fiction)... et le résultat se révèle au final une très bonne surprise. Il faut dire que le roman est le fruit du talent de non pas un mais deux auteurs : Thomas Day, l'une des figures phares de la fantasy françaises actuelle, ayant déjà à son actif un nombre conséquent d'ouvrages (« Women in chains », « Du sel sous les paupières », « L'instinct de l'équarisseur »...) et Ugo Bellagamba, historien mais aussi écrivain dont la très bonne uchronie « Tancrède » a connu un important succès. C'est donc de la collaboration de ces deux auteurs qu'est né ce roman assez court mais néanmoins très dense. Le lecteur y découvre un monde fortement inspiré de la Grèce antique (tant au niveau de la géographie que des noms employés) dont l'équilibre se retrouve bouleversé par un coup d'état.



L'intrigue peut, certes, paraître basique mais n'en reste pas moins efficace, d'autant plus qu'elle est étoffée par de très bonnes idées, notamment celle de l'Hérakléion, cette fameuse armure à la fois symbole et mémoire de la monarchie. Le principal atout de ce roman reste toutefois l'univers élaboré par les deux auteurs et qui lui se distingue nettement par son originalité et sa richesse. Des palais aux bas quartiers de la ville de Déméter en passant par la forêt luxuriante et mortelle de la Canopée, on peut dire que les décors évoqués ont de quoi éveiller notre imagination et c'est un véritable plaisir de les arpenter et d'en découvrir les coins et recoins. Les personnages sont également très réussis, qu'il s'agisse des protagonistes ou même de ceux que l'on ne croise que très brièvement comme le jeune idéaliste Thésée ou le sage Mamayoun. Le style, enfin, est extrêmement soigné et donne lieu à de très beaux passages et à des dialogues qui sonnent toujours justes.



Une bonne découverte et une association qui fonctionne à merveille. Les deux auteurs ont d'ailleurs également collaboré pour l'écriture d'un autre roman (de science-fiction, cette fois), « L'école des assassins ».
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Tancrède : Une uchronie

Nous voici partis pour la première croisade, guidée par Godefroy de Bouillon. Nous lisons le journal d'un jeune chevalier exalté, Tancrède, qui vit dans l'absolu - donc difficile à comprendre vraiment pour moi. Nous le voyons réagir aux atrocités et aux "arrangements" politiques dans ce qui devrait être selon lui une guerre d'un tout autre genre. Il se rend compte là que l'honneur et l'amour de Dieu ne sont pas vraiment dans le camp qu'il croyait et finit par se retourner contre ses anciens alliés.

La deuxième partie, l'uchronie, le voit vivre parmi les Assassins, une secte chiite, qui a des ambitions politiques. Cette partie m'a moins accrochée car Tancrède y est à nouveau sûr de lui, de ce qu'il doit faire, moins intéressant finalement.

Ce livre est un curieux mélange d'exaltation de la foi et de géopolitique et on ne sait jamais trop sur quel pied danser. Ce grand écart n'est pas toujours facile à comprendre et à apprécier.
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L'origine des victoires

Marre des superhéros, ces nouveaux veilleurs autoproclamés issus de la culture pop ?

Alors, rappelez-vous les Victoires de la culture antique. Et si comme moi, inculte, ça ne vous dit rien, pas de problème : Ugo Bellagamba a eu la bonne idée d'orchestrer une session de rattrapage. J'y étais, et j'ai tellement aimé que j'y suis retourné !





Pour autant, point d'essai historique ici. L'auteur — « l'une des plus belles plumes de l'imaginaire », ce que je ne contredirai pas — revisite la figure divine en lui donnant une portée universaliste et en la mêlant à des enjeux plus élevés encore.

Car dans ce roman, il n'est pas question de batailles ou de guerres entre les peuples, mais bien d'une lutte sans merci, pratiquement éternelle, entre les humains et un esprit prédateur venu du fond des âges et de l'espace : l'Orvet. Celui-ci se nourrit de la douleur et de la perversion des âmes. Les Victoires, bien réelles, sont les hussardes de ce combat à mort. Les hommes, eux, n'ont pas conscience de cette guerre de chaque instant. Ils SONT le terrain de la guerre.

L'origine lointaine de l'Orvet, son "background", ainsi qu'un chapitre situé dans un avenir plus ou moins lointain, donnent la touche S.F. à ce roman.



Derrière cet Orvet, monstre de puissance et d'avidité, on lit sans difficulté la figure du diable. Un diable plus cosmique que sous-terrestre, mais un diable qui reste très classique, avec ses pouvoirs de corruption et de possession, son goût pour le jeu et son sens du raffinement.

L'auteur joue donc sur deux tableaux, avec d'une part la figure de la Victoire, d'autre part celle du diable.





Le récit est une succession d'épisodes racontant cette guerre invisible (du point de vue des hommes). Huit récits, huit moments historiques ou à venir, huit Victoires, huit passes d'armes.

L'écriture est très belle, évocatrice. Rendre l'intemporalité et la globalisation du combat n'était pas évident. L'auteur a fait le choix de couvrir largement les époques tout en se concentrant sur une région donnée. C'est un excellent choix à mon avis, qui écarte le risque d'éparpillement, et on n'a aucune peine à imaginer le conflit à une échelle globale. Géographiquement, l'action reste centrée sur le sud-est de la France et ravira les amoureux de cette région, car les descriptions sont très belles. Un choix qui fait sens compte tenu des origines latines du mythe des Vicoires. Les affinités personnelles de l'auteur n'y sont sans doute pas non plus étrangères : son admiration pour les paysages de la Provence et son histoire est palpable, et c'est peut-être là que réside le secret du charme envoutant de ces récits.



L'écriture est très belle donc, avec un style évocateur mais sachant rester simple, avec une pointe d'érudition quand il le faut. Chaque époque a son atmosphère propre. Surtout, il y a une très grande maitrise de la scène. Les chapitres sont construits autour d'une scène principale, très visuelle, bien amenée et percutante à la fin. Il y a de l'enrobage, parfois avant, parfois après, mais en gros tout tient dans ces scènes isolées, et cela est rendu possible par la forme du roman. Des scènes mémorables, où la suggestion fait tout, comme cette image des deux hommes qui descendent — lentement — le chemin menant à la calanque de Morgiou. Où encore, le curé qui pénètre dans le compartiment du train.





Les époques visitées nous font d'abord remonter le temps (1973, 1932, 1881, 1270...) puis oscillent entre futur et passé en gagnant de l'amplitude. J'ai trouvé le procédé habile, en ce qu'il permet une rentrée dans l'univers en douceur : on découvre l'intrigue et le schéma dans un cadre relativement familier.



Le schéma récurrent (un chapitre, une époque, une Victoire, un combat) pourrait lasser, mais il n'en est rien : l'auteur distille progressivement les éléments de mystère entourant les Victoires, et varie suffisamment les points de vue au cours des chapitres pour maintenir l'intérêt. On aura ainsi, tour à tour, la vision des Victoires, celles des "jouets" de l'Orvet (humains possédés, affectueusement nommés "orvets" par l'intéressé), et celle de l'Orvet lui-même.

L'issue varie également, ce qui tempère quelque peu l'impression de combat inégal.

Les Victoires elles-mêmes, si elles partagent des traits de caractère fort, ont leur caractère propre et ne sont pas exemptes de défauts.



Enfin, chaque histoire est nettement isolée des autres, ce qui pourrait donner l'impression confuse d'un recueil de textes apparentés. Cet aspect est largement compensé par l'unité de lieu choisie par l'auteur, par l'unité de l'Orvet - esprit surpuissant qui traverse les époques, et surtout par la poursuite assidue du but de ce dernier au fil de l'histoire, avec une issue finale en ligne de mire.

Il existe aussi quelques fils ténus (parfois de simples références comme les Métamorphoses, d'Ovide) reliant les histoires les unes aux autres.





Sur le plan des idées, il faut noter que le roman de Bellagamba, en donnant le premier rôle à des femmes particulièrement courageuses, s'accorde bien à notre époque.



Surtout, la figure de l'Orvet — un diable à peine déguisé — offre à l'auteur un levier simple et efficace pour distiller une critique de la nature humaine.

C.S. Lewis utilise le même procédé dans Tactique du diable, mais sous une forme qui m'a laissé de marbre. En effet, la narration, l'intrigue et l'immersion sont inexistantes dans le roman de Lewis. En un mot, le divertissement s'efface au profit exclusif d'une critique de la morale et de la société. Une critique argumentée, ironique et érudite, mais une critique tout de même, exclusivement.

Je ne pense pas que l'approche de Bellagamba soit fondamentalement meilleure, mais elle correspond davantage à mon idéal en la matière : une belle histoire (plusieurs en l'occurrence), un talent de conteur certain, une immersion réussie, le tout au service d'un message. Ce dernier n'atteint sans doute pas les développements et la finesse de celui de Lewis, mais il s'entend aussi bien, voire mieux. En prime, une réflexion tout actuelle sur l'éthique sociale à l'ère des biotechnologies, préfigurant de dix ans les dérives observées lors de la gestion du covid).





Allez, pour finir une petite citation qui m'a fait penser aux Jedi de la guerre des étoiles :)

« Chérie, c'est moi qui ai formé ta mère. Une Victoire très douée, elle était. »
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Le monde de Julia

J'avoue ne pas avoir tout saisi. Pourtant, je n'ai absolument rien contre la philosophie, et la philosophie politique en particulier. Suivre des raisonnements, je suis censée savoir. Mais là, j'ai décroché par moments. Pas que ce soit mal écrit, bien au contraire. Mais ce peu de pages était dense, très dense. Julia était attachante, son robot aussi. Découvrir les différentes sociétés en sous-sol était intéressant. Par contre je n'ai pas tout compris à la fin. Je n'ai pas compris le choix final. Littéralement : je n'ai pas vraiment compris ce qui a été choisi, et si c'est bien ce que je pense : pourquoi ? pourquoi ce choix en 3 lignes ?

une lecture qui me laisse donc dubitative.
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Le double corps du roi

Ce roman écrit à quatre mains en 2003 contient tous les ingrédients classiques de la fantasy : schéma bien connu à la Monte Cristo dans un décor largement inspiré de la Grèce Antique : trahison /usurpation/vengeance . Peuples et mœurs exotiques (insectoïdes,fusion végétal/humain …) , arme « magique » etc.. Il présente aussi des originalités : héros homosexuel, mélange de technologie et de magie…. Malgré (ou à cause de ) la très grande richesse en thèmes et en inventivité , je ne suis pas séduit: trop d’éléments manquent d’approfondissement et sont de ce fait simplement décoratifs ( les Eizihils , les différents ordres de Déméter..) , les personnages sont schématiques et stéréotypés , la résolution peine à convaincre.
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Le double corps du roi

Des romans de fantasy inspirés par la période médiévale, je pourrais t’en citer vingt-cinq mille milliards – à un ou deux près – qu’on aurait à peine effleuré le début du commencement d’une liste exhaustive. Des romans de fantasy inspirés par un médiéviste, le décompte tient sur une main, voire un seul doigt. Et t’avoueras que deux corps de roi sur un index, ça se pose là dans la catégorie prouesse d’équilibriste.





Si tu as lu les travaux d’Ernst Kantorowicz, il ne t’aura pas échappé que Le double corps du roi leur fait écho. Si tu ne les as pas lus, même chose, vu que le nom du père Kanto est cité en quatrième de couverture. Alors par contre, dans le second cas, tu n’es pas plus avancé sur le rapport entre les deux œuvres…

Pas de panique ! Il se trouve que j’ai lu Kantorowicz durant mes vertes années estudiantines, je vais donc pouvoir t’en toucher un mot pour contextualiser le bazar.

Son grand œuvre, à Ernst, c’est un bouquin sorti en 1957 et intitulé The King’s Two Bodies. A study on medieval political theology. Ouais, en histoire, on considère que plus l’ensemble titre/sous-titre est long, plus ça fait sérieux. Bref. Enfin pour le coup, non, dans le genre bref, c’est raté…

Dans les années 50, on le sait tous, les galères américaines mettent très longtemps pour rejoindre le Vieux Continent à la force de leurs petites rames. Il faut donc attendre 1989 pour une traduction française sous le titre Les Deux Corps du Roi. Deux corps, double corps, ça va ? Tu suis ?

Excellent, l’ouvrage fait partie des incontournables aux côtés de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II de Fernand Braudel et Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 d’Emmanuel Le Roy Ladurie.

Pour résumer à grands traits son propos, Kantorowicz traite de la conception médiévale de la personne et de la charge royales, leur représentation, leur symbolique, leur construction. Cette “théologie politique” vise à assurer la continuité du pouvoir via la transmission du bousin monarchique d’un souverain à son successeur dans un cadre posé comme légitime.

La thèse de Kantorowicz est que le roi possède deux corps. Le premier, comme tout un chacun, est physique et mortel. Quand il claque, “le roi est mort”, fin de partie pour lui. Le second, le corps politique, est immortel et se transmet au suivant de la lignée. “Vive le roi”, le nouveau, qui vient de passer par la case départ et rafler la mise constituée du pouvoir royal et du royaume.

En deux mots, une histoire de continuité et de légitimité.





Ugo Bellagamba (La Cité du Soleil) et Thomas Day (La Voie du Sabre, L’instinct de l’équarrisseur) partent de cette base pour ouvrir Le double corps du roi sur une rupture.

À Déméter, Absû Déléthérion fomente un coup d’État, bute le roi Yskander et se proclame régent. Sauf que voilà, régent, par définition, c’est de l’intérim, du temporaire. Pour garder les miches sur le trône, il lui faut légitimer son pouvoir. Avec une expérience de régicide sur son CV, sa candidature s’annonce mal engagée. Déléthérion a bien la force pour lui et aucun scrupule à l’utiliser, mais le règne de la terreur s’annonce usant, à surveiller et déglinguer tout et tout le monde. Il préfèrerait être reconnu comme souverain légitime et régner pépère avec l’appui des castes qui tiennent le haut du pavé.

La solution ? L’équivalent local des regalia. Les rois de France recevaient lors de leur sacre un barda de couronne, sceptre, épée, main de justice, éperons et manteau assez grand pour servir de chapiteau, ceux de Déméter se contentent d’une armure. Mais attention, pas n’importe laquelle, une forgée par un dieu : l’Héraklion. Symbole royal et symbole religieux, légitimité assurée. En plus, on ne parle pas d’un plastron standard de troufion. Rien moins que l’armure d’Iron Man croisée avec celle d’un chevalier d’or de Saint Seiya, ou à peu près.

Sauf que pas de bol, Égée Seisachtéion, pote de feu le roi, s’est fait la malle au fin fond de la jungle avec ladite armure pour la remettre à l’héritier légitime : l’enfant d’Yskander.





Tu l’auras compris à la lecture de ma version remasterisée de la quatrième – toujours plus fun qu’un bête copier/coller – le roman porte bien son titre de Double corps du roi. Le cœur de cette épopée, c’est une course entre Égée et Déléthérion pour faire coïncider un corps physique et un corps symbolique.

En vérité, ce bouquin dans sa totalité repose sur la notion de dualité (et le premier qui me sort “y a deux auteurs, lol” finit empalé au sommet d’une colline).

Le genre, tu te dis qu’il relève de la fantasy et en même temps, les éléments de SF abondent. La fameuse armure est un pur concentré de technologie qui pourrait avoir été conçu par les ateliers Stark Industry. À cheval entre les deux genres, je citerai les Eizihils, un peuple de guerriers insectoïdes qui ne dépareilleraient ni dans la gamme Dark Sun d’Advanced Dungeons & Dragons (les thri-kreen) ni dans Étoiles garde-à-vous ! de Robert Heinlein (Starship Troopers en VO).

“Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie.” La citation d’Arthur C. Clarke qui ouvre le roman pose d’entrée les bases de l’environnement, mi-antique-médiéval mi-futuriste. Pas anodin pour un roman sorti en 2003, en pleine période charnière niveau informatique et numérique. Je peux te dire que cette année-là en France, le rapport aux “nouvelles technologies” tenait encore de la magie. À peine un foyer sur deux équipé en ordinateur, le boom d’Internet n’aurait lieu que deux ans plus tard, pas encore de génération élevée aux mamelles du web et du smartphone. À l’époque, quand tu arrivais quelque part en disant “je m’y connais en informatique”, on te regardait comme un initié, un puissant sorcier 1.0, un prêtre du binaire implorant les bytes. Tu pratiquais l’imposition des mains sur le clavier pour guérir les bugs de Windows. Grâce à ta maîtrise de la langue des arcanes, tu rédigeais des grimoires que tu métamorphosais en pages web. Tel Merlin, Gandalf et Garcimore, tu étais un être de légende : un magicien !

Cette séquence souvenir pour dire deux choses. D’une part, évoquer la dualité science/magie présente dans le roman et, à travers elle, les notions de perception et d’interprétation. D’autre part, souligner que le rapport à la croyance magique n’est pas l’apanage des sociétés anciennes, il s’agit d’un thème intemporel (façon polie de dire qu’au XXIe siècle, on n’a pas beaucoup évolué pour se comporter encore comme des gros arriérés superstitieux).





Dualité enfin sur le schéma nature/culture qui oppose la Canopée et Déméter. Côté Déméter, de la référence lourde : Kantorowicz et les monarchies médiévales, une onomastique qui fleure bon la Grèce antique dans les anthroponymes comme les toponymes, une société tripartite bellatores-oratores-laboratores à la Dumézil… Soit une société hyper organisée et très avancée sur le plan technologique, mais inégalitaire et pas du tout portée sur la mobilité sociale, avec en prime un rapport à la nature fondé sur l’exploitation et la domination. En face, la Canopée fait figure d’utopie qui se rattache au corpus sur le “bon sauvage”. Symbiose avec la nature, coutumes qui paraissent délirantes aux yeux des “civilisés” et le tralala habituel de choc culturel.





Du double à tous les étages, truffé de références dans ses inspirations et influences. L’ensemble est construit et écrit avec intelligence, ce qui permet au roman de ne pas se limiter à un patchwork d’emprunts.

Le double corps du roi a aussi le mérite d’aller à l’essentiel. Chacune des trois parties qui composent le récit aurait pu, en d’autres mains, devenir un tome complet, avec world building à foison, bataillons de personnages, intrigues secondaires hors-sujet… Pour quoi faire ? Le roman raconte tout en 400 pages rythmées, avec une unité d’intrigue qui évite la dispersion et le remplissage ennuyeux.

À l’image des mythes grecs, le résultat est épique et tragique. Violent, aussi, à travers ce côté gore qu’on trouvait déjà dans l’Iliade et son festival de poitrines transpercées, dents éclatées à coups de lance et langues tranchées. L’esprit d’Homère sous une forme moderne.
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Utopiales 2012

Comme chaque année, voici le recueil de nouvelles édité en parallèle au festival des Utopiales de Nantes, cuvée 2012.

Une fournée ayant pour thème fédérateur les origines.

On y retrouve de grands noms de la SF (Gaiman, Bordage, Wilson...) côtoyant des auteurs moins connus.

Origine comme :

- les origines de l'univers version Pierre Bordage, dans le plus pur style Bordage, pour une nouvelle somme toute assez convenue

- les origines de la coopération entre humains et entités étrangères, dans une nouvelle de Sara Doke, qui ne m'a pas parlé

- les origines des extra-terrestres, dans une nouvelles du généralissime Robert-Charles Wilson, datant de 2000, sans grande surprise, mais où l'on retrouve la sensibilité et l'humanisme de cet auteur majeur

- les origines de la pensée par Nancy Kress, intéressante thématique, bien menée

- les origines...de quoi ? (sur ce coup là je sèche), selon Laurence Suhner, une nouvelle qui n'a éveillé aucun intérêt chez moi

- les origines des inventions (ou pas) dans un court texte de 7 pages qu'éclabousse de son talent Neil Gaiman, prouvant en si peu de mots qu'il est une star du genre

- les origines du futur, par Claude Ecken, dans un texte dur et touchant avec une chute inattendue

- les origines des dégats nucléaires par Tommaso Pincio dans une nouvelle dystopique sur les enfants de l'atome, très bien tournée et totalement cynique

- les origines du futur, encore, mais cette fois à travers le prisme de quatre yeux (Laurent Queyssi et Xavier Mauméjean), dans une nouvelle assez touchante

- les origines d'un totalitarisme très particulier, par Ayerdhal, en hommage à son ami disparu Roland C. Wagner, récit assez délirant, plein de verve et de bons mots.

Au final, un recueil inégal (comme souvent dans ce genre de compilation hétéroclite), avec certains récits valant vraiment le détour. Une anthologie plutôt intéressante, comme un melting-pot de ce que peut proposer les lectures de l'imaginaire.
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Le monde de Julia

Le monde de Julia est un petit roman assez didactique. Le roman comporte deux trames, je parlerai d’abord ici de la première avec Julia.



Julia est comme ces personnages de romans d’apprentissage du XVIIIe. A un moment, elle m’a un peu fait penser à Jacques le fataliste, accompagnée de son maître Roland-17. Puis un autre maître dont je vous laisse le plaisir de découvrir l’identité. Mais on est bien dans cette idée : un dialogue-promenade philosophique, gorgé des idées des Anciens et des Lumières, forgeant la croissance intellectuelle de Julia. Je pense que le roman fait aussi un gros clin d’œil au roman Le monde de Sophie de Jostein Gaarder dans le concept (et son titre).

Son histoire est principalement émaillée de ces dialogues qui pourraient paraître parfois saugrenus tant leur rattachement au récit pourrait sembler factice. On pourrait aussi juger ces leçons philosophiques sur le droit très artificielles. Ca m’a fait un peu penser à ces méchants dans les films qui, sur le point de gagner face aux gentils, perdent un temps fou à blablater, suspendant ainsi le temps et le compte à rebours qui ralentit inexorablement. Là, c’est un peu pareil, ce qui peut donner une impression d’artificialité importante.

Enfin, le ton didactique pourrait agacer pas mal de monde, je pense. Ajoutons à cela des confrontations d’idées piochées dans des thèses d’auteurs un peu oubliés (en ce qui me concerne bien sûr – ouh la la, j’espère que les auteurs ne passeront pas par ici), et la leçon peut vite devenir aride. Oui, le débat d’idées entre Hobbes, Locke, Platon etc. ressemble aux joutes rhétoriques grecques, qui peuvent passionner les uns et profondément assommer les autres.



Mais il y a un « mais ». Non, plein de mais en fait. Parce que je ne partage pas ce point de vue là et que je trouve à ce texte une multitude de qualités.



D'abord, selon moi, ça marche très bien. Parce qu’on renoue, d’une part, avec l’essence des romans didactiques et l’esprit est bien là. J’ai trouvé les échanges parfois badins, avec ce Roland-17 qui maîtrise à la perfection les nuances entre conviction et persuasion. De parfaits petits numéros bien exécutés – et personnellement, j’ai trouvé cela très savoureux, cocasse et franchement malin.

Ensuite, hé bien on ne s’ennuie pas. Personnellement, les grands textes conceptuels des Anciens et des Lumières me semblent difficiles à avaler (c’est comme manger des pois cassés nature sans une petite crème légère pour les accompagner). Or, Le monde de Julia apporte cette rondeur manquante aux propos, un dynamisme dans l’échange d’idées, et un rythme dans la pensée qui se forge. Et que ça donne presque envie de retourner à la source pour lire enfin ces grands noms. Et puis c’est passionnant, jamais ronflant, ni juste théorique. Il y a des questions que l’on se pose chaque jour et qui sont fondamentales : qu’est-ce qui fait société ? Peut-on garantir la liberté sans égalité ? Dans les crises (politiques, sociales, des institutions…), que nous traversons, remettre à plat ces points est loin d’être inutile.

Enfin, j’ai trouvé que la construction du roman permettait au propos plus didactique de bien s’intégrer au reste. Il se compose de deux trames, l’une avec Julia et l’autre avec un chef de clan qui tente de trouver des solutions pour dépasser cette logique fragmentaire, et de mettre en place une société fondée sur le vivre-ensemble. Ce faisant, j’ai remarqué que les chapitres, qui alternent les points de vue, se répondent. Comme si le chapitre centré autour de Julia était la leçon, et le chapitre suivant la mise en pratique. De ce fait, il y a un liant bien présent qui redonne une fluidité à l’ensemble.



Par ailleurs, remarquable la manière dont droit et SF s'associent.

J’ai écouté, au cours de ma lecture, le podcast d’un numéro de La science, CQFD d’avril. Natacha Triou y recevait les deux auteurs pour échanger sur ce roman atypique. Parmi les nombreuses questions posées, il y avait celle-ci : « pourquoi faire le choix de la SF pour évoquer des questions de droit ? »

Il est vrai que le mariage des deux peut paraître atypique. D’abord, les auteurs ont choisi le conte pour raconter leur histoire. On ne sait pas trop où l’on est ni quand, même si quelques indices épars nous permettent de nous en faire une idée. Le conte a une portée universelle. Julia est une enfant lambda, qui a perdu ses parents et est élevée par un tuteur dans un monde qui ne semble pas très doux. En somme, voilà un cadre qui semble bien familier. Peu importe que le monde décrit ne soit pas exactement le nôtre, car Julia est proche de nous et va vivre des expériences qui nous parlent. Et puis quoi de mieux qu’un conte pour instruire ?

D’autre part, et les auteurs l’ont bien expliqué, le droit est une fiction. C’est un voile qui recouvre le monde naturel pour qu’on puisse faire société, qui est aussi un artifice. Elle repose en effet sur des règles que l’on s’impose pour gommer les différences de force et de puissance, établir une égalité et garantir la liberté de chacun. Il paraissait alors évident pour les auteurs d’intégrer leur propos dans un genre fictionnel. La SF décrivant les sociétés et leur évolution comme des êtres organiques et vivants, il semblait alors logique que ce soit la SF qui s’empare de cette question, d’autant qu’il n’y a pas de société sans droit.



Je parle de droit depuis le début, mais Le monde de Julia est un roman de SF d’abord. Le monde qui nous est présenté est dystopique. On l’approche par le regard de Julia, jeune fille éprouvée par les expériences de la vie. Son monde est dépeuplé, la « civilisation » lointaine, dangereuse, et de ce que l’on comprend, il n’en reste pas grand-chose. Le second regard est celui de Darius et d’Artaban, en tout cas pendant un temps. Leur monde à eux est constitué de clans, qui répondent chacun à des règles issues de bouquins de SF. C’est assez rigolo de deviner de quel bouquin telles règles sortent. Je me souviens surtout de Terra Ignota, mais ce n’est pas la seule référence, les auteurs puisant aussi allègrement dans le cinéma. Le roman s’ancre donc dans une culture pop culture et SF bien établie.

J’ai parlé tout à l’heure des deux trames qui se relient formellement, entre théorie et mise en pratique. Mais au-delà de cela, il y a un vrai dialogue entre ces deux trames, qui évidemment vont finir par se rejoindre à un moment. Si le lien entre les deux peut paraître obscur pendant un bon moment, on voit le ciel s’éclairer peu à peu, et les connexions se font petit à petit. C’est très bien amené, et quand on comprend alors, on considère différemment ce qu’on vient de lire. Je trouve les deux fils fort bien menés, imbriqués, comme le parfait reflet du travail à 4 mains qu’ont réalisé les deux auteurs.

Ainsi, je dois dire que le dénouement m’a énormément surprise, parce que je n’ai rien vu venir. Plus que ça : je l’ai trouvé brillant. Si on doutait qu’on était dans de la SF depuis le début, là on est servis. On retrouve là plusieurs concepts bien connus de la SF, utilisés à fort bon escient. Je dois néanmoins avouer que je n’ai absolument rien capté à l’épilogue. Mais ça ne m’a pas chagrinée, puisque pour moi le final se suffit à lui-même. Fichtre, ça décoiffe. Bien pensé, inattendu, vertigineux. Et ce final provoque aussi pas mal d’émotions, ce qui pouvait peut-être manquer jusque-là.
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Le monde de Julia

Aïe, aïe, aïe! Ce texte avait pourtant bien commencé : Julia, petite fille vive et attachante, vit seule dans une station de ski abandonnée. Une catastrophe semble avoir bouleversé l'équilibre mondial, et les parents de Julia l'ont cachée loin du tumulte, sous la garde d'un robot androïde. Parallèlement à ce récit, on découvre la nouvelle organisation sociale d'un Etat, faite de clans et autres nations auto-proclamées, qui s'appuient sur des textes de l'ancien temps pour subsister.

Si, dans un premier temps, je me suis amusée à tenter de deviner de quelles fictions s'inspiraient les différents clans (Métro 2033 ou Star Trek entre autres), je me suis rapidement lassée de cette partie de l'histoire, qui m'a semblée anecdotique dans son déroulement et n'a jamais suscité mon intérêt. Quant à l'histoire de Julia, elle devient rapidement prétexte à une leçon pontifiante sur les notions de droit, d'égalité ou de liberté.

Ici la fin, qui permet aux auteurs de relier les deux récits, m'a semblée complètement artificielle et ne m'a pas permise de rattraper le reste du récit.

Un gros flop pour moi donc!



Roman lu dans le cadre du "Prix Imaginales des bilbiothécaires 2024"
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