Votre roman se déroule dans une société imaginaire où le pouvoir est aux mains des anciens. L’ouvrage est qualifié de fable satirique de notre société. L’avez-vous écrit dans cette optique critique ? Pensez-vous que nous puissions aboutir à une telle situation d’ici quelques années ?
Au départ, je n’avais pas d’intention particulière, j’avais juste l’envie de raconter une histoire. C’est pendant l’écriture du livre que je me suis aperçue qu’il y avait sans doute là une critique de notre société.
Il y a des situations que j’évoque dans le livre qui sont possibles, comme pouvoir remplacer un organe malade facilement, on y est presque. Je n’invente rien non plus lorsque j’écris que la population vieillit et que nous allons vivre de plus en plus vieux... Maintenant de là, à ce que la mode soit aux rides dans le futur, je n’en suis pas certaine. Est-ce que ça ne sera pas encore pire, et que plus l’espérance de vie grandira, plus on essaiera de retenir à tout prix la jeunesse... Quoi que ! Dernièrement, je suis tombée sur un article qui évoquait une nouvelle mode : assumer ses cheveux blanc où les teindre en gris avant l’heure, ce phénomène porte même un nom : Le Silver star ou l’étoile d’argent... Alors, sait-on jamais !?
Le monde que vous décrivez n’a rien de tendre : canicules à répétitions, censure, carcans sociaux… Doit-on y voir un appel au secours ?
Le monde que je décris est violent mais le nôtre ne l’est-il pas tout autant quand nous sommes sans arrêt bombardés de messages dans les publicités, les médias, le monde professionnel qui nous demandent d’être toujours plus performant, beau, jeune, mince... Sans parler des séniors qui ne trouvent plus d’emploi après cinquante ans, de ceux qui prennent des risques avec la chirurgie esthétique pour avoir l’illusion de gagner quelques années. Quand on voit le résultat de certaines interventions, ça fait peur !
Dans votre ouvrage, la jeunesse est pleine d’espoir et actrice du changement. Pensez-vous également que les clés vers un monde meilleur sont aux mains de la jeunesse actuellement ? Est-ce un fait nouveau ?
Je le souhaite et je les pense plein de ressource. Pour moi, ils sont porteurs d’espoir.
Thalia est malheureuse, cloisonnée sur le chemin que ses parents ont choisi pour elle (un mari, un travail, un rang social). A votre avis, quel rôle doivent tenir les parents à ce sujet ? Protéger ses enfants ou les laisser voler de leurs propres ailes ?
Au début du roman, Thalia pense à travers ses parents, elle ne sait pas qu’il existe d’autres voies possibles que celle qu’ils lui montrent. Elle va apprendre à travers les expériences et les rencontres qu’elle va faire, qu’il existe d’autres chemins... Pour ma part, je serais plutôt pour accompagner et soutenir les enfants dans leurs choix et leurs désirs personnels que de leur imposer les nôtres. Même si c’est parfois une voie difficile !
Dans cet univers, le livre papier n’existe plus, remplacé par des tablettes numériques. Pensez-vous que cette disparition est inéluctable ? Avez-vous une préférence pour l’un des deux supports ?
Mon histoire se passe dans le futur, j’ai imaginé cette éventualité là, tout en espérant qu’on n’y arrive jamais. En ce qui me concerne, j’ai une grosse préférence pour l’objet livre en papier, même si depuis deux ans, j’arrive quand même à lire certains ouvrages sur tablette. J’espère que les deux modes de lectures se compléteront plutôt que de s’opposer.
Comme Thalia, votre héroïne, pensez-vous qu’un livre puisse changer une vie ?
Oui, je pense qu’un livre peut aider à changer son regard sur la vie. On peut y trouver des réponses à des questions. Il peut aussi nous aider à nous sentir moins seul. Plus jeune, je cherchais dans les livres des émotions que je n’arrivais pas à formuler, et ça m’apaisait. J’écris dans cette optique, partager avec les autres des émotions.
Peut-on voir dans votre roman une critique des idéologies ? Pensez-vous qu’elles soient toutes mauvaises ?
Le problème est lorsque l’idéologie devient fanatique et qu’on ne peut plus l’arrêter ou quand elle devient invisible et normalisée.
Valérie Clo et ses lectures
Quel livre vous a donné envie d`écrire ?
L`étranger d’Albert Camus, j’avais 15 ans et je me souviens précisément du lieu où j’étais lorsque j’ai ressenti ce saisissement devant ce texte tout simple qui disait des choses profondes sur l’humain. Je me suis demandée comment il arrivait à créer cette magie ! Je m’en souviens comme si c’était hier. C’est ce jour là, je pense qu’est née mon désir d’écrire.
Quel est l`auteur qui vous aurait pu vous donner envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Il y a beaucoup de grands auteurs qui donnent des complexes ! Je pense que certains pourraient me donner envie d’arrêter de publier mais pas d’arrêter d’écrire !
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
C’est difficile de choisir un livre. Adolescente, j’ai adoré les nouvelles de Stefan Zweig, les romans de Pierre Boule, ceux de Colette, mais aussi tous les livres qu’on nous donnait à lire à l’école, Balzac, Flaubert, Voyage au bout de la nuit de Céline, les nouvelles de Maupassant. C’était vraiment ce que je préférais en cours de français. J’adorais me glisser dans l’univers d’un auteur. J’avais la sensation d’un bercement, d’un temps en suspend.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
L`étranger d’Albert Camus.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, j’ai essayé plusieurs fois, et à chaque fois je bloque, mais je ne désespère pas d’y arriver un jour.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« Je me jette à l’eau des phrases comme on crie, comme on a peur ; ainsi tout commence. » Louis Aragon
Il y a aussi la très belle phrase de René Char « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. »
Et en ce moment que lisez-vous ?
En ce moment, je lis Le plancher de Jeannot d’Ingrid Thobois aux éditions Buchet Chastel (collection Qui Vive). Très beau portrait sensible et poétique sur la différence et parfois l’incroyable créativité des psychotiques.
Entretien réalisé par Marie-Delphine
Découvrez
La tyrannie des apparences" de
Valérie Clo aux éditions
Buchet Chastel :

Les Gosses de
Valérie Clò aux éditions
Livre de Poche
https://www.lagriffenoire.com/6963-poche-
les-gosses.html
Gaïa de
Valérie Clo aux éditions
Buchet Chastel
https://www.lagriffenoire.com/1108984-article_recherche-
gaia.html
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Lorsqu'on croise une femme de mon âge, la premiére chose qui vient à l'esprit , en général, n'est pas qu'elle a aimé passionnément, qu'elle a désiré , tremblé devant son amant . On ne voit que sa vieille carcasse , sa peau usée et ses cheveux blancs . On imagine qu'elle a toujours eu cette tête-là . On l'observe se mouvoir avec difficulté et on oublie qu'elle a couru et dansé. On oublie aussi qu'elle a eu des responsabilités, quelquefois un travail prenant , souvent des enfants . Qu'elle s'est perdue , parfois , qu'elle a souffert , qu'elle a eu peur aussi . On adore lui prêter des qualités de sagesse . C'est rassurant . La moindre des choses , à cet âge- là . Mais l'amour , non , il ne fait pas bon ménage avec la vieillesse , il est l'apanage de la jeunesse .Il y a quelque chose d'indécent à même l'imaginer.
Et pourtant ! ( p 191 )

Il est dix-huit heures quand on sonne à la porte de l'appartement. Je regarde par l’œil-de-bœuf. C'est le voisin. Panique à bord. Je suis complètement débraillée, je me regarde dans la glace, on dirait une folle. J'appelle ma fille, la grande, je la supplie d'aller ouvrir à ma place. Please. Pitié, là je ne peux pas. J'ai envie de voir personne et surtout pas un homme, je ne suis pas en état. Elle me regarde avec un mélange de surprise et de mépris, ne sachant pas si elle doit me rigoler à la figure ou me considérer comme un cas désespéré. S'il te plaît, je te revaudrai ça. Je vais m'enfermer dans mon bureau. Je ne suis là pour personne. Travail urgent à terminer. Je colle mon oreille à la porte, mais comme je suis à l'autre bout de l'appartement je n'entends rien. Ma fille revient vers moi, elle me trouve derrière la porte, ce qui n'arrange rien. Il voulait savoir si on pouvait lui prêter des chevilles molly. Je ne sais pas ce que c'est. Apparemment ma fille, oui. Elle lui a répondu qu'on n'en avait pas en magasin. Avant de retourner dans sa chambre, elle me lance avec un air hautain que je devrais vraiment penser à consulter. Parce qu'être aussi immature à mon âge, c'est vraiment très inquiétant.
Quand je regarde ma fille, la grande, qui hurle pour un oui ou pour un non, et mon fils, affalé sur le canapé, avec ses pieds taille 47 qui dépassent, je me demande si ce sont bien mes enfants. Qui sont ces deux jeunes gens dans mon salon ? A qui appartiennent-ils ? Il faut absolument que leurs parents viennent les chercher. Ils ne vont pas pouvoir rester là. Non, non, non, c'est pas possible.
Il y a urgence à profiter de la vie et à flirter avec l'exceptionnel.
Mon corps a vieilli mais mon coeur a gardé le goût de l'amour et des grands sentiments .Au fond de moi , je suis toujours une jeune fille. Et de toutes les affaires , celle de l'amour est sans doute celle que je regretterai le plus . Il ne me faut pas grand- chose , une musique , une image dans un film , un regard pour faire chavirer mon coeur .J'ai beau avoir quatre - vingt- quatre ans et être raisonnable , mon âme, elle , c'est idiot , a toujours vingt ans , et c'est comme si elle attendait encore d'être remuée par les grands sentiments . ( p187 )
Maintenant quand je passe une soirée à regarder la télé, lovée dans mon canapé, j’ai l’impression d’un énorme gâchis. Chaque minute que je perds à ne rien faire me fout le moral à zéro. J’éprouve le même sentiment dans les soirées où les gens m’ennuient ou pire encore, si je constate qu’eux aussi sont dans le même état que moi, qu’ils essaient d’oublier le temps qui passe, en se saoulant de paroles ou d’alcool. Je préfère encore regarder la télé.
Qu'est-ce que le mauvais goût? C'est invariablement le goût de l'époque qui nous a précédés. Tous les enfants ne trouvent-ils pas leur père ridicule?
Flaubert
J'ai presque dix-huit ans, et je traque mes premières rides avec impatience. Je ne peux espérer un emploi avant une vingtaine d'années. En attendant, je dois regarder les vieux prendre les bonnes places. On est tous dans le même bateau, mais ce qui est réconfortant c'est qu'un jour viendra où nous aurons enfin le pouvoir. Et croyez-moi, on l'appréciera, on regardera les jeunes galérer avec leur peau de bébé, et on se rappellera le temps de la jeunesse sans aucune nostalgie.
Parfois, dans la nuit, je me réveille en sursaut, et je me dis, c'est pas possible, j'ai déjà quarante-deux ans. Non mais qu'est ce que j'ai foutu depuis vingt ans ? C'est passé tellement vite, j'ai l'impression de n'avoir rien fait d'extraordinaire. Il y a urgence à profiter de la vie et à flirter avec l'exceptionnel. Ce n'est pas quand j'aurai l'âge de ma mère que je pourrai le faire. Maintenant quand je passe une soirée à regarder la télé, lovée dans mon canapé, j'ai l'impression d'un énorme gâchis. Chaque minute que je perds à ne rien faire me fout le moral à zéro. J'éprouve le même sentiment dans les soirées où les gens m'ennuient ou pire encore, si je constate qu'eux aussi sont dans le même état que moi, qu'ils essaient d'oublier le temps qui passe, en se saoulant de paroles ou d'alcool. Je préfère encore regarder la télé.
Mes filles ne parlent pas, elles hurlent. Parfois ça m'inquiète, est-ce qu'elles ne deviendraient pas complètement sourdes, comme leur père ? Mon fils, lui, a tendance à chuchoter. cela exaspère beaucoup son père, qui imagine qu'il le fait exprès pour l'emmerder.