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Critiques de Yukio Mishima (639)
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Une soif d'amour

Etsuko est la jeune veuve de feu Ryosuké, le fils cadet de Yakichi Sugimoto

Yakichi, rustre propriétaire d’un lopin de terre dans la région d’Osaka est lui aussi veuf depuis peu et abrite sous son toit outre sa belle-fille Etsuko, ses deux autres fils avec femme et enfants, ainsi que les deux domestiques Saburo et Miyo.



La présence de la belle Etsuko au sein d’une telle promiscuité, chez un beau-père aux mains baladeuses, à de quoi surprendre ; à moins que secrètement elle ne soit amoureuse du beau Saburo.

Mais le domestique ne brille pas par son intelligence et privilégie le plus court chemin, c'est-à-dire la chambre de Miyo située en face de la sienne. Cette dernière tombe bien sûr enceinte et rend Etsuko jalouse comme une tigresse. Une soif d’amour inextinguible transformera peu à peu cette jalousie en démence incontrôlable et finalement tragique.



Dans ce huis-clos lancinant Mishima réussit avec brio à mettre en évidence les travers de la nature humaine au moyen de personnages pour la plupart frustes.

Heureusement avec Mishima la poésie n’est jamais loin ! Celle-ci permet une lecture agréable de ce court roman et contrebalance la noirceur des protagonistes.

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La mer de la fertilité, tome 4 : L'ange en déco..

C’est toujours un peu tristounet quand une tétralogie, une saga prend fin. Et La mer de la fertilité ne fait pas exception. En effet, dans ce quatrième tome, L’ange en décomposition, on retrouve un Shigekuni Honda vieillissant, à septante-six ans, qui n’a plus que ses souvenirs. Il a vu les gens passer et mourir devant lui. D’abord, son ami d’enfance Kiyoaki Matsugae, puis successivement les deux réincarnations de cet ami cher, l’idéaliste Isao Iinuma puis la voluptueuse princesse siamoise Ying Chan. Tous morts avant d’atteindre leur vingtième anniversaire.



Ce roman porte bien son titre. On sent, on voit la décadence, la décomposition. Pas seulement chez le protagoniste, sur le déclin, mais dans tout. La société japonaise dépérit, même la température n’est guère encourageante : le ciel est souvent grisâtre et le climat, venteux. Sinon, il est vide. « L’immense étendue semblait abandonnée. Pas même d’ailes de mouettes. Puis, tel un fantôme, un navire apparut, pour disparaître à l’ouest. » (p. 13) Aussi, le climat n’est pas seulement déprimant, il est pollué. « Au long du môle, un tas énorme de détritus était soumis au lessivage des vents du large. […] Les rebuts de l’existence y dégringolaient pour se heurter à l’infini. La mer, un infini jamais rencontré auparavant. Les rebuts, pareils à l’homme, incapables de rencontrer leur fin sinon de la façon la plus laide et la plus sale. » (p. 16) C’est assez clair comme image. Mais, partout, la nature n’est que désolation et mort. L’ancienne maison de la famille Honda, brûlée, n’a jamais été reconstriute. Le parc n’est guère plus réjouissant. « En arrivant au pin, Honda était épuisé. C’était un pin géant sur le point de mourir […] » (p. 73) Mais je n’ai pas été rebuté par toute cette morosité, elle semblait tout à fait appropriée aux thèmes exploités dans ce roman.



Pareillement pour Honda qui ne se laisse pas détourner par cette nature désolante ; il aime bien s’y promener, particulièrement voir la mer à Shimizu. C’est là qu’il croise le jeune Toru, un orphelin de seize qui est « convaincu qu’il n’appartenait pas à ce monde. » (p. 23). Et il a bel et bien trois grains de beauté sous l’aiselle. Serait-il la réincarnation de Kiyoaki, puis de Isao et Ying Chan ? Il est né vers la même période où la princesse serait morte. Les dates concordent… ou presque. Si seulement on pouvait connaître la date exacte de la mort de Ying Chan ! Ainsi, le doute persiste tout le long du roman mais cela n’empêche pas Honda de l’adopter.



Si le jeune homme n’est qu’une imposture, Toru n’en a que faire. Il ne demande rien à personne. Au début, il semble un candidat prometteur : intelligent, brillant. Mais quelque chose en lui est brisé. Encore là, on retrouve ce symbole de l’ange en décomposition. Peut-être l’âme de Kiyoaki s’est-elle réincarnée trop de fois et que des parties s’étaient étiolées, ne laissant qu’un être incomplet errer à la surface de la terre. Sa relation avec Honda, malgré qu’il en ait fait son héritier, se détériore rapidement. « L’aversion que ressentait Toru envers Honda semblait avoir grandi au cours des quatre années passées ensemble. » (p. 209) C’est comme si le bonheur leur était interdit.



Keiko, la meilleure amie de Honda, lance à Toru : « Kiyoaki Matsugae fut pris au piège d’un amour imprévisible, Isao Iinuma de la destinée, Ying Chan de la chair. Et vous ? De l’impression injustifiée que vous n’êtes pas comme les autres, peut-être ? » (p. 243) Il se sent différent mais il ne sait pas pourquoi. Il n’a pas d’ambition particulière, pas de rêve. C’est peut-être pire que d’échouer à réaliser des grandes – ou petites – choses. En ce sens, son sort est-il enviable ? Ceci dit, c’est peut-être le lot de la majorité des personnes sur cette terre, ceux qui ne sont pas appelés à changer le cours de l’histoire. Sommes-nous plus résignés pour autant ? Sommes-nous malheureux ? Je ne crois pas. Mais Toru, lui, n’y arrive pas : se croire si exceptionel et ne pas savoir pourquoi ni vers quel but donner à sa vie, c’est impensable. Pas étonnant qu’il ait choisi une voix si extrémiste. Et, là encore, il n’a pas pu aller jusqu’au bout et devra passer le reste de sa vie - (sur)vivre – diminué. Comme un ange en décomposition.



Ne reste que Honda, celui qui demeure alors que tous les autres sont partis les uns après les autres. Mais le vieillard sent sa fin approcher, il ne pouvait en être autrement. Toutefois, il reste encore un acteur de cette saga qui est encore en vie : Satoko. L’ancienne flamme de Kiyoaki, celle par qui tout a commencé, celle qui peut vraiment tout comprendre. C’est le temps de lui rendre une dernière visite. Leur échange ne se passe pas comme prévu, leurs propos sont énigmatiques, ils remettent en question bien des certitudes. Des croyances. Ce mystère est tout à fait approprié pour une œuvre de cette envergure. Merci beaucoup, Yukio Mishima.
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Le tumulte des flots

Un grand plaisir de lecture avec ce roman de Mishima.



L'histoire est assez simple et classique. L'action se déroule essentiellement dans les superbes paysages côtiers du golfe d'Ise, au Japon bien sûr. Le jeune Shinji est marin-pêcheur comme son père défunt, fauché atrocement en plein travail à la fin de la seconde guerre mondiale. Il vit pauvrement avec sa mère, qui comme toutes les femmes du village plongent pour récolter des coquillages, et son frère cadet Hiroshi, qui partira en voyage scolaire à la découverte de Tokyo.

Un jour il aperçoit en bord de mer une belle jeune fille. Il en tombe immédiatement amoureux. La recroisant par hasard, l'attirance va vite s'avérer réciproque.

Mais la jolie Hatsue est la fille du plus puissant et riche notable du village, Terukichi, qui entend la marier avec un jeune homme un peu plus âgé mais prétentieux, Yasuo, qu'elle n'aime pas.

Quant à Shinji, la discrète et complexée Chiyoko, qui se trouve laide, l'aime en secret.

Les vents semblent décidément contraires, et les obstacles nombreux, face à toutes ces personnes qui ont intérêt à faire avorter cette prometteuse histoire naissante entre ces deux beaux adolescents.



Sans dévoiler la fin, on pourra regretter un petit manque d'originalité, et assurément un assez étonnant angélisme chez Mishima, surtout quand on a lu son autre roman à l'atmosphère marine, "Le marin rejeté par la mer", d'une noirceur glaçante et magistral par la maîtrise et le déroulé de son scénario implacable.



Mais c'est aussi pour cela que "Le tumulte des flots" m'a plu. Tout est comme purifié dans ce roman, comme si le couple amoureux avait le pouvoir de désarmer les ragots et les intentions initialement hostiles de leurs concurrents jaloux. Les coeurs et les âmes sont belles, les vaincus s'inclinent avec honneur, et l'amour embellit encore et donne confiance aux jeunes amants...qui d'ailleurs prennent soin de ne pas consommer.

On dirait que l'auteur a eu la volonté de mettre cette pureté, cette morale, cette justice en avant, et quelque part ça fait du bien de trouver ces belles valeurs au coeur de l'été dans l'ambiance actuelle.



Pour finir, comment ne pas louer Mishima pour la finesse de son écriture, notamment dans sa description des paysages et climats côtiers. Il maîtrise parfaitement cet environnement : le phare est un élément central, un point de ralliement. Le bateau de pêche lui-même est presque un héros. Les rochers, les vagues... Les poissons, les coquillages rapportés par Shinji...Les Dieux protecteurs des tourtereaux sont forcément ceux de la nature ! Mishima excelle aussi dans son évocation toujours précise et instructive de la vie humble de ces insulaires : le soleil, le vent chargé de sel qui cuisent les peaux de ces courageux travailleurs de la mer...



Ces paysages, ces visages, ces lumières, n'ont cessé de traverser mon esprit pendant cette lecture. Un délice.







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Le Marin rejeté par la mer

Ryûji est marin.

Problème : il n'aime pas trop la mer.

Explication : il déteste encore plus la terre.

Alors des deux maux, il choisit le moindre et continue à arpenter les mers, sans attaches, sans but et sans gloire. Jusqu'à sa rencontre avec Fusako. Bien évidemment elle vit à terre, avec son fils Noburu. Vendeuse de son état, elle traîne à sa suite son mal-être de jeune veuve.

Ils font connaissance, passent la nuit ensemble et prévoient de se revoir (♪ Well, all you need is love and understanding ♫). D'ailleurs, preuve que ce n'est pas juste un one night stand, Fusako ne tarde pas à présenter Noburu à son amoureux de marin. Une découverte pour Ryûji mais pas pour le jeune ado qui connaissait déjà l'existence du matelot transi d'amour pour avoir espionné ses ébats avec sa mère par un trou dans le mur reliant leurs deux chambres. Et Noburu – coup de bol – adore la mer, rêve de se faire moussaillon et voit en Ryûji le possible modèle paternel qui semblait manquer à sa vie.

Oui mais voilà, l'attitude de Ryûji le déçoit, prêt à abandonner les flots pour une histoire de coeur. La déchéance ! Sans compter, et ça Noburu ne l'encaisse pas, qu'un jour en croisant Ryûji dans un parc, ce dernier pas habillé impeccablement et usant d'un langage familier aux oreilles du garçon, lui a foutu la honte devant sa bande de copains.

Sa bande de copains, parlons-en. Des ados s'entraînant à nier toute émotion, torturant et tuant d'inoffensifs animaux jusqu'à ne plus ressentir la moindre humanité, avec à sa tête un petit caïd, genre de mini-leader charismatique qui décide d'un seul coup que ce serait plutôt chiadé de tuer quelqu'un, non ? Et pourquoi pas Ryûji ? Après tout, ce marin d'eau douce qui risque, par sa liaison amoureuse, de finir en beau-père de Noburu qui à la réflexion n'en veut pas, autant s'en débarrasser. Et puis d'ailleurs, quel genre de pauvre type peut préférer l'amour d'une femme à l'amour de la mer ? Faut vraiment être faiblard.

Et le plan diabolique de ces lardons se met en place en parallèle de la chute de Ryûji dans l'estime de Noburu, en quête inconsciente d'un héros qui n'existe que dans le fantasme qu'il entretient de la figure paternelle qu'il n'a jamais connu.



Pas à dire, Yukio Mishima sait comment instiller le poison du malaise.



Pour un auteur dont personnellement j'attends toujours beaucoup (ce qui ne me semble pas trop demander pour une pointure pareille) j'avoue un poil de déception à la lecture de ce marin rejeté par la mer.

L'écriture est toujours belle, sachant se faire tendre ou tranchante à l'envi, sur elle rien à redire mais l'histoire franchement moyenne et limite crédible m'a fait considérer cette oeuvre comme plutôt mineure dans la bibliographie de ce conteur hors pair.

Puis curieusement, sans chercher à lui attribuer plus d'éloges qu'il ne mérite, je me rends compte que cette lecture remonte à la fin de l'été indien et que, malgré tout, elle revient régulièrement me trotter dans le sinoquet. Pourtant, je le redis, pour moi on est loin du chef-d'oeuvre, mais force est de l'admettre : un Mishima, même modeste, est toujours troublant et s'assure de ne jamais se faire oublier facilement.

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Dojoji et autres nouvelles

Je me souviens de la nouvelle intitulée « Patriotisme ». Avec cette courte nouvelle, Mishima atteint le sublime. La concision du récit, la finesse des descriptions en font une œuvre magistrale. Se référant à un fait divers de 1936, il met en scène un officier de la garde impériale qui n'a pas su empêcher une tentative de putsch, si mes souvenirs son exacts. Cet officier, se considérant responsable de l'échec, il décide, par loyauté envers son pays, à l'empereur, de se faire seppuku. Alors là, tenez vous bien ! On assiste dans les moindres détails à la préparation et à l’exécution du rituel, aidé par son épouse, qui le rejoindra dans la mort aussitôt après. Le sabre perforant l'abdomen en croix, la douleur se lisant sur le visage inondé de sueur du personnage, le sang maculant peu à peu le kimono, dont les projections perleront le tatami. Les intestins se vidant peu à peu sur le sol avant la chute finale du corps. Dans le court-métrage qu'il en fera lui-même peu de temps après, il s'agit, si je me souviens bien, d'un long plan-séquence. Fascination pour un homme se donnant la mort. Fascination pour la mort ? Peut-être, car lui-même, après son putsch manqué en 1970, se donnera la mort de la même façon.

Après cette nouvelle, vous comprendrez que je ne me souvienne plus beaucoup des autres, qui composent le recueil. Qui a lu ou vu « Patriotisme » ne peut pas l'oublier ! De plus, il me semble qu'il s'agit là d'une partie de l'âme du Japon que Mishima nous restitue avec un raffinement inouï.
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Le Pavillon d'or

C'est certainement mon premier roman japonais. Lu pendant l'adolescence et relu plusieurs fois ensuite. Autrement dit j'ai découvert le Japon avec Mishima . Dans l'après-guerre, un enfant est confié au responsable religieux d'un temple bouddhiste : le Pavillon d'or.

Il sera le petit privilégié du prieur mais ne tardera pas à découvrir l'hypocrisie de la religion masquant des travers et des déviances qu'il ne pourra pas accepter. Ce sera aussi la découverte de la vie. Et tout cela va l'éloigner progressivement des rituels et de l'ascétisme bouddhiste. Se greffera sur cette intrigue une autre plus métaphysique. Celle de la beauté parfaite que représente pour lui l'harmonie de l'architecture du Pavillon d'or. Voilà, en gros, le résumé de l'affaire (pour ceux qui ne l'on pas lu, je ne dévoile pas la fin). Je me méfie toujours des résumés. L'intrigue est une chose mais, ce qui me plaît le plus dans un roman, est souvent caché derrière l'intrigue.

Bien plus tard après la lecture de ce livre, j'ai pu contempler ce Pavillon d'or à l'harmonie parfaite. Le contemplant d'un bout à l'autre du grand jardin qui le l'entoure comme un écrin. C'est une pure merveille. Une harmonie, en étroite relation avec la nature. De quoi rester à méditer toute la journée. Mais pour Mishima, cette beauté (là, j'extrapole peut-être le récit, mais c'est mon ressenti), est insupportable car portée par l'hypocrisie du bouddhisme dévoyé. N'oublions pas que Mishima était un révolutionnaire, adepte de l'extrème droite, se référant au code du Bushido. Pour lui, la pureté est essentielle et le Bouddhisme a perdu complètement sa raison première, une ascèse pour obtenir le nirvana et l'abolition du karma. Ce qu'il voit, à travers les yeux du jeune moinillon est la subversion de cette religion, qui n'a plus rien de sacré et de respectable. Les moines ne sont plus dignes d'être respectés.

Je suis toujours assez troublé par ce livre. Car il s'adresse à tous publics, tant ado qu'adulte. C'est un roman d'initiation mais avec une problématique assez complexe et une philosophie très orientale.

A lire et relire régulièrement.

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La mer de la fertilité, tome 3 : Le temple de..

Comme tout un chacun, et plus que tout autre peut-être eu égard à ses intentions – n'oublions pas qu'il est avec cet ouvrage sur le troisième opus de son oeuvre testament laquelle en comporte quatre – l'auteur de la Mer de la fertilité est confronté à la perpétuation de la vie. Avec lui point de quête d'éternité dans l'au-delà, de place auprès de Dieu ainsi que peuvent nous le promettre quelques religions monothéistes en perte de vitesse en ce troisième millénaire, il ne peut donc être question que de transmigration de l'âme, de réincarnation. le seul point qui accorderait peut être les différentes croyances quant au sort réservé après la mort est la vertu du comportement de la personne de son vivant. Cette vertu s'exprimant parfois non pas en dévotion ou actions charitables, mais en pureté d'intention laquelle peut fort bien comporter l'élimination d'autrui, s'il est convaincu de corruption par les vices inhérents à la nature humaine.



Nul doute que Mishima décèle dans la perpétuation qu'il applique à ses héros, une voie pour son propre avenir dont il semble avoir décrété l'échéance. Marguerite Yourcenar qui s'est intéressée à cet écrivain dans Mishima ou la vision du vide trace dans son oeuvre les indices qui témoigneraient de son intention. Elle y voit un artisan en préméditation de son chef-d'oeuvre : sa fin spectaculaire selon le rituel samouraï.



Isao le fervent nationaliste du tome deux de la tétralogie, Chevaux échappés, était la réincarnation de Kiyoaki, l'amoureux éperdu de Neige de printemps, le premier tome. Les dernières lignes de chacun de ces ouvrages faisant disparaître leur héros, Honda leur survivant est le témoin attesteur de leur réincarnation. Dans ce troisième opus, la transmigration des âmes ne connaissant ni frontière ni race, c'est la princesse siamoise Ying Chan qui se dit elle-même réincarnation d'Isao. Honda s'en convainc et cherche sur son corps par ses indiscrétions équivoques le signe qui confirmera le fait.



Le temple de l'aube est un ouvrage quelque peu déroutant. Autant une première partie voit son héros en quête de la réalité de la réincarnation, allant la en chercher les preuves jusqu'à Bénarès en Inde, le sanctuaire de l'hindouisme, autant la seconde plonge son héros, Honda, dans la déviance comportementale du notable respecté qu'il est, faisant de lui un voyeur des ébats sexuels de quelques couples occasionnels dont il a lui-même favorisé le rapprochement. Il s'en expliquera auprès de son épouse, Rié, qui le surprendra dans cette posture condamnable.



Il y a toujours dans le texte de Mishima cette communion avec la nature qui s'exprime par de longues tirades contemplatives, lesquelles trouvent leurs prolongements dans la poésie mise dans la bouche de l'une ou de l'autre de ses personnages. Tirades qui peuvent distraire le lecteur du fil directeur de l'ouvrage d'autant que certaines allégories sont assez poussives et terre à terre. Mais le chemin est tracé et Mishima y ramène ce dernier avec l'obsession du but à atteindre que le quatrième opus au titre annonciateur, l'Ange en décomposition, ne devrait pas manquer pas à mon sens de nous révéler.



Dans ma perception de lecteur peu averti des croyances religieuses qui ont cours en extrême orient, je situe ce troisième opus au creux de la vague de la tétralogie. Je l'ai trouvé déséquilibré, pénalisé par cette dichotomie comportementale chez Honda en ces deux parties de l'ouvrage. Une première tout orientée vers une quête de spiritualité, parfois absconse à mon entendement, l'autre vers la recherche de preuve physique sur le corps de la princesse qui rabaisse son protagoniste en une trivialité coupable en complète rupture avec la qualité du personnage. Mais cette perception est affaire de culture personnelle et ne me retiens pas de m'engager sur le quatrième volet de la tétralogie. Je garde à l'esprit le cheminement intellectuel mortifère que fomente son auteur. Il se donnera la mort au bout de ce chemin. Et comme Marguerite Yourcenar, je tente de comprendre cette démarche sacrificielle dans ces textes, de déceler les traces de ce poison qui lentement fait son oeuvre.
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Correspondance avec Mishima

Toujours dans ma relecture de Mishima, j'ai jeté mon dévolu sur sa Correspondance avec Kawabata, espérant mieux comprendre l'influence mutuelle qui s'est développée entre les deux auteurs, mieux comprendre l’esthétique de Mishima. C'est aussi un bon moyen de découvrir une part de l'intimité de ces hommes fascinants.



Sur la forme, le choix opéré est de ne pas mettre toute la correspondance mais seulement une sélection de cette correspondance, des premières aux dernières lettres échangées en 1970.

Si cela laisse un peu sur sa faim le lecteur, du moins la lecture rendue plus fluide tout en permettant de capter avec succès les points intéressants de cette correspondance.



Il est intéressant de voir l'évolution de la relation entre ces deux génies. Le jeune Mishima est révérencieux envers Kawabata, écrivain établi. Il s'excuse sans cesse car il pense "importuner" son aîné avec ses lettres. Mishima tente de montrer ses conceptions esthétiques à Kawabata au travers de deux lettres passionnées et un peu floues. Ce Mishima poli mais exalté va évoluer pour devenir un homme mature, plus réfléchi, ami avec Kawabata qui lui voue non plus une sympathie protectrice mais un respect amical. C'est même vers la fin Kawabata vieillissant qui semble gêné de demander de l'aide à Mishima, comme si les rôles s'inversaient.



Car cette correspondance, de par l'amitié entre les deux hommes, nous permet de lever un coin de l'intimité de ces deux écrivains si complexes à appréhender. Mishima a ainsi souffert de problèmes d'alcool, Kawabata d'une addiction aux somnifères...; autant de détails qui permettent de mieux comprendre certaines œuvres de deux hommes. Mais certaines zones d'ombres restent, certaines choses indicibles. L'attirance d'un Mishima marié de mauvaise grâce du fait de son homosexualité assez évidente ne sera pas abordée. Kawabata y fait-il référence quand il demande à Mishima tout juste marié de bien prendre soin de sa femme ? Mystère ...



Deux lettres au début du récit sont captivantes car elles montrent la gestation de la théorie littéraire que Mishima appliquera dans ces livres. Critiquant l'école romantique japonaise de sa jeunesse qui s'est enfoncée dans la voie sans issue du nationalisme fanatique lors de la seconde guerre mondiale, Mishima réfute aussi la voie naturaliste dominante dans la littérature japonaise du début du XXéme siècle. Il souhaite ainsi dépasser ces courants par ce qu'il appelle "le mécanisme". Il reprend la focalisation romantique sur les états d'âme du héros mais fait de ces émotions le résultat d'un engrenage psychologique incontrôlable sur lequel le personnage n'a que peu de prise, s'éloignant par là du personnage romantique.



Ce qui est aussi intéressant à apprendre au travers de cette correspondance, c'est de mieux découvrir le milieu intellectuel des années cinquante et soixante au Japon. Ayant lu plusieurs biographies de Mishima je connaissais ses engagements, mais moins ses interaction avec ses nombreux confrères écrivains, ni ses nombreuses interviews dans la presse et la radio en tant qu'observateur très demandé par les médias. Il a aussi animé quelques journeaux littéraires, aspect que je ne connaissais pas. Pour Kawabata, cette correspondance a un peu brisé l'image que je me faisait de cet homme en ermite solitaire et maladif. Il fut président de longues années du PEn club, association littéraire très renommée, et son engagement était véritable puisqu'il se plaint du caractère chronophage d'une telle activité.



Bref, une lecture instructive !
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Confessions d'un masque

C'est le deuxième livre de Mishima que je lis (après avoir été introduit à son oeuvre via "Dojoji et autres nouvelles").

Roman que l'on devine aisément fortement autobiographique si l'on compare la vie du personnage principal à celle de Mishima. Une vie sans grand soutien parental, un physique frêle et une santé plus que fragile font sentir dès sa naissance au héros -bien malgré lui- que la vie n'est pas exactement un cadeau (ou un empoisonné alors)... la 'cerise sur la gâteau' étant la découverte de son a-normalité, à savoir son homosexualité combinée à des tendances perverses, voire sadomasochistes. Il s'agit donc de confessions d'un être se sentant obligé de paraître 'normal', et de vivre ce qu'il considère comme une maladie sous les traits d'un masque. D'où le titre du livre ...

Parler d'un livre aussi dense n'est pas aisé; mais un paragraphe résume assez bien la vision que le héros (et donc Mishima) a de sa vie, ainsi que comment il envisage son (tragique) dénouement : "Les raids aériens devenaient plus fréquents. J'en avais une peur extraordinaire et pourtant j'attendais en même temps la mort avec une sorte d'impatience, avec une espérance pleine de douceur. L'avenir était pour moi un lourd fardeau. Dès le début, la vie m'avait écrasé sous un pesant sentiment du devoir. Bien que je fusse de toute évidence incapable d'accomplir ce devoir, la vie me harcelait, me reprochait ce manquement. C'est pourquoi j'aspirais à l'immense soulagement que sans aucun doute m'apporterait la mort si seulement, comme un lutteur, je pouvais arracher de mes épaules le lourds poids de la vie. J'acceptais avec volupté la conception de la mort en honneur pendant la guerre."

On l'aura compris, la vie de Mishima n'avait aucune chance de se terminer en conte de fées... Jusqu'au bout il aura tenu à donner à sa vie (et donc à sa mort) un côté théatral.

Quand j'ai appris que Mishima écrivit ce récit à ving-quatre ans à peine, je fus sidéré par sa maturité à sonder son âme et à analyser avec une telle finesse ses sentiments équivoques.

En résumé, un livre qui n'est certes pas simple à aborder; mais qui mérite le détour pour qui veut en apprendre plus sur les démons et contradictions qui ont hanté la vie de ce grand écrivain qu'est Mishima.



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La Mer de la fertilité, tome 1 : Neige de pri..

Dans ce très beau roman, Mishima raconte l'histoire de Kiyoaki Matsugae, un jeune étudiant japonais issu d'une famille riche mais non aristocrate (cela a son importance), qui n'arrive pas à exprimer ses sentiments auprès des autres. Son mutisme est associé à un orgueil qui l'empêche d'aller vers autrui. Il bouillonne quand on vient vers lui, même quand on est animé des meilleurs intentions. Mishima évoque à mot couvert, avec délicatesse, le conflit intérieur d'un adolescent qui n'arrive pas à grandir dans un milieu confiné.

J'ai trouvé le parallèle avec l'histoire du Japon, judicieux. En effet le récit est à cheval entre deux ères, l'ère Meiji (encore un peu isolationniste et tournée vers la tradition des Samouraïs) et l'ère Taisho (ouverte vers l'occident, on peut dorénavant envisager des études à l'étranger). Vous l'aurez compris, ce parallèle n'est pas anodin. Le héros, comme son pays, parviendra-t-il à aller vers l'autre, à passer à l'âge adulte?



L'autre personnage principal est la très belle Satoko Ayakura, issue dune famille aristocrate illustre mais désargentée. Kiyoaki et Satoko ont été élevés ensemble sans qu'il n'y ait de soucis. Mais les 16 ans de l'un et les 18 ans de l'autre vont attiser les passions.



Si vous n'êtes pas gênés par la traduction française d'un texte en anglais lui même traduit du japonais, vous passerez sur les multiples coquilles, voir un ou deux contre sens, et découvrirez un superbe récit au long cours.



Le deuxième tome de la tétralogie ne m'attendra pas longtemps.



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Le Pavillon d'or

Premier livre de Mishima dans lequel je me plonge et ceci suite à ma lecture du très beau livre de Laszlo Krasznahorkai «Au nord par une montagne, au Sud par un lac, à l’Ouest par les chemins, à l’Est par un cours d’eau». J’avais lu ce livre, dans un premier temps, sans me préoccuper des références à la littérature et la civilisation japonaises.

L.Krasznahorkai y fait indirectement allusion à plusieurs temples de Kyoto et les réunit en un seul temple où se trouve un jardin inoubliable. En le reprenant j’ai eu envie d’en savoir plus. J’aime qu’un livre me renvoie vers un ou plusieurs autres, j’ai l’impression de partir pour un long voyage de découverte, à l’aventure.



Concernant le Pavillon d’or, j’ai d’abord été contempler quelques magnifiques photos et appris, par l'un des commentaires, qu’en 1950 un moine de ce temple y a mis le feu et que ce fait divers avait servi de base à Mishima pour son roman «Le Pavillon d’or».

Je ressors de ma lecture fascinée par la beauté de ce texte, beauté poétique, érotique et perverse offrant le même contraste que ces ciels noirs où un orage se prépare, éclairés et magnifiés par le soleil avant de l’engloutir.

Son père, sentant sa fin proche, va présenter son fils Mizoguchi au prieur du temple du «Pavillon d’Or» avec lequel il est ami. Ce temple, Mizoguchi en a rêvé, l’a sublimé : 
« Pareil à la lune dans le ciel nocturne, le Pavillon d’Or avait été édifié comme un symbole des temps de ténèbres....le Pavillon d’Or m’apparaissait comme un magnifique navire franchissant l’océan des âges....Le Pavillon d’Or nous arrivait du fond d’une nuit immense, une traversée dont on ne pouvait prévoir la fin. Pendant le jour, l’étrange vaisseau jetait l’ancre avec un air d’innocence, se soumettant aux regards curieux de la multitude ; mais la nuit venue, puisant dans les ténèbres d’alentour une force neuve, il enflait son toit comme une voile et gagnait le large.»

Et quand il y entre comme novice après le décès du père, le «Pavillon d’or» le pénètre de sa beauté «Quand je levais la tête vers le Pavillon d’Or, ce n’est pas seulement par les yeux qu’il pénétrait en moi, mais aussi, semblait-il, par le crâne. De la même façon qu’en plein soleil ce crâne devenait brûlant, ou était instantanément rafraîchi par la brise du soir.»
Si «Le Pavillon d’Or» devient pour lui la personnification de la beauté , son existence lui est un affront à lui le bègue qui se sent si laid, si indigne d’un regard. Elle vient s’interposer entre lui et le monde, entre lui et ses rencontres féminines. Il veut aussi dérober cette beauté au yeux du monde. Ce qui, après un long cheminement complexe, entraînera le geste final.

Des scènes sont inoubliables en particulier celle de cette belle jeune femme qu’il entrevoit lorsque, en compagnie de son ami lumineux Tsurukawa, ils se rendent au Nanzenji, autre temple de la secte Rinzaï, proche du Pavillon d’Or : "Sans rien changer à sa pose parfaitement protocolaire, la femme, tout à coup, ouvrit le col de son kimono. Mon oreille percevait presque le crissement de la soie frottée par l'envers raide de la ceinture. Deux seins de neige apparurent. Je retins mon souffle. Elle prit dans ses mains l'une des blanches et opulentes mamelles et je crus voir qu'elle se mettait à la pétrir. L'officier, toujours agenouillé devant sa compagne, tendit la tasse d'un noir profond.

Sans prétendre l'avoir , à la lettre, vu, j'eus du moins la sensation nette, comme si cela se fût déroulé sous mes yeux, du lait blanc et tiède giclant dans le thé dont l'écume verdâtre emplissait la tasse sombre - s'y apaisant bientôt en ne laissant plus traîner à la surface que de petites tâches - , de la face tranquille du breuvage troublé par la mousse laiteuse".p95

Mizoguchi retrouvera dans d’autres circonstances cette femme et ce beau souvenir en sera terni.

La nature est omniprésente, dans des descriptions minutieuses et émouvantes. Présence aussi, menaçante, en bruit de fond, des bombardements américains qui annoncent la fin du Japon traditionnel. Il y a une multitude de facettes dans ce beau livre qui appellent d’autres lectures.

Et cette lecture du Pavillon d’Or, loin de diminuer la beauté du livre de Laszlo Krasznahorkai qui m’y a conduit l’épaule et forme un pont qui permet d’aller de l'un à l'autre.

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Confessions d'un masque

Nul doute que Kochan, un garçon frêle et chétif, renvoie à Yukio Mishima lui-même. Il a écrit ce livre à 24 ans. Il en a fallu du courage pour laisser tomber le masque et publier ce roman dans le Japon conformiste de l’après-guerre.

Très tôt, Kochan comprend qu’il est différent. Dans la rue, ses yeux se portent sur de jeunes militaires ou des ouvriers, souvent de jeunes hommes bien bâtis. Est-ce cela la perversion ? En 1949 au Japon, probablement.



Kochan va jusqu’à tomber amoureux, mais d’un amour suscité par la beauté de Sonoko qui n’entraîne chez lui aucun désir. Il lui faudra se rendre à l’évidence : embrasser Sonoko n’engendre rien.



Confessions d’un masque se termine de façon abrupte et ne laisse pas le choix : il faut lire d’autres œuvres.



L’écriture est somptueuse, il m’est arrivé de relire des paragraphes pour le plaisir des phrases.


Lien : https://dequoilire.com/confe..
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La mer de la fertilité, tome 4 : L'ange en déco..

Quatrième et dernier (?) opus de La mer de la fertilité. Il n’est que d'extraire certains passages de cet ouvrage pour comprendre que nous sommes parvenus au bout du chemin. Ce chemin n’est pas seulement celui d’une œuvre littéraire. C’est aussi celui d’une vie. La vie de son auteur.



45 ans ! C’est l’âge de Yukio Mishima lorsqu’il met le point final à son œuvre testament. Sa jeunesse lui a filé entre les doigts. Il est plus que temps.



"Il n'y a jamais eu pour moi ce qu'on aurait pu appeler l'apogée de ma jeunesse, et par conséquent aucun moment pour l'arrêter. C'est à l'apogée qu'il faudrait s'arrêter. Je n'en ai discerné aucune. Chose étrange je n'en ai nul regret.

Mais non, il est encore temps après que la jeunesse est un peu passée. Survient l'apogée, c'est alors le moment."



25 novembre 1970, c'est alors le moment de quoi ? Le regard s'est-il suffisamment appesanti sur le paysage ? Le verbe l'a-t-il suffisamment célébré ?



La beauté du corps s'est dissoute dans les traits de ceux qui narguent leurs aînés de leur vigueur toute fraîche. C'est donc le moment de ne plus se compromettre dans le naufrage de la vieillesse, dans la décomposition de l'ange.



"Beauté physique infinie. Voilà le privilège particulier de ceux qui abrègent le temps. Juste avant l'apogée où il faut abréger le temps, se trouve l'apogée de la beauté physique."



Le bout du chemin est là. L'ascension est terminée. Après, c'est la déchéance.



"Quelle puissance, quelle poésie, quelle félicité ! Pouvoir abréger le temps, au moment même où l'on aperçoit la blancheur étincelante de l'apogée. On en a la préscience dans la fièvre délicieuse de la montée, le décor changeant de la flore alpine, l'approche de la ligne de crête."



C'est avec lucidité et la pleine possession de ses facultés qu'il faut décider de basculer dans la lumière de l'autre monde. Le monde blanc.



"Je n'aime pas le genre de personnes, faibles ou malades, qui se suicident. Il n'y en a qu'une catégorie que je conçoive. Ce sont ceux qui se suicident pour démontrer leur personnalité."



L'œuvre littéraire est la perpétuation de son auteur. Sa vie n'est que le segment d'une continuité. Il se retrouvera sous les traits d'une nouvelle jeunesse quelque part dans le monde.



"Même si l'on arrête le temps, la vie se réincarne. Cela aussi, je le sais."



Il n'est pas de point final pour qui croit en la transmigration des âmes. Tout au long de sa vie, Honda s'est convaincu de voir son ami Kiyoaki, pris au piège d'un amour imprévisible, se réincarner sous les traits d'Isao Iinuma d'abord, de la princesse Ying Chan ensuite, du jeune Toru enfin. Chacun porteur de la flamme fragile de la vie.



Mais le doute pernicieux s'est insinué en l'esprit de Honda. Le grand âge l'a peut-être leurré. Toru a brûlé le livre des rêves laissé par Kiyoaki.



"La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes".



Est-ce donc avec le poison du doute insinué en son esprit quant à la réincarnation que Mishima a décidé de basculer dans le monde blanc le 25 novembre 1970 ? Le point final de L'Ange en décomposition était-il celui de La Mer de la fertilité, ou bien quelque part en ce monde pourrait-il s'écrire un cinquième opus ?

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Le soleil et l'acier

♫ Alors comme un tueur, il a réglé son heure

Assis sur les genoux, ultime seppuku ♪



Le soleil et l'acier. La fascination qu'a pendant longtemps exercé ce titre sur moi ! (oui parce que je suis fascinée avec pas grand chose) Je me demandais bien quel genre de métaphore ou de secret d'alcôve ou de je ne sais quoi mais qui pourrait bien avoir quelque chose du somptueux Rashōmon de Kurosawa se cachait derrière un titre aussi banal en apparence mais oh, on va pas se faire avoir, c'est Mishima hein, rien de simple, jamais, chez lui.

Et donc voilà, je l'ai enfin lu et on peut dire que la réponse n'est pas exactement à la hauteur de l'attente puisque le soleil est la métaphore de l'astre incandescent autour duquel gravite la Terre tandis que l'acier est celle de la fonte qu'on pousse, tire et soulève dans des salles spécialisées.



Bref, plus premier degré, tu meurs ! Ce titre n'est rien d'autre que les ingrédients principaux du régime bien-être vanté par Yukio Mishima.

Enfin, régime "bien-être" ayant pour seul but la bonne préparation au romantique voyage vers le non-être parce que le doublé bronzette-musculation n'a pas pour Mishima vocation à faire le kakou, l'été, sur les plages de Miyakojima mais bien celui de se présenter dans la mort sous le meilleur aspect physique possible, par respect.

Pour lui il est inimaginable de mourir trop gras, trop maigre ou mal foutu de quelque façon que ce soit.

On ne peut d'ailleurs que louer cet engouement pour le culte du corps qui nous a permis de connaître son oeuvre car nul doute que sans cette ferveur esthétique il se serait suicidé bien plus tôt, peut-être même dès sa déstabilisante rencontre, enfant, avec une représentation du Saint Sébastien agonisant criblé de flèches, souvenir ému sur lequel il revenait déjà longuement dans sa Confession d'un Masque.

Heureusement, se sculpter un corps idéal, ça demande du temps.



♪ ♫ Un fidèle s'est levé, le sabre a tranché

La tête du guerrier, qui s'est mise à rouler ♫



A la chair et à l'enveloppe corporelle, Yukio Mishima y oppose l'esprit car, il nous le certifie, chez lui la connaissance des mots (le moi) lui est venue avant la connaissance du corps (sorte de verger entourant le moi) et la conciliation des deux, à priori impossible du fait de la nature même des mots : corrosifs, nocturnes et égotiste qui semble incompatible avec l'entretien du corps qu'on offre en spectacle (pas les nombreuses photos de Mishima posant torse nu et musculature en avant qui contrediront le propos) et l'honorable chair suante et exténuée.



♫ Aujourd'hui que tu es mort, tout le monde y pense encore

L'acte spectaculaire, t'a rendu légendaire ♪ ♪



Récit introspectif parfois un peu confus (ou alors c'est moi ?) du fait des multiples directions prises quelquefois toutes en même temps mais qui nous offre malgré cela une clef fort utile à la compréhension de l'oeuvre du grand écrivain japonais en général et de son illustre suicide en particulier.

Un auteur qui semble ne jamais finir de surprendre et de... fasciner.



♫ ♪ Aujourd'hui t'es plus rien, tu restes l'écrivain

Les héros de tes bouquins suivent les mêmes destins. ♫ ♫

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Le tumulte des flots

Aujourd’hui, direction le Japon, mais dans les années 50…



Dans la petite île d’Utajima, Shinji, fils de pêcheur et orphelin, vit pauvrement avec sa mère et son frère ; il est marin-pêcheur et aide au mieux sa mère qui plonge pour récolter des coquillages. Un jour, il rencontre la belle Hatsue et tombe sous le charme de cette belle jeune fille. Ils finissent par se voir de temps en temps, mais Terukichi, père d’Hatsue, puissant et riche notable du village, compte marier sa fille à Yasuo. De son côté, Chiyoko, jeune fille complexée qui se trouve laide, va surprendre les amoureux et s’arranger pour éventer leur secret.



Et là, je vous entends râler, « ah ! Encore une histoire d’amour à l’eau de rose… pfff ».



Eh bien, non, pas tout à fait. Parce que si ce roman semble simple, ce n’est qu’une apparence. Il raconte de façon tout à fait poétique cette histoire d’amour, décrit les paysages avec un talent remarquable et bien sûr, il y a la morale, qui n’épargne ni Chiyoko ni Yasuo.



Alors, ce brave Shinji réussira-t-il a épouser Hatsue malgré le refus du père et tous les obstacles qu’il va devoir surmonter ? Suspense…



Bref, un beau conte poétique, avec de la romance, de la morale et des paysages comme si nous y étions ! Alors, beau voyage !



À lire en écoutant de la musique japonaise confortablement installé(e) sur un futon, en vous régalant d’une part de Kasutera avec un verre de Saké ou un thé maccha. Bonne lecture !



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Confessions d'un masque

Déception.



Je n’ai pas du tout accroché à ce roman de Mishima dont j’avais pourtant déjà apprécié l’œuvre.



Mishima fait ici le récit (autobiographique parait-il) d’un jeune homme qui repousse d’abord inconsciemment puis consciemment ses pulsions homosexuelles et sa fascination pour le sang et la mort, dans le Japon des années 30 et 40.



Ce n’est qu’introspection, égotisme, nombrilisme j’ai même envie d’écrire. Certes on peut y trouver peut-être une longue méditation sur l’amour, mais moi cela m’est passé bien au-dessus de la tête.



Je retiens juste quelques beaux passages, malheureusement trop peu nombreux, comme celui du contact de la main du jeune homme aimé sur la peau du protagoniste ou celui du ciel de Tokyo les soirs de bombardement.

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Le tumulte des flots

Avant d'écrire cette critique, je mes suis penché sur celles des autres membres. Beaucoup ont semble t-il été déçus par la banalité du thème choisi, n'y voyant qu'un énième roman d'apprentissage.



Certes le thème est usé jusqu'à la trame, l'amour entre deux jeunes gens qui triomphera de touts les difficultés, ça n'a rien d'inédit. Mais c'est oublier que c'est Mishima qui écrivit cette oeuvre, et Mishima Yukio n'est jamais banal. Il y donc quelques bonnes raisons de lire ce livre !



On peut le lire car ce livre est intéressant quand il est resitué dans la carrière de Mishima. C'est une oeuvre de jeunesse. On y retrouve clairement l'influence de l'école romantique japonaise par laquelle Mishima a fait ses premières armes. La nature omniprésente, la simplicité d'une intrigue qui privilégie l'exaltation de sentiments nobles, tout cela se rattache au romantisme. Toutefois, Mishima affirme déjà son style si particulier : contrairement à ses premiers écrits ( La forêt toute en fleur ... ), le style s'est simplifié et moins pompeux, acquiert ce raffinement classique et subtil que Mishima affinera par la suite.



L'autre aspect intéressant de ce livre, c'est qu'avec un thème maintes fois rebattu, Mishima est parvenu à m'intéresser quand même à son récit. La lecture en est très facile, et plutôt que de nous emmener dans un récit à rallonge sur les états d'âme de Hatsue et de Shinji, l'auteur eu le talent de créer des scènes fortes qui permettent de donner de l'intensité à la passion des personnages, tout en faisant avancer le récit de manière efficace.

Ce qui est aussi intéressant et fait la force de Mishima, c'est son habileté à créer des personnages à la psychologie fascinante, et à les insérer dans un cadre qui les renforce. Ce qui montre bien que Mishima est un faux romantique, c'est que Mishima fait de son héros Shinji un symbole de pureté : celui-ci, marin aux plaisirs simples, va gagner sans ruses mais par sa probité main d'Hatsue. Le cadre de l'action, avec l'île Utajima, est au contraire une métaphore très subtile des passions de ce récit : le tumulte des flots, omniprésents, semble représenter les circonvolutions du cœur de Shinji le marin ( tempête dans les moments cruciaux de la passion). L'ile joue elle un rôle fondamental : son aspect isolé permet le hui clos de la passion, crée une atmosphère intimiste de par sa petitesse qui crée une communauté villageoise en vase clos, et permet de créer une opposition au monde extérieur qu'est le reste du Japon avec ses grandes villes, inconnu des habitants de l'île qui mènent une vie frugale. C'est aussi l'occasion pour Mishima d'affirmer son adhésion aux valeurs de respect et de travail omniprésentes sur lîle que son récit valorise.



Un livre intéressant sous un aspect banal,bien écrit. Du plaisir à la lecture.
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Confessions d'un masque

C'est un beau roman, complexe, torturé comme son personnage, Kochan, qui développe tout au long de ce texte, les multiples difficultés, angoisses, peurs à mesure qu'il découvre dès l'enfance, puis dans l'adolescence, son attirance pour les jeunes corps masculins, le premier d'entre eux étant figuré par le tableau de Guido Reni du martyre de Saint Sébastien, oeuvre à forte charge érotique, douloureuse et glorieuse, qui va le marquer à vie.



Le roman n'évoque aucune expérience homosexuelle du héros, seulement ses désirs devant les épaules, les aisselles, les torses blancs des éphèbes. Kochan recherche même une normalité en fréquentant une jeune fille, Sonoko, qu'il ne parvient pas à aimer mais avec laquelle il échangera néanmoins un baiser ardent qui ne peut le satisfaire. Il est donc pris en étau dans ses contradictions, recherche d'une norme et impossibilité d'aimer une femme.



Les échanges, les silences, les dialogues entre Sonoko et Kochan sont particulièrement intéressants, observés dans les dimensions respectives des ressentis des deux jeunes. Ils se poursuivront après le mariage de Sonoko, celle-ci continuant de rencontrer Kochan, sans doute dans un besoin inexplicable qu'ils ont de se voir, de se parler, de s'écouter. Leurs rencontres sont toujours très minutées et c'est un peu dommage pour la dernière qui se conclue à la dernière page du livre, avec une certaine frustration pour le lecteur qui aurait souhaité les suivre encore un peu.



L'ensemble se déroule en partie sur le fond de la deuxième guerre mondiale, avec la préparation militaire des jeunes hommes, des références aux avions zéros. Les bombardements des Tokyo du printemps 1945, avec leur nombre impressionnant de victimes, sont évoqués, de même que Hiroshima. Les ambiances familiales concourent à donner une image très prégnante pour le lecteur qui peut quelquefois s'égarer dans ce texte parmi les sentiments perturbés du jeune Kochan.
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Le Pavillon d'or

Au Japon, peu avant le largage des bombes atomiques, un jeune homme fils de bonze découvre pour la première fois le Pavillon d'or, un temple dont il avait si souvent rêvé et qu'il avait fantasmé. Un temple plusieurs fois centenaire réputé pour sa beauté. Si le coup de foudre attendu n'est pas immédiat, le trésor national va pourtant de plus en plus s'imposer dans sa vie, au point de l'empêcher de vivre comme n'importe quel japonais de son âge. D'abord épaté et inspiré par sa beauté, il va finalement le rendre responsable de son incapacité à voir le monde comme les autres et va commettre l'impensable...



Chronique sociologique et romancée d'un meurtre architectural. Mishima, dans une prose exquise et poétique, tente de retracer le récit de cet apprenti moine qui a incendié le 2 juillet 1950 l'un des trésors nationaux du Japon à Kyoto. Grâce à la préface du traducteur Marc Mécréant, on en apprend plus sur l'arrestation du coupable à l'époque, sur le résultat de l'acte criminel. Mishima, lui, narre le "avant", ce qui a conduit au crime.

L'approche est passionnante, l'ôde à la nature magique, les descriptions détaillées mais poétiques. Le mobile de l'infamie ? La Beauté, incarnée par le temple. Celui-ci est si beau qu'il occupe toutes les pensées de Hayashi, notre pyromane, à tel point que plus rien d'autre, même les femmes alors qu'il est à un âge où les hormones se réveillent, ne l'enflamme. Il en déduira que le temple est responsable de son incapacité à s'intégrer, ou du moins à apprécier ce que tout le monde trouverait beau et enivrant.

C'est un peu long, mais c'est très bien fait. La traduction des années 60 a un charme indéniable et participe grandement à la beauté du texte en général. La fin du récit laisse un peu le lecteur sur sa faim, d'où l'intérêt de lire la préface pour en savoir plus sur le "après".
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La Mer de la fertilité, tome 2 : Chevaux échappés

Deuxième opus de la tétralogie de Mishima, « Chevaux échappés » débute en 1932, alors que la grande dépression mondiale fait sentir ses effets désastreux sur l’ensemble des économies développées. Le Japon avec un taux de chômage à 20% n’est pas épargné.

Depuis le début de l’ère Hirohito six ans plutôt, le Japon connaît une grande instabilité politique et l’assassinat du Premier ministre Inukai le 15 mai 1932 par des officiers de marine est un coup terrible pour la jeune démocratie nipponne. Bien qu’ayant échouée, cette tentative de coup d’état marque la montée en puissance de l’armée dans les affaires du pays.



C’est dans ce contexte économique et politique particulièrement inquiétant que nous retrouvons Honda à l’âge de 38 ans au poste de conseiller à la Cour d’Appel d’Osaka. Rappelons qu’Honda était, vingt ans plutôt, l’ami de feu Kiyoaki Matsugae le personnage principal du premier opus « Neige de printemps ».



Alors qu’il assiste à un tournoi de kendo organisé lors d’une fête de printemps, il est subjugué par la fougue d’un des combattants, Isao Iinuma, dont la beauté lui rappelle son ami de jeunesse Kiyoaki.

Bien que de nature cartésienne, Honda s’est depuis longtemps senti attiré par les anciennes lois indiennes de Manu qui donnaient une importance particulière à la réincarnation. Honda en est sûr : Isao est, à son insu, Kiyoaki réincarné.



Quelque mois plus tard Honda apprend, stupéfait, l’arrestation et l’inculpation d’Isao et de onze comparses pour tentative d’assassinats sur douze personnalités japonaises éminentes. Ces capitaines d’industrie, ces banquiers, ces hommes politiques sont coupables aux yeux des conspirateurs d’être des capitalistes dépourvus de tout loyalisme national.

Une dénonciation a empêché les assassinats in extremis.



A la surprise générale Honda démissionne de son poste à la Cour d’Appel et devient l’avocat de celui qu’il pense connaître mieux que quiconque. Endossant cette fois le rôle de la défense, arrivera-t-il à sauver de la prison ces jeunes terroriste épris de pureté qui avaient projeté de se donner la mort par seppuku sitôt les assassinats à l’arme blanche accomplis ?



Chacun connaît la fin tragique de Mishima en novembre 1970.

« Chevaux échappés » écrit un an plus tôt s’apparente à un testament. La genèse de son suicide dans la pure tradition samouraï y est relatée dans un style littéraire forçant l’admiration.

S’il est un écrivain qui s’est identifié de façon radicale à un de ses personnages de roman, c’est bien Mishima !

Son jeune héros Isao endosse l’habit d’un ultranationaliste vénérant Sa Majesté Sacrée l’empereur, de surcroît son patriotisme jusqu’au-boutiste allie la conformité de la pensée et de l’action.

Au Président du tribunal qui lui demande si le patriotisme ne peut pas rester simplement une foi, Isao se référant au philosophe chinois Wang Yang-Ming répond : « Savoir et ne pas agir, ce n’est pas encore savoir ».

Puis, comme si Mishima lui-même voulait se justifier devant l’Histoire, l’écrivain fait dire à son personnage : « Telle est la philosophie que je me suis efforcé de mettre en pratique ».

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