Leslie Kaplan - L'Assassin du dimanche - éditions P.O.L - où
Leslie Kaplan tente de dire de quoi et comment est composé "L'Assassin du dimanche" et où il est question notamment de femmes qui s'organisent et de collectif, de littérature et de hasard, de
Franz Kafka et de
Samuel Beckett, d'une usine de biscottes et du jardin du Luxembourg, à l'occasion de la parution aux éditions P.O.L de "L'Assassin du dimanche", à Paris le 21 mars 2024
"Une série de féminicides, un tueur, « l'assassin du dimanche ». Des femmes s'organisent, créent un collectif, avec Aurélie, une jeune qui travaille en usine, Jacqueline, une ancienne braqueuse, Anaïs, professeure de philosophie, Stella, mannequin, Louise, une femme de théâtre
"
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Millefeuille voyait le poème sur la page, les vers se détachaient, Baudelaire parlait des vices,
"Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !"
Millefeuille souriait intérieurement et continuait
"Et dans un bâillement avalerait le monde :"
C'est l'ennui ! ...
Incroyable que Baudelaire ait trouvé que l'ennui était un vice, une erreur, une faute très grave, un péché, pas un malheur, on éprouve pourtant comme un malheur de s'ennuyer, moi en tout cas, je l'éprouve comme un malheur
Certains des assassins parvenaient à s'enfuir, mais la plupart étaient pris et revendiquaient crânement leur crime, on les voyait même rire, se moquer, faire des plaisanteries plus ou moins drôles, bref c'était le monde à l'envers.
Page 10 (Sur 55, mais pourquoi les trois dernières ne sont-elles pas numérotées?)
l'autre jour j'ai vu une affiche
"apprenez à habiter votre corps
en 25 leçons"
je n'ai pas compris
"habiter son corps"
qui habite mon corps ?
moi il me semble
il te semble ?
il me semble, moi
si ce n'est pas moi
ce serait qui ?
L’usine, on y va. Tout est là. On y va.
L’excès – l’usine.
Un mur au soleil. Tension extrême. Mur, mur, le petit grain,
brique sur brique, ou le béton ou souvent blanc, blanc
malade ou la fissure, un peu de terre, le gris. La masse mur.
En même temps, ce soleil. La vie est, haine et lumière, La vie-
four, d’avant le commencement, totale.
On est prise, on est tournée, on est à l’intérieur.
Le mur, le soleil. On oublie tout.
La plupart des femmes ont un merveilleux sourire édenté.
On boit un café à la machine à café.
La cour, la traverser.
Être assise sur une caisse.
Tension, oubli.
p.12
La Terre s’était aplatie, progressivement et de façon continue, par la masse énorme, qui grandissait sans cesse, et qu’on n’arrivait absolument pas à éliminer, dont on n’arrivait absolument pas à se défaire, de bêtises, stupidités, imbécillités, idées reçues, clichés, tautologies, discours vides, mots creux, bref, de platitudes, le terme s’imposait, oui, de platitudes qui s’échangeaient à chaque instant et finissaient par avoir un effet. Et comment non ? Les idées sont une force matérielle, c’était prouvé depuis longtemps. (L'aplatissement de la terre)
Et Simon aimait que les hommes changent, puissent changer. Laissent leurs maux. Mettent une distance, soient moins tristes, moins blessés, moins misérables, et jouent, apprennent à jouer, à être gais. Guérir une fois pour toutes l'angoisse, non, sûrement pas. Mais arriver à en faire autre chose, à s'en défendre autrement que par des rituels obsessionnels ou des somatisations, sans parler de comportements délinquants qui visent à tout faire porter au voisin...(p.56- coll. Folio)
Un homme libre, qu’est-ce que c’est ?
.....
c’est Bartleby le copiste de Melville qui un jour arrête tout en disant, I would prefer not to, Je préfère ne pas. Quand on finit par le mettre en prison et que son ancien patron vient le consoler, Regarde le ciel bleu, regarde l’herbe verte, il répond seulement, I know where I am, Je sais où je suis.
....
c’est Franz Kafka qui n’a jamais réussi à se marier mais qui peut, en imaginant la Statue de la Liberté, voir, à la place de la torche, un glaive ;
c’est un homme qui dit, alors qu’il est enfermé à Dachau, « La nuit était belle ». Robert Antelme.
.....
c’est une vieille dame à qui deux jeunes gens viennent de prendre tous ses bijoux et qui dit, Peut-être ils ne savent faire que ça .....
L’usine, la grande usine univers, celle qui respire pour vous.
Il n’y a pas d’autre air que ce qu’elle pompe, rejette.
On est dedans.
Tout l’espace est occupé : tout est devenu déchet. La peau, les
dents, le regard.
On circule entre des parois informes. On croise des gens, des
sandwichs, des bouteilles de coca, des instruments, du papier,
des caisses, des vis. On bouge indéfiniment, sans temps. Ni
début, ni fin. Les choses existent ensemble, simultanées.
À l’intérieur de l’usine, on fait sans arrêt.
On est dedans, dans la grande usine univers, celle qui respire
pour vous.
p.11
Mais qu'est-ce qu'un dialogue ?
Comment est-ce qu'on signifie à l'autre qu'on veut vraiment lui parler, qu'on lui parle vraiment, qu'on ne fait pas semblant, qu'on ne lui donne pas des mots pour rien, des mots creux, des mots vides, des mots pour en finir, pour finir de lui parler, pour passer à autre chose, de plus important, de plus urgent.
Il est traversé par une pensée vraiment bizarre, il se dit C’est vraiment bizarre de penser ça, pourquoi je pense ça, l’idée de rester là devant le tableau pour toujours.
Un point c’est tout.
Pour toujours.
Je reste là pour toujours.
Pourquoi je pense ça, se demanda Millefeuille. C’est bizarre.
Et non. C’est une idée simple, normale.
C’est ridicule, se dit Millefeuille, complètement ridicule.
Je m’en vais, il dit à voix haute, fort même.
(…) J’y retourne, dit Millefeuille, après un temps, j’y retourne. Je ne peux pas ne pas y retourner. Il se leva, il était quand même fatigué, mais il revint sur ses pas, et se planta de nouveau devant l’autoportrait. Il attendit un peu.
Au bout d’un moment, il entendit distinctement, Ça suffit l’agitation.
Il regarda autour de lui, personne. Évidemment, c’était le tableau.
Il soupira. Ensuite il dit, Je sais, je sais. Il avait envie de pleurer.