Fantasque, espiègle et déterminée,
Aurore est une adolescente d'à peine 15 ans. Pleine d'espoirs et de rêves, elle voit pourtant ses certitudes voler en éclat lorsqu'elle découvre le secret de ses origines. Pour elle, c'est la fin du monde. La fin de son monde. Une douleur sourde et profonde la submerge et la laisse désemparée, déboussolée.
"Une rivière de douleur qui remontait de mes oreilles à mes tempes, de mes tempes à ma gorge, et allait se jeter violemment dans le puits trop étroit de mon coeur."
Alors, pour tenter d'exorciser sa douleur,
Aurore prend la plume puis la poudre d'escampette. Se confier pour déguerpir. Ou alors déguerpir pour se confier. Tout se mélange dans sa tête… Plus rien ne semble vrai, plus rien n'existe en dehors de cette trahison. Mais où aller quand on n'a que quinze ans? Qu'importe, tant que c'est loin, très loin de la maison. Et surtout, sans quelconque lien avec sa famille.
Alors, on traverse la rue et on se réfugie chez la voisine Xu. Petite chinoise perdue dans l'immensité du monde, qui regarde, inlassablement, sur son globe le pays qu'elle a dû quitter. Engluée dans son propre déracinement, c'est pourtant elle qui parviendra à mettre en musique les maux d'
Aurore.
"-Je peux avoir un mouchoir?
-Non, laisse-les couler, c'est comme les fleurs, le matin, tu sais…
-La rosée?
-Oui
Une larme est tombée sur son front. Elle a fait un petit geste brusque:
-Ca y est. C'est la première note de musique, elle a dit en posant ses mains sur le piano."
Mais quand le torrent de larmes est trop fort, il faut être fort comme un chêne pour y résister. Et quand on se sent aussi frêle qu'un arbuste, on court se réfugier sous les branches protectrices de son grand-père. On y dépose les armes et on s'y abandonne.
"C'est peut-être ça, grandir. Plus la vie nous cabosse à l'extérieur, plus au-dedans, on s'adoucit. Parce qu'on comprend, au bout d'un moment, que ça ne sert à rien de lutter. Tout passe, et passe, et à force de nous repasser dessus, la vie nous apaise enfin."
Peu à peu,
Aurore finit pas s'apaiser, par s'ouvrir au monde. Un autre monde, inconnu, lointain et pourtant si proche. Et quand Sliman, jeune migrant orphelin qui a traversé la mer et ses tempêtes, débarque dans sa vie, c'est avec objectivité et maturité qu'
Aurore prend conscience de la relativité de son malheur. Désormais, elle ne sera plus cette petite fille perdue en quête d'identité. Elle sera elle, puis l'autre, indivisible, unique et universelle.
"Qu'il s'agisse de Sliman, si différent de moi, venu totalement d'ailleurs, avec ses coutumes à lui, sa façon de voir la vie ou de comprendre les étoiles, ou qu'il s'agisse de Constance ma soeur, élevée par les mêmes parents, dans la même maison, dans le même pays, ça revenait au même: l'autre, c'est tout le monde sauf moi. Et pour le monde entier, je suis l'autre. Donc moi, je suis l'autre; et par conséquent l'autre c'est moi. Tout le monde est moi. Je suis tout le monde."
Aurore est un livre jeunesse drôle et émouvant. Sous forme de journal intime, cette fable aborde avec poésie le thème de l'identité, de l'adoption. Inventif,
Jérémie Kisling, auteur-compositeur et interprète parvient à balloter son lecteur entre rires et larmes, sans jamais se départir de sa légèreté. Avec un vocabulaire riche et des tournures de phrases parfois cocasses, les lecteurs adolescents se surprendront sans doute à s'arrêter pour relire et analyser quelques unes des réflexions profondes d'
Aurore.
Car oui, ce livre est vraiment un livre jeunesse. Les yeux des adultes ne verront pas cette histoire par le même prisme. Certains y relèveront une trop grande légèreté de la part des parents d'
Aurore qui, bien que conscients du traumatisme vécu par leur fille, ne s'alarmeront pas outre mesure de sa disparition. D'autres regretteront que le thème de l'adoption y soit beaucoup trop survolé, saupoudré de légèreté et parsemé de clichés. D'autres enfin y décèleront l'anachronisme d'une trop grande maturité intellectuelle et philosophique pour une jeune fille d'à peine quinze ans.
Mais voilà,
Aurore est un conte moderne, une fable aux accents utopiques. Il conviendra alors aux adultes de laisser choir leur costume, d'oublier leur vision du monde et de se plonger dans cette histoire fraîche, poétique et philosophique. Mais gare à ne pas rompre le charme par trop d'analyses, de rapprochements avec la réalité. Les adolescents ne seront pas en reste. Il leur conviendra d'accepter de prendre le temps, de se laisser submerger et transcender par certaines réflexions abordant la vie avec philosophie et drôlerie.