Le livre de Nicole Lapierre se divise en trois parties « Alliances », « Correspondances » et « Transferts ». L'auteure les présente ainsi : « C'est aux alliances, aux combats partagés, que la première partie de ce livre est consacrée », « La croisée des imaginaires et des questionnements identitaires, explorée dans la deuxième partie, conduit de Harlem à Paris, en passant par les Antilles » et « Les stratégies par rapport à la barrière de la couleur, envisagées dans une troisième partie, nous ramènent aux États-Unis. Longtemps, les Juifs y ont fait figure de tiers plus ou moins à part dans le face-à-face des Noirs et des Blancs. »
C'est un voyage dans le temps et les lieux où, au gré des différentes analyses se croiseront des intellectuels et écrivains afro-américains, antillais, juifs entre autres, certains cumulant les ‘origines'. Beaucoup d'hommes et peu de femmes.
Si le racisme et la lutte contre les discriminations les réunissent, et quelques fois, les séparent, les questions ou dimensions nationales, non traitées par l'auteure, ne sauraient être assimilées les unes aux autres. Ce qui peut expliquer les engagements différents dans les combats pour l'émancipation pris comme engagements politiques, voire partisans, au delà des envoûtements par le communisme réellement existant, par le stalinisme meurtrier qui se retournera quelques fois contre ceux là même qui voyaient dans l'URSS ‘la patrie du socialisme'
L'auteure montrent bien comment peuvent exister des croisements, des jonctions, des (re)prises en compte ou des unités des combats contre les discriminations racialisantes ou racistes. La concurrence des victimes n'est pas une donnée mais une construction dont une partie dérive de la non reconnaissance des persécutions, des oppressions des autres.
Je ne ferais qu'une citation de
Martin Luther King, reprise par l'auteure : « Pour employer les termes de
Martin Buber, le grand philosophe juif, la ségrégation substitue à la relation entre ‘moi et toi' une relation entre ‘moi et celui-là' qui finit par reléguer les personnes au rang de choses. »
En conclusion, Nicole Lapierre revient sur son projet « En particulier, je voulais explorer une histoire incarnée, entée sur les croisements de quelques personnages, juifs ou noirs ; étudier d'abord, en plan rapproché, leurs parcours, leurs pensées, leurs discours et, de là, élargir le champ en dégageant progressivement autour d'eux des paysages socio-historiques et des configurations idéologiques. » et au terme de ses causes communes fait ressortir deux éléments importants :
« L'intersubjectivité et les liens tissés à la faveur des collaborations intellectuelles, des fraternités de combat, des amitiés ou des amours, permettent d'approfondir une connaissance réciproque, indifférente aux différences construites comme des barrières ou de barrages, attentive en revanche à la diversité du semblable, aux analogies et aux disparités d'expérience, d'histoires, de mémoires et rétive à l'unité de l'homogène. »
« Les analyses en terme d'intégration, longtemps privilégies par la sociologie, ou celles en terme d'acculturation, utilisées en ethnologie, sont trop réductrices. Dans une logique binaire de gain ou de perte, elles négligent la plasticité des relations, la capacité des individus à se transposer vers un autre point de vue que le leur, à changer de perspective. »
Contre un certain fatalisme ‘communautaire', un livre très attachant, qui donne envie de (re)lire certains auteurs croisés, invite à reconsidérer des pans d'histoire et redonne sens aux dimensions universelles des combats pour l'émancipation.
Aujourd'hui le racisme dominant en France et dans une grande partie de l'Europe concerne les Rroms, les Arabes, les Musulman-e-s (et pour partie, sous ces vocables, des femmes et des hommes qui ne sont ni l'un-e ni l'autre). Un autre inventé, (re)construit, un repli, un enfermement dans une mystifiante et mystifiée identité introuvable.
Pour celles et ceux qui n'ont pas de couleur, car la blanchitude leur semble si naturelle, nous restons toutes et tous, nous les autres, des schwartz.