Avec tous mes respects pour mon ami moravia de Babelio, je dois constater que nous arrivons à des conclusions légèrement différentes sur l'épisode romantique entre deux monstres sacrés, l'une du grand écran, l'autre de la littérature ou
Marlene Dietrich versus
Erich Maria Remarque.
Un ouvrage singulier dans la mesure où il nous offre une occasion unique de prendre connaissance des pensées et sentiments profonds et intimes d'un géant de la littérature allemande. Nous permettant, ainsi, une évasion dans le temps, en compagnie de deux célébrités et le lien amoureux qui les unissait. Par ailleurs, une oeuvre éditée avec très grand soin et contenant de nombreuses illustrations photographiques.
Le grand avantage de cet ouvrage est qu'il ne convient pas, comme à l'accoutumée, de présenter les protagonistes : ils sont tellement célèbres, qu'ils pourraient se retourner dans leurs tombes d'indignation, si je m'y aventurerais. Qui, en effet, ne les connait pas ? Nous pouvons donc passer tout de suite à l'action !
Découverte par le grand cinéaste
Josef von Sternberg, dans "
L'Ange bleu" de 1930, basé sur un livre d'
Heinrich Mann "Professeur Unrat" (déchet en allemand) et un scénario du talentueux
Carl Zuckmayer, elle s'était faite une réputation,
après une quinzaine de flops et bides à l'écran. Est-ce grâce à sa fameuse chanson "De la tête aux pieds, je suis faite pour l'amour" ou comme le formulait
Heinrich Mann laconiquement "Le film doit son succès aux cuisses dénudées de Mademoiselle Dietrich", quoi qu'il en soit, un succès c'était et Marlene put partir pour Hollywood.
En dépit d'un contrat super-séduisant de la Paramount, sa carrière hollywoodienne tournait plutôt au désastre et
après une amourette avec Douglas Fairbanks jr, elle décida de partir, en 1937, non pas pour l'Allemagne, comme antinazie, mais pour Venise.
Curieusement, Remarque se trouvait dans une situation analogue :
après le succès phénoménal de son : "
A l'Ouest rien de nouveau" de 1930 - le livre le plus lu
après la Bible - il souffrait de l'angoisse de la page blanche (writer's block) et était dans le collimateur des nazis. Venant du Lac Majeur, il débarqua le même mois de septembre 1937 à Venise. Une amourette avec l'actrice autrichienne Hedy Lamarr venait juste de prendre fin.
Leur toute première rencontre est relatée dans ce livre par
Maria Riva, l'unique fille de la diva, qui l'avait déjà raconté dans la biographie de sa mère, sous le titre très simple "
Marlene Dietrich". Ce serait un péché de ma part de tenter de résumer ici cette scène et de priver les futurs lecteurs d'un beau moment de lecture.
Entre Remarque, résident à Porto Ronco près d'Ascona en Suisse, et Dietrich, le plus souvent à Beverly Hills, s'instaurait une abondante correspondance : depuis leur première rencontre jusqu'à la mort de l'auteur en 1970, l'ouvrage contient 219 lettres et messages de lui à elle.
Le courrier dans l'autre sens, fût malheureusement détruit par l'épouse de Remarque, l'actrice américaine Paulette Goddard, l'ex érégie de
Charlie Chaplin. Cette correspondance fut entrecoupée par des séjours, déplacements et voyages ensemble à Paris, Cap d'Antibes et Hollywood etc., mais aussi de séparations relativement fréquentes, suivies de retrouvailles. La relation entre une favorite de Sapho et bisexuelle qui accumulait les amants et un homme sexuellement impuissant ne pouvait être simple, bien entendu. Il est important de souligner que Remarque a annoncé la couleur dès leur première rencontre à Venise.
La réalité précitée n'a nullement empêché Remarque de vraiment aimer Dietrich. Ses lettres en sont autant de témoignages incontestables. Que Dietrich admirait Remarque comme auteur et homme sensible ne fait pas non plus de doutes. Entre eux c'est établi un lien étrange mais indestructible sur une période de quelque 33 ans. 9 jours avant son décès dans un hôpital à Locarno,
Marlene Dietrich lui envoie un ultime câble, écrit à la main :" Je t'envoie tout mon coeur " (Ich schicke dir mein ganzes Herz).
Si j'hésite un peu à recommander cet ouvrage c'est parce qu'il m'a fait connaître un tout autre
Erich Maria Remarque, que l'image que j'avais de lui et qui était basée sur des photos de lui et la lecture de 11 de ces oeuvres. En fait, j'apprends ici qu'il n'a pas été ce personnage fort et sûr de lui, mais au contraire, particulièrement sensible, fragile et en butte à de sérieuses dépressions. D'autre part la qualité littéraire de nombre de ces lettres à
Marlene Dietrich vaut absolument la peine d'être lue.
En guise de conclusion, je cite le commentaire de Claire Archer, paru dans 'L'Actualité du livre', qui résume parfaitement l'ouvrage : " Tantôt lyrique, tantôt nourrie des petits détails de l'existence, toujours poétique, cette correspondance est le dévoilement pudique d'une longue vie amoureuse, heureuse." Ou pour citer le grand écrivain lui-même : "Les pensées sont les ombres de nos sentiments."