Récompensé par le Prix le Monde de la recherche universitaire et publié dans la collection « Partage du savoir » des
Presses Universitaires de France,
du bien-être au marché du malaise est un ouvrage, certes scientifique, mais abordable dans son contenu pour un public (relativement) large. Il n'est pas nécessaire d'avoir étudié la sociologie pour suivre le raisonnement de
Nicolas Marquis.
Divisé en sept chapitres, l'ouvrage s'attache à dresser dans un premier temps un état de l'art de la recherche sur le développement personnel. L'auteur précise que si la question a déjà été étudiée, elle l'a souvent été par une étude approfondie des contenus (souvent répétitifs) des ouvrages de développement personnel et rarement sur l'effet produit par ces contenus sur la vie des lecteurs.
Nicolas Marquis fait ensuite le point sur les reception studies qui ont pour but d'analyser l'expérience de lecture de manière générale. Il dresse un tableau de leurs intérêts et limites.
Avec le troisième chapitre, vient le temps pour l'auteur de définir son propos et de présenter sa méthode et ses sources – à savoir les livres de développement personnel, les courriers de lecteurs de ces livres adressés aux auteurs, et des entretiens avec certains lecteurs.
Les chapitres 4 et 5 s'attachent à développer les causes à l'origine de la lecture de développement personnel (à savoir une brêche ou « failure » dans la vie du lecteur) et les interactions entre le livre et le lecteur, la manière dont le lecteur s'approprie ou garde une certaine distance, effectue un tri dans ce qu'il lit.
Le chapitre 6 s'appuie sur l'idée que si les discours du développement personnel sont acceptés et font sens pour bon nombre de lecteurs, cela s'explique parce que ces lecteurs partagent un ensemble de représentations symboliques qui s'articulent et s'expriment dans des jeux de langage.
Nicolas Marquis interroge le fait que ces repésentations – identifiées dans les discours des personnes rencontrées – ne sont jamais remises en cause par les lecteurs. Ce sont des acquis, des représentations établies et partagées. Empruntant ses méthodes à l'anthropologie, l'auteur décortique ces jeux de langage qui présentent l'intériorité de l'individu comme source d'authenticité, de puissance et de sens, la société comme un élément nuisible à l'origine du malaise social, de l'absence de repères et de bien d'autres maux. Les personnes interrogées partagent l'idée que le monde rencontre une période charnière, « que les choses bougent » et que le développement personnel – et surtout sa pratique – contribue à alimenter un processus qui tend vers le bien-être, ou le mieux-être. Une dernière idée retenue est celle qu'il y a toujours potentiellement quelque chose à faire pour améliorer une situation en travaillant sur soi. Tous les problèmes rencontrés par un individu sont source d'évolution à condition que l'individu accepte de respecter certaines règles véhiculées notamment par les ouvrages de développement personnel.
Dans son dernier chapitre,
Nicolas Marquis explique que les représentations décrites précédemment n'apparaissent pas suite à la lecture d'ouvrages de développement personnel mais lui pré-existent. Il compare ensuite les similitudes entre la sorcellerie et le développement personnel en s'appuyant sur une étude menée auprès de la tribu des Azandé et leur rapport à la magie. L'efficacité et l'impact de la magie – ou de la croyance en la magie – , tout comme l'efficacité et l'impact de la lecture et de la pratique du développement personnel, est indéniable sur l'organisation de la société et le comportement de l'individu malgré l'absence d'explication rationnelle de la cause de cette efficacité. N. Marquis s'interroge alors à la suite d'autres sociologues et anthropologues sur la source de cet attachement à des phénomènes démentis par la science. Quel est le sens, le but, le pourquoi qu'une culture, une « forme de vie », donne à ses représentations symboliques ? Dans le cas de la magie des Azandé et du développement personnel, le but est identifié comme relevant d'un besoin de trouver un responsable aux malheurs rencontrés afin de pouvoir agir en conséquence. Dans le cas du développement personnel, une cause peut-être trouvée (et transformée) dans l'intériorité de l'individu. Là où le Zandé recherche qui lui en veut, l'adepte de développement personnel s'interroge : « En quoi suis-je responsable de ce qui m'arrive ? Que puis-je faire pour y remédier ? ».
En ce sens, une condition sine qua non au déploiement du développement personnel est l'existence d'une société prônant l'autonomie de l'individu, pensée par ailleurs largement importée de nos voisins d'outre-atlantique.
La conclusion de l'ouvrage ainsi que la notice méthodologique qui la suit viennent préciser quelques points de méthode liés à la recherche en sciences sociales, à la définition d'un sujet, à la récolte et au traitement du matériau étudié. Une bibliographie largement étayée vient ensuite compléter l'ensemble.
Pour clôturer ce billet, je pense que les thématiques de recherche de
Nicolas Marquis et ce livre en particulier sont extrêmement bénéfiques. Elles permettent une mise à distance d'un phénomène largement répandu, parfois vanté, souvent critiqué, rarement argumenté et encore moins présenté avec l'objectivité du scientifique. J'ai vraiment apprécié cette lecture et d'avantage encore vous la résumer ici – l'exercice m'a permis de me l'approprier un peu mieux.
Et je suis maintenant curieuse de savoir ce que les idées développées par
Nicolas Marquis vous inspirent… ?
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https://synchroniciteetseren..