Cette biographie s'attache à comprendre le parcours intellectuel d'
Edgar Morin sur sa très longue vie et les tumultes de plus d'un siècle. Changer de voie, mais quelle voie suivre ? Telle est la question à laquelle il a tenté de répondre en explorant de nouveaux modes de connaissance. Il ne prétend pas donner une méthode à appliquer mais sa méthode de pensée, construite sur le doute, la remise en question permanente et l'écoute, pourrait peut-être être utile pour dépasser bien des blocages de notre époque.
La vie d'
Edgar Morin est esquissée, dans ses grandes lignes, dans une première partie où il est question des idéaux qui vont l'amener à un engagement politique. Il est né en 1921, enfant unique aux origines multiples il porte le nom de Nahum, son père ayant fui les combats de Salonique lors de l'effondrement de l'Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale, mais le fil de ses origines remonte jusqu'en Italie et en Espagne, à l'exil qui a été le lot de bien des familles d'origine juive. Dès l'enfance, c'est un esprit curieux, avide de connaissance que ce soit en littérature, en philosophie ou en cinéma, pages passionnantes où j'ai vu se forger une personnalité hors du commun au contact des oeuvres du passé et des intellectuels qu'il a pu côtoyer dans l'entre deux guerres. En 1943, devant la menace d'un enrôlement dans le STO (Service du Travail Obligatoire), il rejoint la Résistance où il prend le nom de Morin, qu'il gardera par la suite. Engagé en politique au côté du Parti communiste, il a pris ses distances et en est exclu en 1951.
Après les années 1950, sa méfiance des idéologies le conduira à se diriger vers la
sociologie, obtenant un poste au CNRS en 1950 dont il deviendra Directeur de recherche en 1993. Je le connaissais sympathique humaniste, invité régulièrement des médias, je le découvre sociologue, philosophe, chercheur dont la longévité et la production m'impressionne. J'ai apprécié l'effort fait par l'auteur pour rendre abordable la pensée de Morin : il y est question de boucles de rétroaction, des systèmes complexes, d'étude de la dimension sociale de l'homme, de théorie des systèmes et de l'organisation…
Edgar Morin s'intéresse à la biologie, aux théories quantiques, à la neurobiologie et la cybernétique dans le cadre d'une interdisciplinarité qu'il juge indispensable. Son oeuvre la plus célèbre « La méthode », dont la rédaction s'étale sur une trentaine d'années à partir de 1973, comprend quelques deux mille pages.
Il a été profondément marqué par la façon dont l'URSS, qu'il a défendue dans sa jeunesse au sein du Parti communiste et de la Résistance, a pu caricaturer ses idéaux. L'
autocritique de ses erreurs vis à vis du stalinisme dans un contexte de lutte contre le nazisme est largement présentée. L'auteur insiste sur l'influence qu'elle va exercer sur son oeuvre.
C'est une biographie tout à fait agréable et intéressante, un retour sur l'histoire et la vie des idées sur une période qui s'étend de 1930 à maintenant et un focus sur la vie d'un homme remarquable. J'ai découvert quelles fortes influences il pouvait avoir sur la réflexion contemporaine dans le monde méditerranéen et en Amérique latine, et jusqu'en Chine, Corée, Japon…
Edgar Morin fait un centenaire d'une jeunesse d'idées incroyable. Refonder la pensée à partir de là où l'ont laissée les grands philosophes et l'histoire récente, défi immense qu'il relève avec élégance. J'y ai vu une recherche morale tout à fait passionnante de la part d'un homme épris de fraternité, cultivant la tolérance et l'espérance.
Francis Lecompte est journaliste et collabore à CNRS le journal et Carnets de science. Il a nourri son étude de nombreux entretiens avec
Edgar Morin et avec des chercheurs familiers de sa pensée. A la fin du livre, l'index des nom cités et une bibliographie des oeuvres d'
Edgar Morin, ainsi que des livres et articles cités, permettent de juger de l'énorme travail fourni par l'auteur.
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