Ce que les pléonexes promettent aux néotènes transformés en gogos ego, c'est à dire en egogos, c'est chatouilles et jouissances garanties. Ils s'emploient en effet à convaincre chacun que son salut est dans la marchandise. C'est pourquoi ils agitent sans cesse devant le nez de chacun un produit manufacturé, un service marchand ou un fantasme sur mesure concocté par les industries culturelles. "C'est de ce produit qu'a besoin votre âme, pour que vos pulsions soient satisfaites." Le monde des néotènes, mené par les pléonexes, est ainsi devenu une gigantesque "droguerie", un drugstore géant. Tu sais, ma belle amie, comment a commencé la civilisation occidentale: par des procédures de transposition de la pulsion afin que celle-ci laisse une trace symbolique placée dans une connaissance sans cesse déplacée par de précieuses jouissances. Tu vois comment elle est en train de finir: par l'exploitation industrielle de l'âme d'en bas et son épuisement dans des jouissances à deux sous.
C'est non seulement à ces précieuses jouissances esthétiques, mais aussi à la belle jouissance de la consumation festive que le développement de la pléonexie a mis fin. Le pléonexe, au lieu de "donner, recevoir, rendre" a pris pour lui les biens afin de les accumuler. Et, comme nous regimbions beaucoup, il a fini par nous échanger dans cette consumation festive, où nous flambions dans la joie collective les richesses accumulées, en nous revendant à sa place les petits plaisirs empestés de la consommation individuelle.
Dans l'aculture pléonexique, l'adulte en reste à la toute-puissance imaginaire de l'enfant qui croit qu'il peut s'octroyer tous les droits, s'affranchir de toute loi commune, décider de son sexe après coup et autres prodiges. J epeux le dire autrement: l'aculture pléonexique favorise une infantilisation du néotène, c'est-à-dire une sur-néoténisation. Le néotène doit être maintenu à l'état infantile parce qu'alors il demandera tout et son contraire. C'est une véritable aubaine pour le bon Marché qui se fendra en quatre pour exaucer voire prévenir les demandes les plus farfelues en chatouillant les sujets partout où ça les gratouille.
C'est là que le pléonexe, ce grand avide jouit: lorsque l'avide a vidé les sujets de leur jouissance propre et qu'il les a fixés quelque part, en les accrochant à ses objets de pacotille. Bref; le pléonexe a trouvé un nouveau moyen de contrôler le monde: il ne s'agit plus de contrôler directement tous les agissements de tous les individus, il s'agit plus simplement et plus efficacement de donner a chacun le moyen de s'aliéner tout seul en lui faisant accroire que sa liberté est là.
Si tu y penses un instant, il était fatal, ma belle amie, que le néotène, celui qui manque, engendre le pléonexe, celui qui veut toujours plus. Quand on a moins, n'est-il pas normal qu'on en veuille plus? La tentation pléonexique a donc toujours été présente. c'est même un effet structural de la néoténie. C'est pourquoi la régulation de cette tentation est devenue le problème n°1 des cultures.
La création esthétique était ainsi un merveilleux pis-aller pour accepter la faiblesse suprême, la mort. Un troc, un échange, une conversation, une sublimation jouissante de l'horreur en beauté. Mais quelle valeur la création esthétique peut-elle encore conserver face à la création prothétique qui promet de déplacer ce qui était la limite absolue, la mort?
Le phénomène trans I Dany Robert Dufour