L'engouement pour les pays asiatiques est de plus en plus fort ces dernières années, surtout en ce qui concerne le Japon. Je ne connais rien à la culture du pays du soleil levant. Un des seuls romans que j'ai lu sur le thème, et ça remonte à de nombreuses années, est
Geisha d'
Arthur Golden, fresque somptueuse débutant dans les années 1930 et donnant une image très romanesque de la prostitution de luxe, au travers de la vie quotidienne de courtisanes.
C'est une image bien plus dure et réaliste que livre à ses lecteurs
Maëlle Lefèvre dans son premier roman intitulé
Jiazoku. Bienvenue dans les sombres recoins d'un Japon moderne à mille lieues des images fantasmées de petits personnages de mangas aux couleurs acidulées.
« Cette enfant trop sage et silencieuse qu'elle avait la lourde tâche d'élever lui inspirait la pitié, et même un léger chagrin. le chagrin des enfants rois. » p. 34
En 2015, c'est la fin de la politique de l'enfant unique en Chine. La démographie est moins contrôlée et de nombreuses familles décident de faire un deuxième enfant. Mais dans un monde où la carrière et les apparences sont primordiales, les femmes hésitent à vivre une seconde grossesse. C'est dans ce contexte qu'un odieux réseau clandestin de mères porteuses, destiné aux riches familles chinoises, voit son avénement à Tokyo. Ce trafic d'êtres humains est géré dans le quartier chaud de Kabuchiko par un clan Yakusa.
Cette histoire commence en Chine, à Shanghai, où vit la petite Fen dans une famille de riches industriels. Elle a trois ans est est élevée par sa nounou, son « Ayi » qui prend le rôle de sa mère, le plus souvent absente. Les enfants sont éduqués dans un culte de la perfection en vue de leur préparer un avenir des plus prestigieux. Mais les parents de Fen souhaitent un deuxième enfant, et dans ce but décident de partir au Japon pour initier les démarches auprès du réseau qui leur a été recommandé.
« Watanabe Daisuke pensa : « Cette impression de légèreté… » Oui il était heureux. Heureux… Parce que son petit Kei était là, à l'abri, près de lui. Et que personne ne pouvait lui faire de mal. » p. 121
Guan Yin est prostituée à Kabuchiko depuis son plus jeune âge, elle a une petite fille de 7 mois, conçue accidentellement, qu'elle élève de son mieux. En prenant de l'âge et suite à sa grossesse, elle subsiste de plus en plus difficilement car elle a du mal à trouver des clients. Elle vit avec son amie Bo, les deux femmes partagent un quotidien misérable et c'est donc une opportunité pour elles quand on leur propose de concevoir pour une autre. Guan Yin est recrutée et démarre une grossesse pour les parents de Fen. Malheureusement les commanditaires du bébé décèdent accidentellement avant de récupérer leur enfant, et le petit Kei est placé dès sa naissance dans une nurserie clandestine. Quand l'argent laissé pour l'élever par sa famille chinoise fait défaut, le petit garçon est remis à Daisuke, redouté bras droit du chef de clan Yakusa. Celui-ci ne peut se résoudre à l'éliminer et prend sur lui d'assurer son éducation…
Ce roman de
Maëlle Lefèvre est une immersion en plein coeur de la culture japonaise et de ses côtés sombres ainsi que des valeurs prônées par les riches familles chinoises. La qualité première de ce texte est une hyper documentation de l'auteure qui en dit long au lecteur sur la hiérarchisation de la société et le fonctionnement des réseaux mafieux nippons. J'ai appris énormément au cours de ma lecture.
Ceci dit, le thème essentiel de ce roman ne se situe pas essentiellement dans l'exploration de ce milieu inquiétant. Il s'agit surtout d'une quête identitaire de la plupart des personnages, perdus dans une société qui exige d'eux avant tout une image sociale. Kei est en recherche de son histoire de vie, Fen orpheline également n'a de cesse de découvrir qui était sa mère. Guan Yin, sa fille An, Bo mais aussi Daisuke courent après leurs racines et l'affection de leurs proches, malgré un masque de froideur imposé par leurs "fonctions" respectives. C'est donc un roman bien plus humain que ce qu'il parait de prime abord, les personnages en sont touchants, notamment à travers la solitude et la rigidité qu'ils dégagent.
« Guan Yin, figée et toujours aussi souriante, restait fixée sur sa fleur en jade, une main levée comme en signe d'avertissement. Un avertissement pour tous les secrets enfouis dans le silence et la pénombre du temple, sous la protection des bandelettes dorées exauçant les voeux de tous les pèlerins venus se recueillir. » p. 231
Ce roman dresse un portrait plutôt inattendu des moeurs d'une société qu'on croit connaître de par les médias, mais dont nous sommes dans l'ignorance. Éloignée de nous de par ses traditions mais proche dans ses dérives,
Maëlle Lefevre nous surprend vraiment avec ce récit foisonnant de détails. C'est un livre idéal pour les amoureux des descriptions et les curieux souhaitant en savoir davantage notamment sur les clans Yakusas.
Je tiens à saluer l'immense talent en devenir de cette jeune auteure qui livre un premier roman très abouti notamment par sa plume d'un réalisme et d'une maturité stupéfiante compte tenu de son jeune âge. En effet,
Maëlle Lefèvre est âgée de 19 ans et a écrit
Jiazoku à l'âge de 17 ans. C'est donc une jeune femme très talentueuse que je ne manquerai pas de suivre et à qui je souhaite une très belle réussite à l'image de ce premier opus.
« Kei savait que Watanabe-sama avait compris. Daisuke savait qu'il restait bien des choses à révéler au garçon mais cette seconde-ci, cet instant-là n'appartenait qu'à eux deux. À un père et un fils. » p. 342
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