Mais quel titre intriguant, et quelle jolie couverture ! J'avais découvert ce livre lors d'un swap l'an passé, je ne sais même plus trop comment, très certainement un peu par hasard. Je ne me rappelle plus précisément la consigne majeure, mais il me semble me rappeler que l'idée était de choisir l'un ou l'autre livre des îles britanniques. Ainsi, quand je suis tombée sur ce livre d'une autrice inconnue du Pays de Galles, ça a été d'emblée un coup de foudre, avant même de le tenir entre les mains – et je remercie aujourd'hui encore ma swappeuse-swappée, qui se reconnaîtra j'espère, d'avoir si bien choisi !
C'est que ceux qui me suivent le savent : dans une autre vie j'ai joué de la clarinette… instrument en si bémol ! Quant à savoir si la terre fredonne réellement, j'ai un peu de mal à le dire ; ce qui est certain, en revanche, c'est que, dès que j'entends de la musique (de préférence classique, ça ne marche pas trop avec les chansons, variétés etc.), j'entends non seulement un air ou une mélodie, mais réellement une suite de notes qui chantent dans ma tête… pas forcément justes, et on s'en fout un peu ! Ce qui est remarquable, en revanche, c'est que j'entends systématiquement ces airs en si bémol, comme si j'allais pouvoir les jouer à la clarinette dans l'instant ! Je sais que les musiciens comprendront ce que je veux dire par là ; je m'excuse auprès des autres pour qui ça pourrait sembler obscur… Je leur dirai alors seulement que cette idée de « fredonner en si bémol » est quelque chose qui me touche énormément, intimement, car c'est toute ma vie qui en est remuée – une vie depuis toujours empreinte de musique, à travers ma maman avant que je m'y mette moi-même, puis j'ai commencé la clarinette à 10 ans, et même si je n'ai quasi plus guère joué ces dernière années, ça fait quand même une quarantaine d'années que « tout cela » me fait vibrer.
Mais penchons-nous maintenant sur le livre même, avec sa jolie couverture au titre reliéfé – ce qui ajoute au plaisir. Il nous conte une histoire qui touche à beaucoup, beaucoup de sujets, sans que l'autrice donne jamais l'air de se disperser, car c'est aussi, tout simplement, le quotidien d'une jeune fille de presque 13 ans (12 ans et demi, dit-elle elle-même) à l'imagination débordante, ce qui n'est pas forcément ni bien vu ni très « habituel » dans un petit village du Pays de Galles, on suppose dans les années 1950 (puisque la petite Gwenn, notre héroïne, serait née vers la fin de la Guerre). C'est un petit village où tout le monde se connaît depuis toujours et où tout se sait sur les uns et les autres ; c'est une époque où la vie paroissiale est prépondérante, avec son « école du dimanche » où l'on va en famille et où l'on se retrouve divisé par tranches d'âge, et les sermons de « la Voix de Dieux », surnom bien opportun du révérend ! C'est un village gallois typique, aussi : la mer toute proche fait partie du décor au même titre que les moutons sur les collines herbeuses ; à l'école il faut parler anglais mais le gallois reste la langue vernaculaire que tout le monde utilise partout, au grand dam des quelques Anglais installés là et qui ne parviennent pas à s'intégrer complètement.
Un double événement va bouleverser à tout jamais la vie de Gwenni, notre jeune héroïne. D'une part, sa meilleure amie de toujours, de tous ses jeux et de tant d'instants partagés, s'éloigne insensiblement, trouvant un intérêt soudain aux garçons, que les deux petites filles avaient toujours rejetés jusque-là, comme des êtres étranges. C'est que Gwenni et son amie Alwenna sont à cet âge magique où on a encore un pied dans l'enfance, mais où on se sent implacablement tiré.e vers l'adolescence, qui n'a peut-être pas l'intérêt démesuré qu'on lui donne aujourd'hui, mais qui n'en est pas moins un passage, ouvrant peu à peu une autre façon de voir et considérer la vie, sa famille ou ses amis. Et cela se ressent très fort à travers tout le livre, car Gwenni garde encore et toujours son côté un peu naïf et enfantin, un peu ingénu même parfois, tout en tombant peu à peu, presque malgré elle, dans une toute nouvelle maturité de très jeune adulte…
D'autre part, la mort du mari de l'institutrice, jeune femme cultivée dont Gwenni était très proche, va projeter tout le village dans une autre dimension. Il apparaîtra très vite que la mort n'était pas accidentelle, et le ou la coupable sera identifié.e (très rapidement dans la tête du lecteur, beaucoup plus tard dans le livre) sans qu'il y ait de réelle enquête, c'est vraiment un aspect très secondaire et dont l'apparente non-résolution n'est pas un obstacle au reste de l'histoire. Car ce meurtre (car c'en est un) va surtout servir de déclencheur, en réveillant (et faisant éclater) des secrets enfouis que certains voudraient taire à jamais, mais il est des silences qui créent plus de malheur que la vérité…
Il est difficile de dire à travers une telle tentative de résumé à quel point ce livre foisonnant entraîne le lecteur au coeur de ce village comme si on en faisait partie, en suivant toujours les événements à travers les yeux de Gwenni, dans un langage toujours juste, très imagé et parfois même onirique. On retiendra longtemps les pichets Toby qui ornent la cheminée, et à qui l'imagination de Gwenni prête vie en fonction des événements ; on verra Gwenni « voler » la nuit dans ses rêves et on suivra presque avec tristesse ses essais infructueux d'y parvenir aussi en journée quand elle est éveillée ; on aime sa candeur face à l'idiot du village aussi innocent que l'agneau qui vient de naître.
On a ainsi une galerie de personnages pas toujours sympathiques, mais qui suscitent des sentiments indéniablement forts chez le lecteur. Outre Gwenni, on s'attache à son père, qu'elle n'appelle jamais autrement que « Pa' », ouvrier maçon follement amoureux de sa femme et tendre avec ses filles, mais bien impuissant face au pire ; car justement, on comprendra peu à peu que « Ma' » souffre d'une dépression sévère (mot jamais prononcé toutefois, n'oublions pas que tout est vu par le regard de Gwenni, à une époque où, en plus, on ne parlait guère de telles maladies…), dépression qu'elle combat tant bien que mal à coup de médicaments mais sans y parvenir tout à fait, et ce meurtre au village va la précipiter dans plus sombre encore, au point de rejeter violemment sa propre fille, qui reste malgré tout aimante et ne rêve rien d'autre que voir sa mère aller mieux…
J'ai vraiment apprécié cette présentation ciselée et réaliste, toute en subtilité et sensibilité, des personnages même les moins sympathiques, ce qui donne en plus un sentiment de grande sincérité. Par exemple, j'ai lu certains commentaires très durs envers la mère de Gwenni, qui n'est certes pas un personnage agréable… mais moi, plus que tout, j'admire cette façon de la présenter, tellement travaillée l'air de rien et terriblement juste : j'ai rarement vu une approche aussi touchante des affres de la dépression, sans minimiser pour autant les souffrances qu'un tel état peut provoquer chez les proches de la personne atteinte.
Bref, c'est là un livre magnifique, qui présente une tranche de vie typique d'un village gallois dans les années 1950, vue par une jeune fille de pas tout à fait 13 ans, à cheval entre enfance et adolescence, et surtout débordante d'imagination. Pour autant, elle conte son histoire sans fioritures ni sans faux-semblant, quand des secrets enfouis éclatent au grand jour. La langue est ciselée, toujours juste, souvent imagée, parfois onirique ou même poétique. Un véritable régal pour le lecteur, et mon coeur en vibre encore… en si bémol !
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