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EAN : 9782844147769
112 pages
L'Association (18/09/2019)
3.85/5   10 notes
Résumé :
Août 2017 : sur un quai de gare à Nice, Edmond Baudoin croise Mariettte et sa fille Lou. Sa quête de l’humain s’arrête sur leur regard. Il revient de La Roya où il travaillait avec Troubs pour décrire le quotidien de ceux qui aident les réfugiés en difficulté (Humains, La Roya est un fleuve), elles rentrent de Suisse, à pied, du lac Léman à la Méditerranée, le long de cette frontière intangible et pourtant si sévère pour ceux qui tentent de la franchir. Mariette et ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
S'étonner de tout le chemin parcouru à pied et s'étonner de celui qui reste à faire.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication initiale date de 2019. Elle a été réalisée par Edmond Baudoin & Mariette Nodet pour l'histoire, et par le premier pour les dessins. Ce récit est en noir & blanc et compte environ cent-six pages de bande dessinée. Il s'ouvre avec un texte introductif d'une page qui n'est pas signé (mais vraisemblablement de la main de l'autrice), évoquant les rails, les lignes de nos vies, et ces traverses qui relient les vies entre elles, comme ce livre.

En première page, Edmond est assis à même le sol et indique en guise de présentation, qu'il ne sait plus combien il a fait de livres et qu'il n'a pas envie de compter, mais toujours celui qu'il fait est le premier. C'est au tour de Mariette de se présenter, elle aussi assise à même le sol : elle est ici dans sa montagne immuable, il est là-bas au milieu de tellement de gens, pourtant elle ressent, pour eux deux, une même énergie, une action constante. Ce qui les différencie vraiment, c'est le silence. Les crêtes d'une chaine de montagnes en Himalaya. le silence est dans sa vie comme un ami. Elle le regarde comme empreint de liberté et de joie. Plus elle avance dans sa vie, plus elle marche dans les hauteurs, plus elle est certaine de cela : le silence est une présence joyeuse aux choses, il la façonne comme un artiste amoureux. le silence, l'horizon qui en cache un autre, et la solitude. Elle aime ressentir l'existence du tout qui n'a aucune intention, et elle partie du tout. Pouvoir porter le regard au loin est une manière sans réfléchir de comprendre sa place dans ce monde. Être là, rechercher cet état l'aspire et l'éloigne du précipice dans lequel elle est tombée un jour. Elle se tient assise sur le bord d'une falaise à pic, son esprit s'envolant comme une forme d'aile issue de la transformation de sa tête.

Toujours le regard porté vers l'horizon, avec des crêtes à perte de vue et dans le lointain sur sa droite, un rapace en plein ciel, elle continue de laisser les pensées venir à elle. Depuis ce jour, elle fait toujours le même cauchemar, celui de son enfant qui tombe de la falaise. C'est peut-être la peur de la perte du dernier être important pour elle. Mais elle est bien ancrée, et c'est plutôt elle qui tombe sans fin. En baissant un peu le regard, les pentes des montagnes s'imposent à elle. Est-ce pour sortir de cette chute dans le précipice qu'elle retourne sans cesse sur son bord ? Elle avance, elle ne peut que ça, et c'est ça qui la sauve. Rester immobile, être au fond de la vallée, c'est avoir froid, c'est avoir l'horizon bouché. Il y a toujours un col à atteindre pour aller plus loin. Mariette a repris sa marche dans cette zone de haute montagne, sur les crêtes. Elle éprouve la sensation que des rochers la survolent. Être là en montagne comme en soi-même, mettre un pied devant l'autre, jouer avec le relief, toujours dans le déséquilibre de la marche, transpirer, parfois grimper ou désescalader, chercher l'itinéraire.

Pas de présentation en quatrième de couverture, une couverture énigmatique avec cette personne sur une hauteur rocheuse contemplant la montagne devant elle, avec sa tête mangée se confondant avec l'ombre d'une pente, ou semblant partir en fumée. le lecteur peut y voir comme un écho visuel de la couverture de le chemin de Saint-Jean (2002) de Baudoin, où l'auteur se représente assis sur des pierres, avec un rocher flottant là où devrait se trouver sa tête. En fonction de ses affinités électives, le lecteur peut être venu à cet ouvrage en amateur transi des oeuvres du bédéiste et se demander avec qui il s'est acoquiné, ou avoir été attiré par le nom de cette grande randonneuse en montagne, ancienne championne de ski télémark et pigiste pour des revues de montagne. Dans les deux cas, il ne dispose pas de moyens de savoir qui a apporté quoi à l'ouvrage et dans quelle proportion. Il découvre ce texte sur la métaphore des traverses, la page de présentation de Baudoin, puis celle de Nodet, très succincte l'une comme l'autre. Vient un dessin de flanc de montagne en illustration pleine page, sans texte, avec des coups de pinceau à la fois spontanés, à la fois capturant avec une précision surnaturelle l'impression que produit la montagne. le lecteur découvre ensuite une succession de sept illustrations en double page, toutes consacrées à la montagne de haute altitude, avec les pensées de Mariette, entre réflexions organisées et flux libre. Page d'après, trois personnages assis sur une grande banquette semi-circulaire en train de consulter des cartes à même le sol, et, pour la première fois, des phylactères. Puis une illustration pleine page sans un mot.

C'est reparti pour le voyage en montagne, cette fois-ci dans un lieu identifié, à partir de Ladakh, une région du Tibet qui forme un territoire de l'Union indienne. À l'évidence, Mariette Nodet évoque le drame qui frappé sa vie, et un voyage en particulier, accompagnée de sa fille, émaillé de réflexions sur ce que lui apportent la montagne et le silence, sur sa soif de sortir de sa zone de confort pour rencontrer des étrangers au mode de vie radicalement différent du sien. À chaque page tournée, le lecteur découvre une autre vision à couper le souffle de la montagne, avec ou sans êtres humains, comme si l'artiste dessinait le paysage pris sur le vif. Baudoin lui-même n'apparaît que peu : en première page pour se présenter en deux phrases lapidaires, page vingt en train de regarder des cartes avec Mariette et Lou, puis de manière un peu plus régulière à partir de la page trente-cinq, toujours dans de brèves séquences d'une ou deux pages, et en nombre beaucoup plus petit que celles consacrées aux deux femmes. le lecteur relève plusieurs thèmes évoqués au fil des pages : le silence, l'attrait du vide, le plaisir de se projeter dans un voyage en consultant des cartes, le dépouillement du mode de vie dans le Ladakh, l'étrange communion qui s'installe avec les guides lors de la randonnée et même temps que la distance infranchissable qui sépare européens et tibétains, l'artificialité d'une frontière par rapport à la réalité géographique, l'écart entre carte et territoire, l'effort physique de la marche en montagne en même temps que son rythme hypnotique, l'altérité de tout autre être humain, la disparition définitive de tout individu décédé.

Le lecteur peut s'en tenir là : une randonnée en haute montagne un peu exotique, avec des illustrations rudes et évocatrices, et de temps à autres les souvenirs du bédéiste resté dans le Var vaguement rattachés au fil principal par le thème de l'étranger, de l'altérité et de la mortalité… En fonction de son histoire personnelle, le lecteur prend conscience qu'un élément ou un autre de cette oeuvre lui parle avec acuité : une remarque en passant sur le rapport au silence, à la solitude, sur l'envie de découvrir l'altérité de l'autre pour se décentrer de sa vie et de son enfermement mental, sur le plaisir de lire une carte, de découvrir la réalité du territoire (remarque qui renvoie à l'aphorisme d'Alfred Korzybski : une carte n'est pas le territoire qu'elle représente), etc. Ces réflexions lui parlent alors, révélant la richesse d'une expérience de vie, pas juste une collection de remarques superficielles prêtes à penser : elles sont l'expression des acquis de l'expérience de l'autrice, de son cheminement personnel, pas des recettes artificielles prêtes à l'emploi de développement personnel. Comme elle l'écrit, Mariette Nodet a éprouvé ces sensations, ces découvertes : Sortir de la carte, ne plus avoir la sécurité des courbes et des noms, franchir une frontière. Quitter le trop plein de ce côté-ci et aller vers le néant de ce côté-là. Un pied dans le jour et un pied dans la nuit. Accepter le risque de l'inconnu, du hors-soi. Et, jour après jour, se rendre compte que c'est là, dans ce hors-soi, que l'on vit pleinement !

Le lecteur peut également éprouver la sensation de cheminer en montagne aux côtés de la mère et de la fille : il voit des paysages de montagnes à la fois concrets et uniques, par les yeux de la personne qui s'y trouve, avec sa perception. C'est un tour de force impressionnant que réalise Edmond Baudoin car il n'a pas fait ce chemin, il n'a pas accompagné les deux femmes, et pour autant chaque représentation apparaît authentique, avec la même âpreté que les représentations de Jean-Marc Rochette dans ‎Ailefroide : Altitude 3 954 (2018). Peut-être a-t-il travaillé d'après photographies, certainement en étroite collaboration avec l'autrice, totalement à son service. Il partage avec elle l'appétence pour l'énergie, la volonté passée à vouloir exister, un regard sur la vie, sans aucune animosité, aucune critique, une espèce d'attention intérieure. Cette communauté d'esprit aboutit à un ouvrage qui semble avoir été réalisé par une seule et même personne, avec la narration visuelle si personnelle et si particulière de Baudoin, avec l'expérience de la montagne de Nodet, une création fusionnelle, une façon d'habiter le monde très similaire.

Une collaboration entre Edmond Baudoin et une ex-championne de ski amoureuse de la montagne : une narration qui semble totalement issue du premier et réalisée par lui dans cette bande dessinée au format libre. En même temps, la transmission de l'expérience personnelle de la seconde d'une randonnée au Ladakh et d'un deuil. Une communion d'esprit organique pour une façon peu commune d'habiter le monde, de repousser symboliquement les frontières, de faire l'expérience que l'imagination ne pourra jamais embrasser la beauté et la complexité de la réalité, d'emprunter les chemins que l'on connaît, ceux qui relient les hommes aux hommes, de la manière la plus évidente. Des instants magiques.
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Baudoin rencontre Mariette et sa fille en gare de Nice qui viennent de faire une traversée des Alpes. le scénariste va entrecroiser les destins de ces trois êtres qui partagent le doute, les limites, le deuil, la montagne, le surpassement de soi. Pas toujours évident de savoir qui parle sans le verbe être. J'ai quand même été comblée par l'univers de Baudoin et ses dessins que j'aime tant.
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Dernier album de ce dessinateur que l'on aime tant, ce livre est né d'une rencontre à la gare de Nice. Edmond Baudoin attend son train, Mariette Nodet et sa fille sont aussi sur le quai, elles viennent de traverser les alpes à pied. Rencontre et écriture à double voix sur les duretés de la vie, sur la marche comme exécutoire, échanges avec les grands absents et nos voyages intérieurs. Comme toujours servi avec un dessin époustouflant de beauté.
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Cette oeuvre a le vague à l'âme, empreinte d'une langueur mélancolique attachante. Mais l'auteur me perd, tant par ce dessin froid et torturé que par les doutes de ces personnages auxquels je n'ai pas su m'attacher.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Les rails, les lignes de nos vies entre elles, comme ce livre. Enfant, on a joué sur les lignes de chemin de fer, à sauter de traverse en traverse. On le faisait en rêvant d’où venait le train et où il allait après le tournant. L’inconnu ! Mais il y a plus : la traverse intérieure, être devant le mur de soi-même, qu’on ne croit pas pouvoir dépasser. La traverse de ce mur, se cogner à soi, longtemps. Qu’est-ce que je veux trouer dans ce mur ? Souvent, nous sommes devant des éléments incompréhensibles pour nous, violents parfois, qui peuvent nous faire bouger intensément, sur le balcon de l’enfance ou dans un pays lointain. Traverser, c’est quelque chose, en vérité, que nous faisons en nous. La traverse, c’est aussi se mettre dans une situation d’inconfort. C’est sortir de nos pantoufles, mettre des chaussures pour aller ailleurs, pour permettre à notre intériorité de se désorienter. Il y a quelque chose d’une nécessité à se délocaliser. Là, il n’est pas question de hauteur. Quand Edmond dessine les arbres, il ressent et montre leur volonté d’aller vers le haut. Deleuze disait qu’il aimait les racines, l’herbe qui va sur la terre et ressort de l’autre côté, le rhizome. La vie était pour lui comme une table sur laquelle on déplace le doigt, de territoire en territoire. Il appelait ça déterritorialisation. La traverse fait partie de cette chose horizontale, et non pas verticale. Alors la montagne dans tout ça ? Elle semble être un des derniers endroits où on peut encore se déterritorialiser. La traversée de cet espace, c’est véritablement aider notre nous à traverser. Traverser physiquement, pour aller plus loin que les cols, les murs. Dans ce livre, toutes ces traversées, cette solitude, c’est pour comprendre la violence d’un moment, de ce précipice béant qu’est la mort. Et aller au-delà. Finalement, nous sommes tous en déséquilibre sur la traverse, entre deux rails, entre un questionnement et notre propre réponse. Et personne ne sait quand il arrivera sur l’autre bord, ou s’il y arrivera jamais.
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S’étonner de tout le chemin parcouru à pied et s’étonner de celui qui reste à faire. Je me sens minuscule et indestructible à la fois ! Minuscule car une vie entière ne suffirait pas à embrasser tous ces massifs et leurs secrets. Car on sent une force démesurée dans ce relief austère. Indestructible car je sais que la fatigue qu’on éprouve à fouler cet espace n’est qu’une manière d’être pleinement de cette matière. La montagne vient à moi, je la laisse me transformer. Je suis cette montagne, ce vent et cette pierre, cette rivière et cet abandon.
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Nous cheminions sur une ligne invisible qui sépare les pays, et surtout les hommes, qui a des enjeux économiques et politiques. Notre démarche était d’avancer en équilibre le long de cette frontière, portant en nous ceux qui tentent de la franchir en bravant les interdits dictés par d’autres. Nous n’avons pas rencontré de réfugiés dans la montagne, mais plus nous approchions du sud, plus leur présence et leur souffrance imprégnait les lieux. Un mois de marche en autonomie toutes les deux, à repousser symboliquement les frontières, celles des hommes et les nôtres. Un mois pour apprendre vraiment ce que veut dire ce mot.
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Je n’aime les sommets que pour l’instant très pur qu’ils offrent : un instant de cordée, de beauté froide et cristalline. Un sommet atteint en alpinisme, après une course longue et technique, a un goût très spécial. Il imprime en soi une marque forte et primaire. Mais pour moi, le sommet est trop glorieux, il est synonyme de lutte et de victoire. Et, une fois là-haut, on redescend au point de départ. Je n’ai pas envie de redescendre. En bas, là où ce jour se répète.
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Sortir de la carte, ne plus avoir la sécurité des courbes et des noms, franchir une frontière. Quitter le trop plein de ce côté-ci et aller vers le néant de ce côté-là. Un pied dans le jour et un pied dans la nuit. Accepter le risque de l’inconnu, du hors-soi. Et, jour après jour, se rendre compte que c’est là, dans ce hors-soi, que l’on vit pleinement !
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