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EAN : 9782021393606
240 pages
Seuil (01/03/2018)
3.58/5   6 notes
Résumé :
« Une peinture de Fra Angelico représente saint Côme, patron des chirurgiens, et son frère Damien, au chevet d’un sacristain auquel ils sont en train de greffer la jambe d’un Maure.
Comment les célèbres médecins s’étaient-ils procuré la jambe de l’Africain ? La fable ne le dit pas. Était-il donneur ? Mort ou vif ? Avait-il vendu un de ses membres ? Ou bien s’était-on simplement emparé de la jambe d’un homme de peu d’importance ?
Ce personnage manque da... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
L'image de couverture venue tout droit du Quattrocento italien (Fra Angelico v. 1438-1440) est suffisamment éloquente – émouvante même – pour servir d'illustration et d'introduction à des réflexions beaucoup plus contemporaines sur le don d'organes. Sylviane Agacinski offre, avec ce petit essai, un prolongement mesuré et plein d'acuité à un débat, venu sur la place publique en 2016 à propos de la modification de la loi Caillavet (1976) sur le prélèvement d'organes, pour lequel on l'avait sollicitée. (Pour mémoire cette loi fait de chacun de nous un donneur sauf refus explicite exprimé par inscription au registre national des refus). Côme et Damien patrons des médecins et des chirurgiens remplaçant délicatement la jambe amputée du sacristain de l'église romaine qui leur est dédiée par celle d'un Ethiopien mort (selon les sources), et non en train de lui enfiler des petits bas noirs). Les deux Saints anticipent par leur greffe miraculeuse l'évolution de la vocation première de la médecine depuis Hippocrate qui est passée progressivement du soin pour s'élargir au fil du temps à la réparation des corps.

La fabrication de prothèses a beau être d'origine très ancienne la transplantation d'organes reconfigure profondément nous dit S. A. la relation thérapeutique entre trois acteurs indissociables dont l'implication symbolique de chacun ne saurait être ni minorée, ni ignorée : un donneur, une équipe médicale, un receveur. En se passant du consentement explicite du donneur la loi Caillavet entérine le recul d'une logique du don positif actif qui peut conduire à la perte de cette notion essentielle à notre humanité. La représentation de l'image de couverture dont l'intention n'est pas recherchée ici fait simplement prendre la mesure des progrès de la science mettant en jeu certains fondamentaux du vivre ensemble dont la traduction dans notre Droit détermine le type de relations sociales et donc de société que nous désirons voir perdurer ou pas, au point qu'aujourd'hui, avec l'auteur, il faille réellement s'interroger sur le statut de ce Tiers-corps (l'Ethiopien inconnu de l'image) sans qui le geste salvateur n'aurait pu être accompli. Est-il une personne, ou son corps est-il une « ressource » ordinaire comme certains le préconisent déjà ?

Aux croisées de la science et de la philosophie, interrogeant tour à tour les Droits de l'Homme ou le statut juridique de la personne, celui du corps humain et en particulier celui du défunt (cas du don post-mortem), c'est pourtant en nous ramenant à une logique primitive du don, structurant des sociétés bien différentes de la nôtre, décrite au XXe siècle par des anthropologues comme Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss ou Marcel Hénaff, que S. A. trouve les sources d'une argumentation visant à réhabiliter le don solidaire (indirect) dans notre Droit pour l'appliquer au don d'organes. La loi Caillavet peut être amendée de façon très positive et S. A. offre des pistes très simples pour le faire. Pouvons-nous aujourd'hui disposer absolument librement et totalement de notre corps ou de l'une de ses parties ? A qui appartient celui d'un défunt ? Comment concevoir finalement respect et dignité du corps, principe inscrit dans notre Code Civil, et liberté du don ? Comment le législateur et le juriste s'adaptent-ils face à des techniques médicales et scientifiques évoluant constamment (la médecine régénérative pourrait à terme prendre le relai de la transplantation) dans un paysage socio- économique mouvant où la pensée marchande exerce une pression terrible sur les catégories les plus fragiles (différents trafics d'organes sont d'ores et déjà répertoriés dans de nombreux pays tels l'Iran, l'Inde ou les Philippines) ?

Autant de questions concernant le don corporel de son vivant ou post-mortem soulevant des difficultés multiples posées très justement dans des pages, pas uniquement théoriques, assez volontiers informatives qui examinent de près la situation française. Pour S. A. les nouvelles relations induites par la chirurgie transplantatoire génèrent un type nouveau de lien social que la loi seule doit cadrer et qui ne peut s'appuyer en Droit que sur la forme d'un don solidaire actif et positif, au risque de voir le domaine de la Santé publique sombrer dans des logiques utilitaristes et marchandes. Elle observe finement que la loi Caillavet, malgré la noble intention de sauver des vies, table sur l'expression d'un refus explicite pour augmenter le nombre de greffons dont le manque est d'ailleurs toujours aussi criant (c'est le cas des reins en France), faisant de nous des « donneurs sans le vouloir alors que nous devons vouloir ne pas donner ». C'est une logique de renoncement (à celle du don actif positif) qui relève déjà en soi d'une logique quantitative ouvrant la voie à de possibles dérives. La perspective d'une réquisition générale du corps des défunts au nom du bien public n'a rien en effet d'enthousiasmant !
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Petit livre très intéressant, mais de lecture pafois ardue, voire difficile.
C'est un ouvrage d'une philosophe, donc attendez vous à des notions quelques peu obscures (!).
Madame Agacinski, de façon très complète, s'interroge avec nous du don d'organe, sujet bien difficile.
Le premier chapitre a été, pour moi, un peu obscur, relatant la logique du don, premier chapitre très utile néanmoins, car c'est bien de cela qu'il s'agit. le don. Qu'est ce que le don ?
Le deuxième chapitre, est passionnant, il dissèque (si je puis dire...) le statut du corps humain, avec bien évidemment, le problème des marchés parallèles du trafic d'organes dans le monde, pricipalement dans les pays dits pauvres.
Très intéressant également la partie sur le consentement présumé du donneur qui, s'il ne refuse pas le don de son vivant, est prélevé "automatiquement". C'est sur ce sujet que je ne suis pas d'accord avec l'auteure, mais je respecte son statut de philosophe.
Enfin, le chapitre sur les techniques médicales futures est passionnant. Il s'agit entre autre, des prothèses artificielles, de la fabrication d'organes artificiels, des xénogreffes grâce au génie génétique (avec toutes ses dérives), à la médecine regénérative c'est à dire fournir à un individu la possibilité de se réparer lui-même avec ses propres moyens.
Mais attention à l'anthropothecnie comme avec l'utérus artificiel ...
L'auteure en termine avec cette notion d'immortalité, et du refus de la mort alors qu'elle est bien naturelle finalement !
Petit ouvrage très intéressant mais un peu difficile tout de même.
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Peut-on encore parler de don quand le donneur d'organe est présumé consentant, qu'on déplore une pénurie de greffons (donc de morts pour les prélèvements d'organes post-mortem), et que la technique chirurgicale s'interpose entre donneur et receveur ? Réflexion philosophique sur le don d'organes et le traitement philosophique et juridique des morts : plan et dialectique impeccables comme toujours chez la philosophe, jamais prétentieuse, accessible même aux non philosophes.
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Qu'est-ce que donner quand il s'agit de donner quelque chose de son propre corps? C'est la question que pose cet essai philosophique.
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Un essai philosophique qui pose la question : Qu'est-ce que donner quand il s'agit de donner quelque chose de son propre corps?
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Lorsque nous demandons au médecin de produire la vie -de la fabriquer, de la réparer et de la régénérer-, attendons -nous encore de lui qu'il nous guérissent de nos maux, ce qui est déjà merveilleux, ou bien espérons nous secrètement qu'il nous guérisse de là mort elle-même ? La médecine, qui nous sauve effectivement chaque jour, semble chargée de la mission héroïque de faire échec à la mort, au point de la rendre anormale, fautive, illégitime, injuste, comme si elle n'était plus la fin inéluctable de l'existence humaine mais un accident qu'on aurait pu éviter, un échec de la médecine, une défaillance de la puissance biotechnologIque.
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Les approches ultralibérales ne sont pas simplement choquantes par leurs conséquences, elles sont également fautives en raison de leurs présupposés. Le premier d'entre eux est la réduction de la personne humaine à une individualité isolée, animée par ses seuls intérêts "égoïstes" et subjectifs, et détachée de toute valeur commune. Aussi utiles que soient l'économie de marché et les échanges marchands régis par la loi de l'offre et de la demande, ceux-ci ne recouvrent pas l'ensemble des relations sociales, d'autant que l'ego individuel n'est jamais antérieur à sa socialisation et aux liens qui l'attachent à d'autres. Si l'on sépare l'individu du tissu des relations sociales dans lequel il est toujours inscrit, on ne peut plus rien saisir de ses "intérêts" ni de ses aspirations. Comme l'écrivait l'économiste français Léon Walras, l'individu n'est rien par lui seul: "Il n'y a pas plus de société sans individus que d'armée sans soldats." Il ajoutait que " l'individu ne serait pas plus en état d'accomplir sa destinée sans la société et hors de la société que le soldat ne serait capable de livrer bataille à lui tout seul." C'est pourquoi les prétendus "intérêts" de l'individu deviennent inconcevables si on le soustrait au groupe social dont il fait partie et dans lequel son existence peut prendre sens, et si l'on fait ainsi abstraction des valeurs reconnues par ce groupe. Or, selon une option ultralibérale et individualiste, les relations sociales semblent pouvoir se réduire à des échanges marchands, réglés par la loi de l'offre et de la demande, indépendamment de la valeur de la demande elle-même - juste ou injuste, légitime ou illégitime. Il suffit qu'une demande rencontre une offre pour que la loi n'ait pas à "s'en mêler". Mais si l'économiste peut mettre en parenthèses la moralité individuelle lorsqu'il observe le fonctionnement des marchés tels qu'ils sont, il ne lui appartient pas d'écarter l'exigence de justice dans les relations sociales et les valeurs communes qui donnent aux sociétés leur assise. Les sciences économiques traitent de la circulation des richesses et de la gestion des biens (de la façon de les produire, de les consommer et de les échanger), mais elles n'ont pas à définir ce qui doit ou non entrer dans la catégorie des biens ou être mis sur le marché, car cette définition relève précisément d'une appréciation des valeurs non marchandes.
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Mais, dans la mesure où son corps est propre à une personne, et à elle seule, le respect de sa liberté exige qu'elle reste responsable de lui, dans les limites fixées par la loi. Disons que l'autorité que nous exerçons sur notre corps est de l'ordre d'un droit moral, fondé sur le fait que notre corps est indissociable de notre personnalité. En conséquence, même si mon corps et ses éléments ne font pas partie de mes biens et que je n'en suis pas propriétaire, l'autorité morale que j'exerce sur lui me laisse la liberté d'en donner quelque chose à autrui.
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Lorsque le corps des êtres humains est traité comme un bien marchand, le biomarché repose toujours sur les inégalités économiques entre ses acteurs: la transplantation est proposée aux plus favorisés, tandis que le corps des plus démunis représente l'essentiel des ressources "offertes" pour être greffées, avec, dans ce cas, la complicité du corps médical.
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Une autre enquête confirme que les "migrants"et les personnes déplacées sont devenues les victimes "privilégiées" du trafic d'organes en Égypte, en Irak et en Syrie.
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