Les hommes et le féminisme: Faux amis, poseurs ou alliés?

Il y a quelques années, j'avais découvert Francis Dupuis-Déri avec son essai La crise de la masculinité : Autopsie d'un mythe tenace, un des rares essais féministes écrits par un homme que j'ai lus, et il m'avait véritablement marquée.

Cette fois, l'auteur québécois écrit à nouveau sur les hommes, mais plutôt sur les hommes pro-féministes et ceux qui se décrivent comme tels. Il revient sur les années de féminisme et le rapport que les hommes ont entretenu avec, que ce soit en France ou en Amérique par exemple. Il explique ce qu'implique la présence d'hommes dans les mouvements féministes, pourquoi certaines féministes souhaitent des hommes pro-féministes à leurs côtés et d'autres non...

C'est un essai relativement court d'à peine plus de 150 pages qui se lit plutôt facilement parce qu'il ne déborde pas de chiffres. En revanche, il y a de nombreuses notes de bas de page (qui se réfèrent à des citations ou des idées d'autres personnes), ce qui n'est pas dérangeant, bien que j'aurais préféré que les notes donnent directement la référence plutôt que toutes les retrouver en fin d'ouvrage.

Dans cet essai, Francis Dupuis-Déri revient sur l'implication des hommes dans les mouvements féministes et des différents hommes pro-féministes (le poseur, l'initié, l'humaniste, l'auto-flagellateur...), et aussi sur les dérives entraînées par les "discussions entre hommes" à propos du féminisme et les "stages d'hommes" qui ont plus souvent apporté des choses négatives que positives, comme l'explique très bien l'auteur...

Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est la retenue avec laquelle il va s'exprimer. Il rappelle à plusieurs reprises qu'il a eu des comportements sexistes et en aura encore par la suite, ce qui est important à avoir en tête quand on est allié·e d'une cause. de la même façon, le "guide" pour les hommes pro-féministes à la fin du livre donne des idées et des pistes tout en mettant en garde sur les inconvénients que cela peut parfois comporter pour le mouvement féministe ou aux yeux de certaines femmes féministes.

C'était très intéressant, riche et complet, et j'ai encore une fois apprécié le travail de recherche et de synthèse de l'auteur. Il n'oublie pas les autres luttes, évoque des courants de pensée comme l'anarchisme, et reste mesuré dans ses affirmations. C'est un essai brillant qui m'a plu mais qui s'adresse plutôt aux hommes, qui y trouveront plus leur compte, selon moi.

Je suis un homme et je pense être relativement féministe. J'ai acheté ce livre à cause de son titre original, un peu pour "faire le point", sur moi comme sur la société. Il est intéressant, mais qu'on ne s'attende pas ni à un manuel de bonnes pratiques (sauf un peu à la fin), ni à un pamphlet féministe prônant une approche spécifique : c'est avant tout une dense synthèse bibliographique sur les différents courants existant sur le sujet, en remontant dans l'histoire et en passant de la France à l'Amérique et retour (l'auteur est quebéquois). En soi c'est donc un peu frustrant, car l'auteur ne développe guère le contenu de tous ces courants, cela tourne parfois au catalogue. Mais c'est la contrainte du petit format du livre... Il reste passionnant, et très courageux par sa franchise.
Deux remarques : 1. Pourquoi les hommes ne sont-ils ici qualifiés que de "proféministes", l'adjectif "féministe" étant reservé aux femmes - ou aux trans ? Ca mériterait une discussion... (On pourra aussi pinailler où s'arrête la limite entre hommes et trans...).
2. La typologie subtile et judicieuse des différents hommes proféministes (les vrais alliés, les opportunistes, etc) contraste avec le bloc présenté comme quasi homogène des femmes "féministes". Comme s'il n'y avait qu'un seul féminisme. du coup, cela met un peu à mal le "petit guide de dispempowerment" en fin de livre, qui est une sorte de manuel de savoir-vivre pour hommes proféministes. Par exemple, celui-ci conseille avant tout une mise en retrait des hommes ("On vous soutient, les femmes, mais on est bien conscient que trop militer avec vous, être avec vous dans les assemblées, etc., serait un moyen de garder notre pouvoir"). Or il y a bien des féministes que je qualifierais de "modérées" qui ne tiennent pas tant aux assemblées non mixtes et qui enrôlent les hommes sans hésitation... Il faudrait donc raffiner (davantage que ce qui est déjà p.127), et pouvoir accoler deux typologies, celle des hommes proféministes et celle des femmes féministes, pour considérer ce qui marche ensemble et ce qui doit décidemment être dissocié.