Les amateurs de récits mettant en avant des personnages féminins déterminés à se défendre bec et ongles pour éviter le destin qu'on leur avait imposé s'y retrouveront sans problème dans ce roman de
Sarah Lark. Ne vous sentez pas rebuté par son épaisseur car cela se dévore littéralement tant on a envie de connaître l'issue des aventures de ses héroïnes.
Alors, oui, on a ici sans aucun doute un exemple de romans féministes dignes de ce nom. A travers les personnages de Kathleen et de Lizzie, on découvre des femmes à qui la vie n'épargne rien. Kathleen, issue d'une famille irlandaise catholique, se retrouve au coeur d'un mariage arrangé et malheureux et malgré cela, elle résiste, subissant les coups et les assauts violents de son époux pour protéger ses enfants. Lizzie réalise, quant à elle, que le catalogage des femmes au sein de cette société britannique de la fin du XIXe a la peau dure. Difficile alors de faire oublier son passé de prostituée face aux regards lubriques de la plupart des hommes qu'elle croise. Toutes les deux vont chercher à tirer profit de leur situation en exploitant le pire de ce que la vie leur impose et en se forgeant un avenir et des situations sociales qu'elles n'auraient jamais imaginées, le tout en s'appuyant sur un travail acharné, un attachement à des valeurs et une foi sans faille en l'éducation et la culture. Mais là encore, l'auteur nous montre à quel point être une femme à cette époque dans un milieu social pauvre nécessitait de l'abnégation pour survivre dans ce monde forgé pour et par les hommes. Pas certain que beaucoup d'entre eux auraient été capables d'endurer tous les coups de la vie que reçoivent Kathleen et Lizzie dans ce roman. On en a d'ailleurs la preuve à travers l'image renvoyée ici des différents personnages masculins.
Eh oui, les hommes ne sont pas épargnés pour la plupart d'entre eux mais, au fur et à mesure que les pages se tournent, on se dit qu'après tout, ils le méritent. Michael (on reviendra sur son cas un peu plus tard !) serait plutôt un anti-héros tant il donne de lui au lecteur une impression d'assisté social capricieux. Quant à Ian Coltrane, il reflète la pire image de l'homme sur terre : violent, opportuniste, jaloux, malhonnête... Il n'est pas maquignon pour rien ! Il est ainsi des personnages que l'on ne regrette pas dans une oeuvre et ces deux gugusses en font partie. Soyons, cependant, honnêtes : tous les hommes ne sont pas à jeter aux cochons tout de même. Il en est de très respectables à l'image du révérend Peter Burton, du banquier Dunloe, de M. Busby, de Kahu ou de Sean, le fils de Kathleen.
Un autre intérêt de ce roman, c'est la découverte de ce "Nouveau monde" austral que constituait à l'époque la Nouvelle-Zélande à travers ses paysages mais aussi les ethnies qui y vivaient. On est ainsi baigné dans les rites et la culture maorie. Un petit peu à l'instar du "
Supplément au voyage de Bougainville" de
Diderot, Sarah Lake nous dépeint la vie de ces peuplades obligées de cohabiter avec l'envahisseur britannique tout en essayant de préserver leurs croyances originelles. Un espoir demeure d'ailleurs avec l'attachement que Lizzie développe, peu à peu, pour ces indigènes, au point de devenir quasiment l'une des leurs. Elle représente alors l'idéal de l'intégration : l'arrivée du modernisme et le respect des traditions. C'est finalement un très beau message d'espérance et d'amour que nous révèle ici Sarah Lake à travers cette fusion entre deux civilisations.
Mes chouchous à moi
Ils sont pléthores finalement. Je mettrai bien sûr Lizzie en premier pour sa capacité de résistance et la force et le courage qu'elle montre tout au long du roman pour garder la tête hors de l'eau. Mais il y a aussi Miss Portland (la vraie !) qui, finalement, est un peu sa mère spirituelle (tout comme le sera, côté maori, la tohunga Hainga) ou Claire Edmunds qui, malgré son inexpérience de la vie, réussit à s'affirmer et à ouvrir les yeux de Kathleen face aux choix injustes qu'on a fait pour elle concernant sa vie personnelle. Côté homme, on ne peut pas oublier le personnage de Kahu, futur chef des tribus maories coincé entre son amour pour Lizzie et son attachement à ses traditions.
Ma tête à claques à moi
Cela aurait pu être Ian Coltrane mais on doit lui reconnaître une chose : c'est un personnage d'une constance déconcertante. Salaud, il commence, salaud, il finit ! Non, c'est surtout le personnage de Michael Drury que j'ai eu envie de claquer à plusieurs reprises dans ce roman. Derrière son amour pour Kathleen, se cache un personnage d'une immaturité totale. Il agit comme un gamin mal élevé, se montre un vrai mufle avec la plupart des femmes qu'ils croisent. Il est d'un égoïsme exaspérant d'autant qu'il est incapable de le reconnaître. En somme, il est agaçant au plus haut point, à se demander pourquoi autant de femmes lui tournent autour au cours de cette aventure. Un petit côté maso chez Kathleen et Lizzie ? On peut le penser parfois, en effet !
Au final, je recommande vraiment ce roman qui se lit avec délectation. C'est fluide, les personnages se frôlent, s'évitent, se ratent, se croisent et finissent par se retrouver dans un feu d'artifice final qu'on attend avec impatience et qui ne déçoit pas.