Dans cet hôpital psychiatrique de
Cadillac en Gironde la mort rôde.
Thierry Metz fait constat d'une
souffrance qu'il découvre partout.
Il est amer et surtout impuissant.
Il porte un regard acéré sur
ces quelques humains égarés là,
et dont bien entendu il fait parti.
Son corps-maison, son corps-prison
penche, se redresse, puis retombe.
Quelques lignes lumineuses
ressortent de cet esprit tourmenté,
lucide et poétique.
Ainsi :
" 24.
Un homme marche dans les feuilles , non loin
du pavillon. Il se déplace si lentement, avec
tant de précautions qu'il ne s'aperçoit pas
qu'un arbre le suit.
" 23.
Je n'ai que ce blanc enfoui de la page pour
enfouir la lumière – pour la retrouver.
Et puis quelque chose d'autre, qui n'est plus
sous la garde de ce mot.
Captation de ce qu'il faut ravir et écrire sur
le territoire déjà vécu, déjà écrit. Je n'ai pour
l'instant que mon regard pour y accéder.
" 25.
Je n'ai apporté qu'un seul livre : Douzième
poésie verticale, de
Roberto Juarroz. de la
lumière. Un passage. Et toutes les possibilités
de l'exil, du fatal. Tout ce que l'être peut
exprimer c'est qu'il ne peut rester. Mais qu'il
demeure en état de penser d'une manière ou
d'une autre et à n'importe quelle heure.
Curieusement, l'hôpital psychiatrique est une
demeure comme une autre, mais qui passe
d'une main à l'autre, différemment pour cha-
cun, modifié parce qu'on y dit, ce qu'on y
fait.
« On arrive toujours,
mais ailleurs.
Tout arrive
mais à l'envers. »
Tendre le bras, l'élever, c'est cueillir ce fruit
haut placé – c'est arriver avant les oiseaux.
Avant les étoiles.
" 26.
Lenteur, confusion parfois, dues au traitement
que je reçois. J'en ai conscience comme un
plongeur ou un alpiniste. Et j'en ai besoin.
Je me débarrasse d'une ivresse par une autre,
d'une mort par une autre mort, du vide par
le vide. Ma voix contredite ne passe, pour
l'instant, que par ces voies contrariées
d'éclipses.
" 39.
Les jardiniers sont revenus ramasser les
feuilles. Je les regardais derrière une vitre.
Je ne voyais que ce que la vie a de proche,
d'inexorable et partiellement accessible –
avant de m'allonger sur le bûcher, d'en être
le mort.
" 47.
L'endurance (la vie ?) n'est plus autre chose,
peut-être, que de maintenir nos visages dans
le jour, enfouis dans les heures.
Mais nous ne sommes là que par instants.
Fugitivement. du regard. Seulement du regard.
" 59.
Eux.
Simplement.
Derrière ce haut mur et cette grille, malades
et médecins. Eux réciproques. Au commen-
cement.
" 70.
Je ne sais pas si ma place est ici. Ni ailleurs.
Avec parfois quelque chose d'autre qui m'en-
traîne à écrire. Les gens ont souvent les yeux
et les oreilles inversées ou sans existence. Ce
que je vois n'est jamais complet. Silence et
mots sont nos bûchers.
" 71.
Que dire de soi ?
Le brasier ?
L'abreuvoir ?
Et mourir ?
Non : qu'on regarde nos mains.
" 76.
Venant de l'un, allant vers l'autre, ne s'arrê-
tant nulle part.
Etant ici.
Puis s'en détachant.
L'abeille peut-être ou une rose donnée à une
étoile.
" 78.
Sophie.
Une jeune femme.
40 kilos.
Elle titube et tremble toute la journée, allant
de sa chambre au fumoir, la nuque raide, les
joues creuses, morte sans le savoir.
"86.
Maintenant, dans la chambre aux murs jaunes,
il n'y a plus de bruit, du vacarme, du lan-
gage manqué. Je ne regarde plus, je n'écoute
plus ‒ je vais simplement me cacher au centre
de ce qui se passe.
" 87.
Aucun baiser le soir. Aucune tendresse. Le
lit. Les comprimés. L'avant-goût de pourrir
sur un tas de feuilles mortes.
Il y avait pourtant de quoi faire.
Il était une fois…