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EAN : 9782021064599
400 pages
Seuil (08/03/2012)
3.25/5   2 notes
Résumé :
Comment dessiner une vue d’ensemble du monde social lorsque les cloisonnements disciplinaires et l’hyperspécialisation du savoir poussent les chercheurs à étudier des parcelles de plus en plus restreintes de ce monde ? Si cette fragmentation est une conséquence du processus de différenciation sociale qu’ils s’attachent à penser, elle est aussi ce qui les empêche d’en faire une lecture globale.

Une question centrale donne pourtant aux sciences humaines... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Se donner la possibilité d'entrevoir l'unité cachée d'un espace apparemment très morcelé

L'auteur propose une théorisation pour appréhender le monde (social), et une critique des réductions liées à la fois aux cloisonnements disciplinaires et à l'hyperspécialisation des « savoirs » et aux pratiques peu interrogatives des chercheuses et chercheurs.

Au-delà des (des)accords, l'exposition critique du paysage des sciences dites humaines et sociales, du renoncement à appréhender « l'unité cachée d'un espace en apparence très morcelé » me semble utile et nécessaire.

Si l'auteur délimite le périmètre essentiellement au « monde occidental », je signale, une fois de plus, la non prise en compte du système de genre, des rapports sociaux de sexe.

Le livre est riche et je n'aborderais que certains points.

Bernard Lahire souligne que les chercheurs « ne partagent pas les mêmes intérêts de connaissance », que la diversité des matières (histoire, sociologie, anthropologie) « est révélatrice de l'hétérogénéité des points de vue et des intérêts de connaissance ».

Il indique que « Rapporter les modèles théoriques ou les grilles d'analyse aux niveaux de réalité sociale visés, aux échelles d'observation adoptées, aux types d'objets étudiés et aux problèmes que l'on soulève à leur sujet, c'est se donner la possibilité d'y voir dans la diversité et de ressaisir les différents travaux de recherche comme autant de réalisations partielles d'un programme plus général d'étude des comportements humains ».

L'éparpillement des travaux à vocation scientifique, la réduction du périmètre des objets d'étude est « aussi le produit de la très grande division sociale du travail scientifique en disciplines séparées ». Quelle lectrice ou lecteur n'a pas pesté contre la non prise en compte des éléments « extérieurs » dans une recherche, le nombrilisme de certains travaux, les oeillères liées à des présupposés non explicités, le contournement des différentiations liées, par exemple, à la classe sociale, au genre, à la racialisation, l'oubli des effets concrets des éléments analysés, des relations de pouvoir, la faible ou l'absence de contextualisation, la carence d'annonce sur l'échelle et le périmètre de l'étude, « l'amnésie » sur des travaux antérieurs ou d'autres disciplines, etc…

Plan :

Introduction

Une formule scientifique unificatrice
Penser la différenciation sociale
Les limites du champ
Contextualiser : l'échelle, le niveau et l'objet
Conclusion. Repenser la division sociale du travail scientifique

Addenda. L'espace social global et ses subdivisions

Bernard Lahire propose une formulation : « Dispositions + Contexte = Pratiques » qu'il va complexifier « Produits intériorisés de la fréquentation passée de contextes d'action + Contexte présent = Pratiques observables ». Pour autant que chaque terme soit compris dans sa complexité et restitué dans les espaces historiques « concrets » où l'être humain comme « animal social » s'auto-construit en construisant son environnement social, « dans » des cadres et relations de pouvoir préexistants (eux-mêmes historiquement construits, malléables, modifiables, etc.), cette formulation dynamique peut être un outil de travail pertinent. L'auteur souligne les conséquences de « L'oubli du passé » et de « L'oubli des contextes ».

C'est dans ce cadre général que l'auteur aborde les concepts « habitus » et « champ » développés par Pierre Bourdieu. Il en montre l'intérêt et les limites « L'habitus et le champ comme cas particuliers du possible ».

L'auteur souligne aussi la nécessité des variations de cadrage pour aborder les réalités sociales : « le sociologue ne devrait pas avoir à « choisir son camp » en se spécialisant dans l'étude d'un niveau de la réalité sociale ou en mettant en oeuvre toujours la même échelle d'observation du monde social, mais devrait ajuster ses outils en fonction des types d'objets qu'il étudie (et qui peuvent varier) et des problèmes qu'il entend résoudre ». Il précise aussi, ce qui montre à l'inverse les conséquences des choix peu scientifiques de certain-ne-s, « de ne jamais oublier qu'il y a des hommes et des femmes dans l'histoire ».

Il convient donc de « Penser l'histoire et les sociétés en tenant compte des acteurs qui les font, replacer les acteurs, qui ont une histoire, dans l'histoire et dans les cadres sociaux de leurs actions : voilà sans doute ce vers quoi devraient tendre les sciences humaines et sociales ».

Dans le second chapitre « Penser la différenciation sociale », Bernard Lahire discute de l'autonomisation des individu-e-s, de celle de la sphère économique, « qui n'est en rien un système clos sur lui-même ». S'il y a bien, dans le monde « moderne » désencastrement des pratiques économiques, il ne faudrait pas oublier les « conditions politiques (étatiques) et juridiques de fonctionnement d'un marché économique ».

Les analyses sur les « acteurs pluriels » dans « des sociétés différenciées », reprenant et systématisant des travaux antérieurs, me semblent particulièrement intéressantes. Nous sommes ici loin des simplifications, de la naturalisation ou de l'essentialisation des rapports sociaux d'autres travaux. A noter que le vocabulaire utilisé reste très sociologique, mais peu jargonnant.

A juste titre, l'auteur insiste sur la nécessité « d'historiciser », sur les « variations historiques et sociales des formes et des modalités d'exercice du pouvoir et à leurs conséquences sur le fonctionnement de l'économie psychique » ou sur « la division du travail » et « la différenciation sociale des fonctions ».

La pluralité « interne » des actrices et des acteurs n'est pas confondue avec les constructions « identitaires ». L'auteur montre le lien dynamique entre pluralité et singularité : « cette pluralité est précisément ce qui est à l'origine de la relative singularité de chaque acteur ».

Si l'individu-e peut être approché-e comme une « structure feuilletée de leurs patrimoines de dispositions et de compétences », une telle formulation tend à gommer les aspects contradictoires internes aux personnes et aux systèmes quel qu'ils soient.

Le chapitre sur « les limites du champ » est remarquable. Les analyses de Bernard Lahire font ressortir à la fois son rôle d'outil pertinent dans certains domaines (« les bons concepts sociologiques sont ceux qui augmentent l'imagination scientifique »), son histoire, son caractère non « universellement pertinent », etc. Il ajoute que le « modèle est resté aveugle à d'autres différences », que « Tout contexte pertinent d'action n'est pas un champ », sans oublier les utilisations élastiques du concept ou l'oubli des pratiques « une sociologie désincarnée des producteurs ».

Je partage notamment un paragraphe de l'auteur : « Il est étonnant de constater qu'une sociologie a priori consciente des questions de domination et souvent si soucieuse de rendre scientifiquement justice aux dominés se montre particulièrement légitimiste – et proche des secteurs les plus académiques de la recherche – lorsqu'il s'agit, non pas des dominés dans l'espace social global, mais des dominés des champs qu'elle étudie ou de ceux que les chercheurs décident, plus ou moins consciemment, d'exclure d'emblée de leur champ d'investigation ».

Il est assez réjouissant de retourner la critique de la réduction économiste de certains « marxistes » mal-lecteurs de Marx ou ici plus généralement aux économistes naturalisant le marché, aux sociologues réducteurs de la théorie des champs : « Reprochant aux théories économiques leurs modélisations déréalisantes qui font des acteurs des êtres désocialisés, déshistoricisés, auxquels on prête des capacités de raisonnement et de calcul universelles, la théorie des champs n'en procède pas moins à une abstraction tout aussi contestable ». Et Bernard Lahire ajoute « Dès lors qu'un individu concret est membre d'un champ, il est comme arraché au réseau concret d'interdépendances passées et présentes qui l'ont constitué ».

S'il n'approfondit pas le sujet, l'auteur souligne cependant que « Les objets sociaux ont toujours un caractère politique ou idéologique », qu'il convient de ne pas « oublier, entre autres, les classes sociales et les rapports de domination de toute nature ». Il précise aussi sa position sur la contextualisation nécessaire et complète par « A chaque niveau de réalité sociale considéré, ce ne sont pas les mêmes éléments qui composent la trame de la réalité », ou pour le dire autrement « …certains objets seront étudiés de façon plus pertinente à certaines échelles et avec certains types de contextualisation. Il y a donc bien une pluralité de constructions scientifiques (et de contextualisations) possibles, mais chacune d'entre elles ne constitue pas une solution universelle que l'on pourrait appliquer aveuglément quel que soit l'objet de la recherche ».

En conclusion, Bernard Lahire propose de « Repenser la division sociale du travail scientifique ».

Je reste dubitatif devant la recherche d'une « modélisation » présentée en addenda « L'espace social global et ses subdivisions ».

Quoiqu'il en soit, au-delà des points indiqués, un livre pour toutes celles et tous ceux qui ne se satisfont ni des réductions sociologiques, économistes ou « marxistes » vulgaires, ni de la parcellisation des vues critiques, « Un livre constitue une manière de relier des oeuvres du passé comme du présent et de les faire parler autrement qu'elles ne parlaient jusque-là ».

« Prendre conscience de la variation des échelles d'observation utilisées, des niveaux de réalité sociale visés et des types de faits sociaux utilisés, c'est paradoxalement, gagner en largeur de vue et ressaisir l'unité des sciences humaines et sociales que la diversité des travaux finit par masquer aux yeux mêmes de ceux qui les produisent ». A cela il conviendrait d'ajouter, mais je ne suis pas sûr que Bernard Lahire en partagerait l'idée, se situer en tant qu'auteur-e et vouloir modifier l'état des relations sociales. Ou pour reprendre la conclusion de ma note de lecture du livre indiqué ci-dessous : « Pour le reste, c'est bien la combinaison de la recherche orientée, aux dimensions scientifiques et ou abstraites, assumées, et de l'action politique collective qui permettra à la fois de (se) poser les « bonnes » questions et de construire des réponses qui ne seront toujours que partielles et à remettre en cause… », Voir Michael Löwy : Les aventures de Karl Marx contre le baron de Münchhausen. Introduction à une sociologie critique de la connaissance, réédition Editions Syllepse, 2012
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critiques presse (2)
NonFiction
11 juillet 2012
Une riche proposition épistémologique pour les sciences sociales.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Liberation
26 mars 2012
Inciter les sciences sociales à retrouver une vision globale, tel est le vœu du sociologue Bernard Lahire
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Le monde social, en tant que monde des relations interhumaines, peut se saisir dans ses grandes structures macrosociologiques comme dans certaines de ses singularités individuelles ou microcollectives. En étudiant à l'échelle individuelle des cas atypiques ou minoritaires tels que les réussites scolaires improbables en milieux populaires, les échecs scolaires inattendus chez les enfants de parents diplômés du supérieur, les actes criminels, les cas pathologiques (névroses, psychoses, anorexie, boulimie, etc.), les actes de suicide, etc., on ne passe pas de "facteurs sociologiques" à des "facteurs psychologiques", mais d'une analyse par grandes variables à une analyse plus précise et circonstanciée dans la réalité. (...)
Le temps où les sciences sociales pouvaient exclure l'individu de l'analyse pour se consacrer uniquement à l'étude des "milieux", des "groupes" ou des "institutions" devrait désormais être définitivement résolu.
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Produit d'un long processus de division du travail, la sociologie participe de ce mouvement en ne proposant elle-même que des versions partielles et parcellisées de l'acteur et de la société. Pourtant, pour gagner en distanciation et en force explicative, elle devrait prendre pour objet la différenciation sociale des activités et l'ensemble de ses conséquences sociales et psychiques, au lieu de se contenter d'accompagner, et même d'épouser, jusque dans son mode de pensée, le mouvement différenciateur. (...)
À trop vouloir diviser, on ne se donne plus les moyens de comprendre la division (ou la différenciation) sociale des fonctions et ses nombreuses conséquences, tant sur le plan de l'organisation collective qu'en matière de constitution des patrimoines individuels de compétences et de dispositions.
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Plus [les] acteurs ont fréquenté des contextes sociaux (et socialisateurs) hétérogènes et plus cette fréquentation a été précoce, au sein de la configuration familiale (...) ou du fait de la diversité des contextes socialisateurs (...), plus ils sont porteurs de dispositions hétérogènes et parfois contradictoires. Les dispositions n'agissent pas de manière permanente mais seulement en fonction des contextes d'action qui se présentent. On n'a pas affaire alors à une actualisation systématique des mêmes dispositions (du même système de dispositions ou de la même formule génératrice des pratiques), mais à un jeu plus complexe d'activation et d'inhibition des dispositions incorporées qui peuvent se combiner partiellement entre elles dans certaines situations, ou fonctionner parfois indépendamment les unes des autres dans d'autres situations. Dans tous les cas, si des dispositions permanentes (transcontextuelles) peuvent exister, elles ne sont pas toutes de cet ordre. (...)
L'habitus [de Pierre Bourdieu] comme "système de dispositions durables et transposables" n'est [donc] qu'un cas du possible, un cas particulier parmi l'ensemble des patrimoines individuels de dispositions et de compétences observables. (...)
L'idée même de l'habitus comme "principe générateur et unificateur" des comportements, comme "formule génératrice des pratiques", permettant de penser "de manière unitaire" les différentes dimensions de la pratique d'un individu ou d'une classe d'individus donnés, pose problème dans la mesure où elle donne l'impression que l'ensemble des dispositions incorporées par une personne au cours de son existence forme un tout, un système complet fonctionnant "comme un seul homme", au sein duquel l'ensemble des dispositions sont solidaires les unes des autres et se fondent en un principe unique.
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Tout chercheur qui s'efforce, dans des recherches empiriques déterminées, d'atteindre le point d'équilibre explicatif entre, d'une part, l'étude des propriétés sociales incorporées des acteurs et, d'autre part, celle des propriétés sociales objectivées des contextes, combine inévitablement un dispositionnalisme et un contextualisme. (...)
Pour résumer [cette] démarche scientifique (...), on peut énoncer la formule suivante :

Dispositions + Contexte = Pratiques
[Ou : "Passé incorporé + Contexte présent = Pratiques observables"]

Les pratiques considérées (qu'il s'agisse d'un "choix" alimentaire ou vestimentaire, sportif ou politique, d'un comportement scolaire ou économique, sexuel ou culturel, professionnel ou familial, etc.) ne se comprennent donc que si l'on étudie, d'une part, les contraintes contextuelles qui pèsent sur l'action (ce que le contexte exige ou sollicite de la part des acteurs) et, d'autre part, les dispositions socialement constituées à partir desquelles les acteurs perçoivent et se représentent la situation, et sur la base desquelles ils agissent dans cette situation.
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Comprendre pourquoi des individus particuliers, anonymes ou célèbres, ou des groupes sociaux, petits ou grands, font ce qu'ils font, pensent ce qu'ils pensent, sentent ce qu'ils sentent, disent ce qu'ils disent, voilà condensé en quelques mots l'ambitieux objectif des sciences humaines et sociales (...). Cet objectif, il me semble que ces sciences l'atteignent d'autant plus précisément et avec d'autant plus de pertinence qu'elles saisissent les pratiques au croisement des propriétés sociales des acteurs et des propriétés sociales des contextes dans lesquels ils inscrivent leurs actions.
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Vidéo de Bernard Lahire
Bernard Lahire vous présente son ouvrage " Les structures fondamentales des sociétés humaines" aux éditions La Découverte. Entretien avec Jean Petaux.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2886324/bernard-lahire-les-structures-fondamentales-des-societes-humaines
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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