Comme je voyais que Marthe condescendait à me donner
des leçons et des consolations, je lui avouai, comme
l'avait fait jadis Couchoud, le désespoir de l'écrivain qui,
ayant rassemblé fiches, notes, documents, tremble devant
la feuille blanche. Alors, elle me dit, simplifiant tout, ou
plutôt à sa manière sublimant tout : « Rassemblez vos
fiches ; mobilisez vos souvenirs, faites des brouillons et
des brouillons, jusqu'à ce que tout cela soit traversé par
une immense espérance. » Un autre jour, elle m'avait dit :
« Pour bien écrire, pour bien parler, vous n'avez qu'une
chose à faire : être absolument vous-même. »
Lorsqu'une personne, par de simples paroles, excite en nous une de ces émotions rares, soudaines, douces, un peu mélancoliques et radieuses pourtant, qui vous font prendre conscience du mystère de votre destinée ; lorsque cela réveille en vous le désir dont parle Nietzsche de devenir ce que vous êtes d'une manière plus noble, alors on se dit qu'un ange a passé. La visite de l'ange est furtive, pleine d'humour et d'amour, incomprise au moment, bizarrement interrompue, crépusculaire comme celle du voyageur d'Emmaüs ; on ne s'aperçoit qu'il était là que lorsqu'il disparaît et que l'on se retrouve seul dans sa nuit.
Dans nos campagnes d'Europe, il se cache de ces êtres simples, sans culture, sans prétention, nés pour aider les autres et dont la vie s'écoule à recevoir les gens qui viennent demander du secours : une guérison, une recette, une simple parole mystérieuse qui leur donne de l'espérance. Ce sont des sourciers, des sorciers ; on sait les trouver dans leur retraite. De loin, on vient les voir, comme Socrate allait voir la pythie. D'emblée, on les nomme par leur prénom. La femme est là, dans sa maison. On frappe. On entre. Elle est là. Elle vous attend. Ainsi était celle que l'on ne pouvait appeler que Marthe.
Marthe fut une mystique, une mystique de première grandeur. Les mystiques diffèrent par la grandeur comme les étoiles. Je prends ici le mot mystique dans sa signification technique. Le mysticisme est un contact immédiat avec la réalité. Le mystique a l'impression d'avoir non pas moins, mais plus de connaissance et de lumière, de communiquer avec l'être infini. Ce que Beethoven disait de la musique : qu'elle est une révélation plus haute que la sagesse, le mystique pourrait le penser de ses états. Le plus remarquable est l'extase, où les liens sont rompus avec le monde.
Dans ce siècle savant, où l'observation, l'information, la critique ont fait des progrès considérables, le cas que je propose est une sorte de provocation. Il interpelle, comme un défi, tous ceux qui ont encore de la curiosité. Il interpelle les croyants, les incroyants, tous ceux qui, dans les diverses religions et surtout dans le christianisme, cherchent les signes de l'Esprit.
Jean Guitton et les
papesJean GUITTON compare les qualités respectives des
papes Jean XXIII et Paul VI.