Le petit livre des économistes
Thomas Coutrot et
Coralie Perez, "Redonner du sens au travail" est un ouvrage bienvenu en ces temps où tout le monde parle assez mal du travail. En s'intéressant à l'importance que ceux qui travaillent donnent au sens de leur travail, ils permettent de mieux comprendre ce qui dysfonctionne.
Les deux auteurs estiment que la question du sens au travail n'est pas un problème de riche, mais est une question largement négligée des politiques publiques comme des directions des ressources humaines. Les uns comme les autres continuent de faire comme si la seule motivation au travail était le gain monétaire. C'est ce que semblent dire également de plus en plus de Français : pour 45% d'entre eux, le seul intérêt du travail est le salaire (et ils n'étaient que 33% à le penser il y a 30 ans), mais cela traduit certainement bien plus la résignation et la dégradation du rapport au travail à l'heure où tout ce qui le protège est abattu, législation après législation.
Pourtant, la plupart des gens reprennent un emploi, même quand ils y perdent sur le plan financier. Si gagner sa vie est important, l'utilité personnelle semble plus importante encore. La valeur travail n'est pas en cause : tout le monde sait ce que le travail apporte. le problème, c'est qu'on ne cesse d'en réduire le sens. Les changements organisationnels en continue, les process, les objectifs chiffrés, le reporting… sont autant de technologies zombies qui produisent un rapport au travail imprévisible, fragmenté, plus axé sur son rapport productiviste que sur sa réalité concrète… très éloigné des salariés. Dans cette perte de sens, le numérique est ici bien en cause. En permettant de codifier et standardiser les tâches, de les surveiller, de produire des indicateurs… il a largement participé à créer un travail hors-sol, un néo-taylorisme, qui détruit les marges de manoeuvres individuelles comme collectives. le numérique favorise également les transformations incessantes de l'organisation du travail, vécues comme épuisantes.
Il y a 20 ans, les 35 heures, c'est-à-dire la réduction du temps de travail, ont été la dernière conquête sociale. Sur tous les sujets relatifs au travail, nous sommes depuis plongés dans une régression qui semble sans fin, comme l'illustre le débat sur les retraites. Dans le monde du travail, la discussion est de plus en plus vue et ressentie comme une perte de temps, à l'image des réunions d'où rien ne sort vraiment que de nouvelles consignes top-down à appliquer. Ce rapport non démocratique, caporaliste au travail est assurément une impasse. Comme disait
Alain Supiot, sans justice au travail, c'est le travail lui-même qui n'est plus possible... “Les salarié.es soumis.es à des consignes rigides ou des tâches répétitives sont plus nombreux.ses à s'abstenir aux élections ou à voter pour l'extrême droite”. La perte de sens au travail à des conséquences directes sur la perte de sens de nos sociétés elles-mêmes.
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