Les premières pages laissent croire à une bonne surprise. C'est plutôt pas mal écrit et assez rythmé, malgré de grandes envolées lyriques un peu ridicules. On comprend toutefois très vite que ce n'est pas Harry qui a rédigé ce livre, mais un professionnel. Ce qui n'est toutefois jamais mentionné. On imagine en effet assez mal
le Suppléant – réputé, à juste titre, ne pas être une « lumière » – connaître les « accords de Munich » de 1938 (mentionnés dans l'ouvrage), la littérature médiévale (lui qui avoue ne pas lire) ou s'exprimant dans un langage soutenu. Co-auteur oblige, on rencontre dans ce bouquin une curieuse alternance de termes châtiés et de mots d'une vulgarité crasse. Ames sensibles, s'abstenir ! Harry, par exemple, ne va pas « se coucher » : il va « se pieuter ». Au sujet d'une journaliste qui révèle qu'il fume de l'herbe durant l'adolescence, il écrit (page 106) : « Cette femme était un furoncle purulent planté dans la raie du c*l de l'humanité, doublé d'une journaliste de m*rde. […] Elle ne s'arrêterait que le jour où mes c*uilles seraient clouées au mur de son bureau. » Au sujet de
Faulkner, Harry écrit : « Put*in ! Mais c'est qui ce type ? ». Preuve que son co-auteur lui a parfois laissé la plume.
Les lamentations et les mensonges se multiplient dès le départ. Diana est, par exemple, présentée comme une « enseignante de maternelle » (page 2). Elle travaillait, certes, dans une maternelle – mais en tant que « nanny » ; poste qui n'avait d'autre but que de l'occuper en attendant le mariage. Harry estime que Charles n'est pas un « bon père ». Il justifie cette impression par de nombreux exemples. Comme le fait que Charles l'appelle « Mon cher enfant ». Ce qui l'exaspère littéralement. Ou bien encore qu'il préfère lui écrire de tendres lettres – dans lesquelles il lui exprime sa fierté de l'avoir pour fils et qu'il dépose sur son oreiller. Chose qui insupporte Harry – qui se demande pourquoi son père ne peut s'ouvrir sur ses sentiments directement. Personnellement, je connais un certain nombre d'enfants (et d'anciens enfants) qui aimeraient avoir un père aussi aimant... La vie au château de Balmoral est une horreur, car le lit princier est trop haut, les draps sont « rêches de propreté » et la chambre de William est sensiblement plus grande que la sienne. Les repas qui sont servis aux enfants sont une honte – car, sous les cloches en argent, on ne trouve (je cite Harry) « que de la bouffe pour gosses : poulet rôti, hachis Parmentier, petits pois... ». On comprend qu'il estime mériter mieux. La pension (à Ludgrove ou Eton) est décrite comme quelque-chose d'assez terrible, où sont parqués des « enfants abandonnés ». Les deux épreuves les plus cruelles étant le jour de la carte postale à envoyer à ses parents (« Quelle plaie ! »), et celui où il faut pour la première fois apprendre à nouer la cravate de son uniforme... Entre ces deux drames, on se fait border et laver les cheveux par de gentilles dames, et l'on se bourre de bonbons avec les profs. William est décrit comme un individu qui tient davantage, et ce dès l'enfance, du serpent que de l'être humain. Un héritier qui vit « en fils unique » et ne croise jamais Harry. Ou si peu. Un individu mort de trouille à l'idée que son petit frère lui vole sa place (« En tant qu'aîné à l'esprit de compétition exacerbé ? […] Professionnellement, personnellement, il était soucieux de la place que j'occupais, de ce que je faisais »). Et qui se réjouit de voir Harry échouer (« Il ne parvenait pas à regretter complètement que les choses aient tourné ainsi »). de nombreuses photographies montrent pourtant de façon indiscutable leur proximité jusqu'à l'arrivée de Meghan. Et l'on ne comprend pas bien en quoi William pourrait jalouser Harry, cadet en perpétuel échec... Camilla (qu'il nomme aimablement « l'Autre femme ») a, selon le « Suppléant », toujours voulu être reine. Il la présente comme une intriguante redoutable. Or on sait que Camilla aime la discrétion et la liberté, et que si elle a quitté Charles lorsqu'ils étaient jeunes, c'est justement parce qu'elle ne voulait pas de cette charge écrasante. En attendant de trouver sa voie, le pauvre Harry passe son adolescence et sa jeunesse à voyager d'un pays à l'autre, accompagné de son père ou d'un garde du corps-copain, avec tout un réseau bienveillant à sa disposition. le jour où, durant un safari, il veut faire une bonne blague à son garde du corps en glissant une tasse de tabasco dans son pudding, sa surprise tombe à l'eau : William trouve la blague nulle, un fauve s'approche de la tente et l'attention se porte ailleurs. Mince alors ! Suite à l'aventure du pudding, Harry prend à témoin le lecteur : la vie s'acharne bel et bien sur ses frêles épaules !
Tout le reste est dans la même veine : incohérences, anecdotes inutiles, fausses « injustices », mensonges avérés.
Bref, on grommèle dix fois par page ! Pour peu que l'on connaisse l'histoire de cette famille, évidemment. Pour les autres – les non anglophiles et les antimonarchistes – la lecture de ce livre sera certainement plus agréable... Les faits déformés passeront pour des faits établis. On sera flatté qu'un prince nous fasse des confidences – alors, on sera tenté de le plaindre. Et l'on se rassurera, en constatant que l'argent ne rend pas nécessairement heureux et que notre malheur est partagé.
Mais si ce n'étaient qu'entourloupes, amertume et misères d'enfant gâté... ! En feuilletant le bouquin, je tombe sur un passage qui me laisse littéralement ahurie. Je manque tourner de l'oeil, tant les propos sont abjects. Harry décrit sur 4 pages (page 90 et suivantes) sa première chasse au cerf, à l'âge de 15 ans. Son impression d'être « devenu un homme » après avoir tué l'animal. Sa satisfaction d'avoir « fait honneur » à la pauvre bête (qu'il appelle – je le cite – le « cerf crevé »). Sa fierté de fournir à la maison des « steaks et filets savoureux ». Il évoque (je le cite à nouveau) le « rituel du sang ultime ». Mais également les « vertus » (ce sont toujours ses mots) de la mort et de la chasse, inculquées dès l'enfance.
Le garde-chasse plonge le visage d'Harry durant de longues secondes dans les entrailles du cerf. Cerf à qui il a, immédiatement après son exécution, ouvert le ventre et tranché la gorge. Harry décrit précisément les sensations des organes contre son visage, l'odeur du sang chaud, sa texture, la « tiédeur nauséabonde », la « puanteur ». Mais aussi son excitation, son coeur qui bat la chamade… Au point qu'il parle d'une expérience mystique, où il touche du doigt « le divin ». Après avoir manqué s'étouffer, Harry est tenté de s'essuyer le visage – mais il comprend qu'il doit s'abstenir : car c'est ainsi que les choses « doivent » se faire (pour quelqu'un qui abhorre les traditions… elles passent visiblement mieux lorsqu'elles relèvent de la sauvagerie !). Harry rentre au château fier comme Artaban et souillé de sang. En cet instant, il est heureux. Vraiment heureux. Peut-être pour la première fois de sa vie.
Plus loin, on aura droit à des animaux de ferme insultés, à de jeunes taureaux castrés au couteau, à des lapins dont on s'étonne qu'il y en ait encore, tant on « s'amuse » à les dézinguer à tout va, aux écureuils que l'on se plaît à zigouiller pour tuer le temps. Page 89, on peut lire : « La première fois que j'ai tué un être vivant, Tiggy [la nounou] s'est exclamée : Bien joué, mon chéri ! » Il poursuit : « le rituel du sang – une tradition immémoriale. Une marque de respect à l'égard de la créature tuée ; un acte de communion pour le tueur ». Ces mots font froid dans le dos.
Je suis tristement surprise de constater que tout cela n'a pas fait polémique, tant ces passages sont choquants et parfois d'une violence insoutenable. Je n'aime franchement pas la chasse – mais là, on a affaire à quelque-chose d'autre ! J'ai lu, il y a peu, un ouvrage sur les tueurs en série et leur psyché, et j'ai l'impression d'y retourner.
Comment ce type (après tout cela, j'ai bien du mal à lui donner du « prince »…) peut-il être incapable de comprendre – à la lumière de sa conscience d'homme de presque 40 ans – que tout cela ne se raconte pas ? Si ce n'est pour s'en repentir. Comment peut-il se plaindre de la « cruauté » dont sa mère, Meghan et lui ont fait les frais – et qu'il fait lui-même subir aux animaux, ainsi qu'à toute personne qui s'oppose à lui ? Harry devient inaudible !
Certes, il admet, page après page, être un sale type. Il se juge « ambitieux » et menteur. Il s'identifie à un personnage du feuilleton « Les Griffin » – qu'il décrit comme un « prophète sans honneur ». Il admet se souvenir de pas grand-chose (mais il est en mesure de vous dire ce qu'il a enfourné à la cantine le 13 mai 1993 à 13 h 11 !). Et n'avoir aucun scrupule à inventer.
Après tout, dit-il, la chronologie est une « invention pour personnes angoissées » (!). Et, affirme-t-il encore, entre la vérité et l'invention, il n'y a pas grande différence. Ah oui ?! Ceci explique peut-être pas mal de choses. Notamment ses petits arrangements avec les faits.
Mais alors... POURQUOI écrire son autobiographie quand on est conscient d'être à demi amnésique et brodeur ? Et pourquoi nous prendre à parti depuis des années et jouer les innocentes victimes, quand on se vante d'être un bourreau et un individu que, de son propre aveu, il vaut mieux ne pas croiser ? Tout cela doit interroger.
Je ne suis pas psy, mais il me semble que ce « prince de mes chaussettes sales », comme le disait ma regrettée grand-mère, souffre surtout d'un ego boursouflé. Lequel explique certainement ses exigences poussées et son sentiment d'être une victime, tout le temps et pour tout (or qui n'a pas eu un père pudique et surbooké ou une grand-tante un peu sèche ? combien d'enfants ont perdu un père, une mère, voire les deux ?).
Mais il souffre également de sérieux problèmes psychiatriques. Bien plus nombreux et plus graves que je ne le pensais avant d'avoir lu ce livre... Des troubles d'ordres cognitifs et moraux, notamment. Je ne serais pas surprise qu'Harry finisse fort mal – et pas par la faute des Windsor.
Si la scène de la chasse au cerf n'a pas suffi à convaincre, que penser de ce moment où le « militaire Harry » explique – tranquillou et sans se repentir – qu'il donne l'ordre à un avion de combat de prendre en chasse la voiture dans laquelle roule son père, qui vient de le saluer au travail (« Nouvelle cible. Audi grise ») ? Au dernier moment, Harry épargne la vie du prince Charles (« le Typhoon a suivi Papa et survolé son Audi à basse altitude, manquant faire voler les vitres en éclat. Mais il l'a finalement épargné. Sur mes ordres. Il est allé réduire en miettes une grange en tôle. »). Harry vient de nous avouer qu'il a bien failli faire tuer son père, mais là encore, cela ne fait réagir personne... Après tout, quoi d'étonnant lorsque l'on apprend de sa bouche qu'il se complait à détruire ou à imaginer détruire : « J'étudiais l'Art de la destruction […] il y avait dans toute destruction de la créativité. Tout débutait par l'imagination. »
Qu'Harry ait dû quitter l'armée est une excellente chose : il était véritablement dangereux qu'il y reste. Oh, pas pour sa vie ! Mais pour celle des autres.
Sa consommation de cannabis à un très jeune âge a dû irrémédiablement altérer sa mémoire et influer notablement sur son comportement passé (et présent). Cela a dû provoquer au moins autant de dégâts que la perte de sa mère.
La seule chose que j'accorde à Harry, c'est d'avoir eu le « malheur » de naître dans une famille qui ne correspond pas à sa nature profonde. Voir le jour dans une famille ouvrière et populaire – dans laquelle on est noyé dans la masse, où l'on pratique le camping et le jambon-beurre plutôt que le palace et le tournedos Rossini, et où l'on doit gagner seul dès la sortie de l'adolescence chaque centime de sa tirelire – lui aurait sans aucun doute mieux réussi. Harry est un prolo égaré chez les marquis. Un Groseille échoué chez les le Quesnoy.
Je lui accorde également que la présence quasi-permanente de la presse de caniveau, qui gravite autour de chaque membre de cette famille pas comme les autres, doit plus qu'agacer... Mais c'est oublier qu'Harry, comme la regrettée Diana et Meghan, ont aussi su faire appel à elle lorsqu'ils en ont eu besoin. Et lorsqu'Harry compare les appareils photo à des kalachnikovs et les photographes, à des Djihadistes, je dis : « Stop ! ». Un peu de décence et de respect pour les victimes de ces monstres.
A celles et ceux qui penseront découvrir encore de croustillantes révélations dans ce livre, passez votre chemin ! Tout a déjà été dit dans les médias (dépucelage navrant à l'arrière d'un pub, circoncision de son frère, c*caïne, débauche, etc.). On sait déjà « tout » sans avoir rien lu. Hormis, je vous l'accorde, que Sa Majesté la reine excellait en matière de vinaigrette.
Les seules véritables révélations du livre sont les suivantes :
- Harry est un être sans une once de conscience, cruel et inhumain.
- Il se souvient à peine de sa mère – qu'il évoque très peu dans l'ouvrage.
- Il a reçu plus d'amour et d'attention que la plupart d'entre nous. Notamment grâce à un père et un staff assez formidables. Mais Harry est capable de décrire des scènes dans lesquelles il est littéralement couvé, tout en nous disant : « Vous voyez bien que j'ai été délaissé ! »
- Il va mal. Très mal. Vous noterez que j'emploie le temps présent. Meghan ayant probablement enfoncé le couteau dans les plaies de son époux, afin d'avoir sur cet homme faible, paumé et souffrant d'amnésie (au sens médical du terme, on l'aura compris) davantage d'emprise.
En ce qui me concerne, tout ça, c'est trop pour moi… Je ne finirai pas ce bouquin et je n'en veux pas dans ma bibliothèque. Ce torchon nauséabond, ces confidences d'un homme déséquilibré, pervers et malhonnête, repartent à l'envoyeur. Je ne donnerai pas un centime à ce triste (et dangereux) personnage.
Je n'avais pas une grande estime pour lui – mais j'étais sensible à ses blessures. A présent, il peut bien aller se faire voir.