En 1986, en Algérie sept moines du monastère de Notre Dame de l'Atlas, à Tibhirine étaient enlevés par des membres du Groupe Islamique Armé, puis exécutés sauvagement dans des conditions demeurées mystérieuses.
Le bouleversant film de
Xavier Beauvois « Des hommes et des dieux » de 2010 a ému un très large public en France, preuve s'il en était besoin que dans notre société hyper marchandisée, le fait de se consacrer aux autres jusqu'au sacrifice de sa vie et ce, « gratuitement », peut émouvoir profondément.
Cet ouvrage collectif «
Tibhirine l'héritage » n'expose pas les faits et n'a pas pour propos d'apporter des révélations.
A cet ouvrage ont ainsi apporté des contributions, outre des hommes d'église familiers des martyrs et de leur univers géographique et monacal,
François Cheng et Marc Trévédic. Ce denier, une voix très écoutée en cette période de péril terroriste, a connu le dossier en qualité de magistrat instructeur. Mais bien sûr c'est l'homme qui s'exprime ici, pas le spécialiste du code de procédure pénale, ce n'est pas le lieu d'exposer des révélations sur le dossier juridique.
A ces deux brillants contributeurs, qui n'appartiennent pas à l'institution de l'église catholique, la plume de la philosophe Leïla Tennci apporte aussi des mots vibrants très personnels.
Et puis ces « testaments spirituels » de Christian de Chergé, frère Christophe et frère Michel, qui saisissent le lecteur.
Le titre évoque un « héritage », il s'agit d'un legs spirituel, indicible.
Paul Valéry a écrit quelque part « le silence me parle de près » ; en dépit de l'éloignement temporel et spatial, la vie de ces moines, leur aura silencieuse et pleine de noblesse et de générosité ne peuvent pas ne pas continuer d'interpeller aujourd'hui les consciences.
Ces frères n'ont pas cherché à mourir en martyrs et surtout ils vivaient paisiblement, intensément, leur foi, dans la discrétion en cette terre d'Algérie, humbles parmi les humbles et pourtant si riches par ailleurs
Ils ne sont pas morts en croisés, ils ne cherchaient pas à convertir.
Dans le respect de cet esprit, dans chaque contribution de ce livre, il n'y a pas l'ombre d'un mot vindicatif, de ressentiment.
C'est si apaisant de lire que les hommes d'église qui ont écrit dans ce livre n'ont pas esquissé l'ombre d'une virgule qui pourrait s'apparenter à un début de plaidoirie théologique militante, dans l'esprit d'une guerre de religion, qui fut si longtemps dans les gênes de l'église catholique (elle n'en a pas le monopole) et qui aujourd'hui, sous l'émotion d'évènements dramatiques libère des paroles d'intolérance extrême et mortifères.
Les sept frères, (chiffre symbolique sacré) sont morts non pas parce qu'ils étaient moines chrétiens mais parce qu'ils représentaient tout simplement la vie, l'espoir d'un monde plus fraternel, dans la tolérance et le respect de chacun et le désintérêt ….tout ce que les intégristes de toute religion, de toute époque, détestent et qui dépasse leur entendement.
Quel héritage donc ?
Que l'homme est et restera un loup pour l'homme ou que la fraternité, l'amour transcendent la mort ?
A cet égard, la pensée d'
Albert Camus ne peut pas ne pas être évoquée, lui qui refusa de choisir entre le radicalisme des deux camps et cette descente aux enfers et rêva d'une société où, sur ces mêmes terres d'Algérie, chaque communauté vivrait en paix dans la justice sociale.
On pense tout aussi spontanément à la vie et à la pensée de Pierre Rhabi.
On préfère privilégier l'oeuvre de ces hommes qui permettent de (sur)vivre spirituellement à la réalité de ces actes de barbarie.
On regrettera simplement dans cet ouvrage polyphonique, préfacé par le pape, l'absence, paradoxale, d'espace d'expression pour la communauté des hommes et des femmes qui a côtoyé étroitement les moines pendant toutes ces années .
Un livre, oui pas commercial, grave mais bienfaisant dans le contexte actuel, à lire absolument