Le roman s'ouvre par une longue description de la ville de S… et de sa prison. Une ville fascinante et charmante à l'extérieur ; décatie, crasseuse et piétinée à l'intérieur, comme les femmes du pays. La prison ici est une jungle où aucun droit n'a droit de cité. Victime de l'arbitraire des autorités, de la polygamie et de la misère de ses parents, la jeune et belle Mariama, seize ans, est la dernière venue dans ce goulag.
Pourtant tout allait bien pour elle et sa mère, aimées et choyées, avant l'arrivée d'une nouvelle et jeune épouse de son père. Dorénavant, c'est elle la maîtresse de céans à laquelle, y compris le mari, il faut obéir au doigt et à l'oeil. Elle menace justement de divorcer avec lui s'il ne marie pas Mariama le plus tôt possible à un vieil et riche homme qui depuis des années couvre la famille de présents.
Pour consommer ignominieusement sa nuit de noces, le nouvel époux a dû se servir de bras complices pour attacher la pauvre fille, jambes écartées, tête sous un oreiller. Toutefois elle n'a pas dit son dernier mot après cette horrible nuit du viol. Lors de la cérémonie officielle du mariage dans l'hôtel de ville, elle crie haut et fort qu'elle n'aime pas son mari. Une grave insulte aux autorités d'autant plus que le riche soupirant a graissé les pattes de tous les fonctionnaires haut placés de la ville pour faciliter cette union. Réitérant son refus devant le commandant, Mariama est internée dans la maréchaussée puis dans la prison où elle subit des tortures quotidiennes et cruelles. La prison n'est rien d'autre qu'un lieu de déshumanisation, d'humiliation, d'exaction, de dépouillement de toute once de dignité. Dans cet étrange pays imaginaire, le Béléya, tous les services administratifs se chevauchent, se mélangent, le juge comme le gendarme participent à la torture des détenus.
Insolite République, en effet, puisque l'on se retrouve derrière les barreaux juste pour avoir dit non à un prétendant. C'est le règne de l'absolutisme et de l'autocratie. Tous les fonctionnaires sont considérés comme des pères à qui le peuple doit révérence et soumission. Mais ces derniers à leur tour sont des sujets du père de la nation, le président, véritable personnalité de culte. L'administration est corrompue et verse dans l'amateurisme et l'injustice. le vol est institutionnalisé. Néanmoins, seuls les fonctionnaires y ont droit. le vol en fait est l'une des rares échappatoires pour vivre dignement. Mais si les voleurs ordinaires ravissent les individus et encourent un châtiment cruel, les fonctionnaires dépouillent la société en toute impunité. le ventre bedonnant est le symbole de cette prévarication. Quant aux pauvres payant d'honnêteté et de morale, ils triment au jour le jour « comme des boeufs de labour ».
Parce qu'elle a été méticuleusement martyrisée, Mariama est tombée dans le coma et évacuée à l'hôpital. le complexe sanitaire minutieusement décrit est un autre emblème de la république du Béléya. Alors que le personnel médical vêtu d'une blouse blanche, immaculée semble respirer la prospérité, la brillance et l'éclat, les malades, tout comme les bâtiments, sont laissés à l'abandon, à la déliquescence, à la crasse et à l'indifférence. Seule la petite élite intellectuelle vit opulemment aux dépens de la masse populaire qui peine à avoir de quoi survivre. Elle est sujette aux brimades, à la condescendance et à l'autoritarisme de cette petite classe des riches.
Mariama meurt à la suite des multiples tortures endurées.
Comme vous l'aurez remarqué, le roman est pauvre en actions. La dénonciation prend le dessus et tasse celles-ci. Cette dénonciation n'était-elle pas d'ailleurs le but de ce récit ? L'auteur qui a lui-même été emprisonné a voulu écrire une oeuvre de témoignage pour étaler au grand jour les horreurs et les sévices dans les prisons.
C'est un roman-procès contre les agissements dégradants des nouveaux maîtres de l'Afrique fraîche émoulue de l'école des indépendances. Ils sont pires que les colons. Les pratiques hideuses, déshumanisantes tout au long du récit donnent à ce dernier une couleur sombre, torturée et étouffante.
Une écriture dense, riche et recherchée. Elle ne laisse jamais le lecteur indifférent car portée par une profusion d'images qui étoffent le roman. Il souffre toutefois de longueurs dans les descriptions, les dialogues ou même dans les fioritures du langage.
« Les
toiles d'araignées » personnifient les indépendances dévoyées où s'enlise le peuple. L'araignée, c'est le nouveau maître ; les toiles, la prison, l'incarnation de ce nouvel ordre africain. Il semble que le lecteur lui-même est piégé dans cette prison et le récit, en conséquence, stagne, avance très lentement. Cependant, les
toiles d'araignées figurent aussi la misère, la résignation, l'obéissance aveugle, et autres traditions « rétrogrades », qui pèsent sur la société. « J'ai même l'impression que les adultes ont tissé une immense toile d'araignée au-dessus de la tête des enfants… Dès que l'enfant grandit, il est immanquablement pris dans ce piège où chaque geste ne sert qu'à le lier davantage. » Et plus loin l'auteur malien ajoute : « Les adultes sont aussi piégés par l'autorité et par la misère. Les
toiles d'araignées ne sont pas seulement au-dessus de la tête des enfants et dans les coins, elles sont partout. »
Même si l'héroïne meurt au terme du récit, c'est une femme de trempe, qui refuse de sacrifier à la dictature de l'obéissance, de la soumission, valeurs inculquées depuis l'enfance et entretenues par le régime tyrannique.
N'est-ce pas aussi cette même misère qui a poussé le père de Mariama à donner sa main à un vieil homme riche ? «La misère est une humiliation et doit être combattue comme telle. Elle dénature l'homme autant que le fouet… Notre société fait des femmes de véritables otages. Chez nous, le succès de l'enfant dépend non de son intelligence et de son habileté, de sa persévérance dans l'effort et de son courage, mais uniquement de la capacité de résignation de la mère, de la passivité de celle-ci face aux insultes du père, des coépouses, des belles-soeurs. La résignation est la clé de voûte de notre système éducatif. »
Dans ce pays où la femme est brimée, où l'homme est maître absolu et où toute la société lutte pour la portion congrue, cette même femme est le seul lieu de plaisir et de joie de vivre. L'indigence justifierait la polygamie. Ainsi pour défaire les
toiles d'araignées dans lesquelles se dépêtre le peuple, il faut non seulement combattre l'arbitraire des autorités, mais encore la misère et les traditions « désuètes ».