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Bernard Magnier (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782742714469
432 pages
Actes Sud (03/11/1997)
3.83/5   9 notes
Résumé :
Roman réaliste inspiré par l'expérience carcérale de l'auteur. Ibrahima Ly dénonce certaines pratiques traditionnelles (le mariage forcé, etc.) et les régimes militaires au pouvoir en Afrique noire (au Mali, en particulier) dans les années 1970.
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Le roman s'ouvre par une longue description de la ville de S… et de sa prison. Une ville fascinante et charmante à l'extérieur ; décatie, crasseuse et piétinée à l'intérieur, comme les femmes du pays. La prison ici est une jungle où aucun droit n'a droit de cité. Victime de l'arbitraire des autorités, de la polygamie et de la misère de ses parents, la jeune et belle Mariama, seize ans, est la dernière venue dans ce goulag.

Pourtant tout allait bien pour elle et sa mère, aimées et choyées, avant l'arrivée d'une nouvelle et jeune épouse de son père. Dorénavant, c'est elle la maîtresse de céans à laquelle, y compris le mari, il faut obéir au doigt et à l'oeil. Elle menace justement de divorcer avec lui s'il ne marie pas Mariama le plus tôt possible à un vieil et riche homme qui depuis des années couvre la famille de présents.

Pour consommer ignominieusement sa nuit de noces, le nouvel époux a dû se servir de bras complices pour attacher la pauvre fille, jambes écartées, tête sous un oreiller. Toutefois elle n'a pas dit son dernier mot après cette horrible nuit du viol. Lors de la cérémonie officielle du mariage dans l'hôtel de ville, elle crie haut et fort qu'elle n'aime pas son mari. Une grave insulte aux autorités d'autant plus que le riche soupirant a graissé les pattes de tous les fonctionnaires haut placés de la ville pour faciliter cette union. Réitérant son refus devant le commandant, Mariama est internée dans la maréchaussée puis dans la prison où elle subit des tortures quotidiennes et cruelles. La prison n'est rien d'autre qu'un lieu de déshumanisation, d'humiliation, d'exaction, de dépouillement de toute once de dignité. Dans cet étrange pays imaginaire, le Béléya, tous les services administratifs se chevauchent, se mélangent, le juge comme le gendarme participent à la torture des détenus.

Insolite République, en effet, puisque l'on se retrouve derrière les barreaux juste pour avoir dit non à un prétendant. C'est le règne de l'absolutisme et de l'autocratie. Tous les fonctionnaires sont considérés comme des pères à qui le peuple doit révérence et soumission. Mais ces derniers à leur tour sont des sujets du père de la nation, le président, véritable personnalité de culte. L'administration est corrompue et verse dans l'amateurisme et l'injustice. le vol est institutionnalisé. Néanmoins, seuls les fonctionnaires y ont droit. le vol en fait est l'une des rares échappatoires pour vivre dignement. Mais si les voleurs ordinaires ravissent les individus et encourent un châtiment cruel, les fonctionnaires dépouillent la société en toute impunité. le ventre bedonnant est le symbole de cette prévarication. Quant aux pauvres payant d'honnêteté et de morale, ils triment au jour le jour « comme des boeufs de labour ».

Parce qu'elle a été méticuleusement martyrisée, Mariama est tombée dans le coma et évacuée à l'hôpital. le complexe sanitaire minutieusement décrit est un autre emblème de la république du Béléya. Alors que le personnel médical vêtu d'une blouse blanche, immaculée semble respirer la prospérité, la brillance et l'éclat, les malades, tout comme les bâtiments, sont laissés à l'abandon, à la déliquescence, à la crasse et à l'indifférence. Seule la petite élite intellectuelle vit opulemment aux dépens de la masse populaire qui peine à avoir de quoi survivre. Elle est sujette aux brimades, à la condescendance et à l'autoritarisme de cette petite classe des riches.

Mariama meurt à la suite des multiples tortures endurées.

Comme vous l'aurez remarqué, le roman est pauvre en actions. La dénonciation prend le dessus et tasse celles-ci. Cette dénonciation n'était-elle pas d'ailleurs le but de ce récit ? L'auteur qui a lui-même été emprisonné a voulu écrire une oeuvre de témoignage pour étaler au grand jour les horreurs et les sévices dans les prisons.

C'est un roman-procès contre les agissements dégradants des nouveaux maîtres de l'Afrique fraîche émoulue de l'école des indépendances. Ils sont pires que les colons. Les pratiques hideuses, déshumanisantes tout au long du récit donnent à ce dernier une couleur sombre, torturée et étouffante.

Une écriture dense, riche et recherchée. Elle ne laisse jamais le lecteur indifférent car portée par une profusion d'images qui étoffent le roman. Il souffre toutefois de longueurs dans les descriptions, les dialogues ou même dans les fioritures du langage.

« Les toiles d'araignées » personnifient les indépendances dévoyées où s'enlise le peuple. L'araignée, c'est le nouveau maître ; les toiles, la prison, l'incarnation de ce nouvel ordre africain. Il semble que le lecteur lui-même est piégé dans cette prison et le récit, en conséquence, stagne, avance très lentement. Cependant, les toiles d'araignées figurent aussi la misère, la résignation, l'obéissance aveugle, et autres traditions « rétrogrades », qui pèsent sur la société. « J'ai même l'impression que les adultes ont tissé une immense toile d'araignée au-dessus de la tête des enfants… Dès que l'enfant grandit, il est immanquablement pris dans ce piège où chaque geste ne sert qu'à le lier davantage. » Et plus loin l'auteur malien ajoute : « Les adultes sont aussi piégés par l'autorité et par la misère. Les toiles d'araignées ne sont pas seulement au-dessus de la tête des enfants et dans les coins, elles sont partout. »

Même si l'héroïne meurt au terme du récit, c'est une femme de trempe, qui refuse de sacrifier à la dictature de l'obéissance, de la soumission, valeurs inculquées depuis l'enfance et entretenues par le régime tyrannique.

N'est-ce pas aussi cette même misère qui a poussé le père de Mariama à donner sa main à un vieil homme riche ? «La misère est une humiliation et doit être combattue comme telle. Elle dénature l'homme autant que le fouet… Notre société fait des femmes de véritables otages. Chez nous, le succès de l'enfant dépend non de son intelligence et de son habileté, de sa persévérance dans l'effort et de son courage, mais uniquement de la capacité de résignation de la mère, de la passivité de celle-ci face aux insultes du père, des coépouses, des belles-soeurs. La résignation est la clé de voûte de notre système éducatif. »

Dans ce pays où la femme est brimée, où l'homme est maître absolu et où toute la société lutte pour la portion congrue, cette même femme est le seul lieu de plaisir et de joie de vivre. L'indigence justifierait la polygamie. Ainsi pour défaire les toiles d'araignées dans lesquelles se dépêtre le peuple, il faut non seulement combattre l'arbitraire des autorités, mais encore la misère et les traditions « désuètes ».
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Enfermé arbitrairement entre 1974 et 1978 au Mali, Ibrahima Ly a connu les tortures et les humiliations qu'il retranscrit dans Toiles d'araignées, publié en 1982.
Mariama, 16 ans, est promise à Bakary, l'homme le plus riche du village, qui a 70 ans. Mariama le refuse et attire la honte sur sa famille. Après avoir été violée par Bakary, elle est jetée en prison. Elle y connait les humiliations, les douleurs physiques, l'abandon de toute dignité. Les conditions décrites sont atroces : les cellules contiennent plusieurs dizaines de détenus, l'intimité est une notion oubliée, la détresse pousse même Mariama à lécher les murs, pourtant couverts de bave et d'urine, pour ramasser quelques prises de tabac tout juste chiqué.
Le titre est polysémique : les toiles d'araignées sont, à proprement parler, les seules représentations de la beauté de la nature dans les cellules. La toile d'araignée, c'est aussi la prison dont les détenus ne peuvent se libérer. Enfin, elle est la société dans laquelle se débattent les hommes et les femmes avant qu'ils ne se résignent à souffrir et à mourir.
Le roman est particulièrement sombre et l'espoir y est absent. Les gardes ne sont pas inhumains : bien au contraire, nous dit Ibrahima Ly, ils le sont, et c'est là le plus terrible. le choix d'une femme comme personnage principal ajoute à l'horreur de la situation : le corps féminin est encore un corps qu'on peut désirer et, par là-même, forcer. L'humanité, c'est aussi le mépris du sentiment et du corps d'autrui.
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Descente aux enfers impeccablement orchestrée par l'auteur qui, outre l'art et le sens des descriptions éloquentes et réussies possède un vocabulaire riche et précis. Il nous emmène au tréfonds d'une prison où les individus sont méthodiquement broyés. Il a l'intelligence de ne pas employer le "je" mais de préférer mettre en scène divers personnages. Il est dès lors regrettable que le dernier quart du roman se transforme en série de raisonnements, de diatribes politiques et de discours à dominante sociale ou sociétale. Et là le "je" apparaît, même si c'est sous la forme d'autres personnages. Je trouve que ça tombe totalement à plat et fait oublier la quasi- perfection des trois premiers quarts du livre.
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"L'homme est le pire ennemi de l'homme"

En bambara : Tchai magn tchai bolo. Traduction : " il n'est pas beau de voir un homme livré à la merci d'un autre homme".

Ces extraits (A part le passage en bambara) de la 4ème couverture résume bien ce roman.
Ibrahima Ly, auteur malheureusement peu connu, dresse un portrait realiste, objectif des maux encore présents dans nos sociétés. Il ecrit merveilleusement bien.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
La toile d'araignée était ce qu'il y avait de plus soyeux et de plus propre dans la prison. C'était l'instrument privilégié pour entrer en communion avec la nature, oublier la réalité hérissée de flétrissures, de cris gouapes, inhumains, de visages couturés et d'yeux globuleux, de fouets fendant l'air avec un sifflement lugubre, de croûtes putrides. Le velours de la toile d'araignée l'emportait au loin, comme un tapis magique, où la nature etendait à perte de vue son pagne aux bandes vert malachite, flavescentes sous un ciel gris comme le doux plumage de la tente tourterelle.
Il leva la tête et crut percevoir à travers le prisme de ses larmes l'arc-en-ciel sacré, l'escalier par lequel il pourrait monter au ciel dès qu'il en decouvrirait la première marche. Larmes, morve, roupie et sueur se mêlerent sur son visage grave.
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Les citadines se font particulièrement belles. (...) Elles marchent par groupe de deux ou trois dans leur boubou empesé et brodé avec de la soie. L'allure est lente mais pleine de grâce. (...) Les jeunes filles au corps félin sont ravissantes. Des seins aussi fermes qu'une mangue à mûrir sous la cendre. Dans le cisaillement de leurs pieds, une main fière écarte négligemment, à chaque pas, un des bords du pagne, découvrant une cuisse gracile et un genou bien rond et bien ferme. L'oeil suit le galbe de la cuisse et l'être entier bascule comme au bord d'un gouffre. La vue du petit pagne plus suggestif que les poils du pubis n'arrête pas la chute, elle la précipite. Le sourire de ces pucelles brille comme une nouvelle lune dans le ciel gris de la vie.
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Chacun en naissant dispose d'un nombre précis de corbeilles. Tu meurs dès que l'une de tes corbeilles est vide. Tout chez l'homme est précompté: les pas, les heures de sommeil, les bonnes et les mauvaises actions. Il y a le dernier cri, le dernier délassement dans le sommeil, le dernier applaudissement, la dernière bonté. Chaque corbeille est vitale. Si tu es trop honnête, tu épuises vite ton lot d'honnêteté, tu ne pourrais survivre. (...) Le sage, qui est assuré de vivre longtemps, aimé et respecté de tous, touche à tout. Il faut savoir doser! C'est la grande loi de la mesure.
(...) - Ainsi donc l'honnêteté vaut le vol qui lui-même pèse du même poids que la générosité.
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On refuse de me faire avancer? Je cours avec l'aide de ma verge et de mes testicules. J'ai trente et un gosses, tous en bas âge. Sais-tu combien cela me rapporte?
- Rien!
-Comment rien?
- Les gosses rapportent de l'argent?
- Bien sûr. Tous ceux qui travaillent pour les Blancs reçoivent de l'argent pour chacun de leurs enfants. Tous les mois, je gagne soixante-deux mille francs d'allocations familiales;
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Je suis venu à toi pour te dire de ne pas laisser l'humiliation t'envahir. Tu as été humiliée devant qui? Nous. Nous ne sommes plus de ta race. Les gardes également. Ton honneur est sauf. Tu auras le temps de me donner raison.
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