Ali Magoudi a beaucoup écrit sur nos chefs d'État. Manière de se chercher un père, lui à qui le sien n'a jamais transmis son histoire, dans un silence dissimulateur qui curieusement ne s'est mis a étonner l'auteur qu'après le décès de son géniteur. Que reste-t-il alors ? Une boîte à chaussures avec quelques photos et trois-quatre papiers disparates, de ceux qu'on jetterait facilement sans remord après un décès, et la notion d'un père né en Algérie, engagé dans la Marine Nationale française, émigré en France avant-guerre, marié en Pologne, alcoolique violent lors de sa fin de vie parisienne. C'est tout.
Mais bien sûr, un psychanalyste ne peut nier le père, passer indéfiniment à côté de son histoire familiale, ne peut perpétuellement accepter les silences, le déni, les cachotteries, le refoulement.
Ali Magoudi s'est donc lancé pendant trois ans dans une impressionnante enquête, obsessionnelle, voire compulsive, à la recherche des traces laissées par son père, individu dont il sait d'avance qu'il ne réservera pas que des bonnes surprises.
Son travail de recherche se veut « Rigoureux. Systématique. Ordonné. » Parce que professionnel, il croit pouvoir maîtriser les affects que déclenchent les découvertes sur ses parents, sa famille, la mise à jour de secrets scrupuleusement échafaudés.
On suit pas à pas la recherche d'
Ali Magoudi, qui ne nous épargne aucun détail, on colle littéralement à ses semelles : chaque établissement d'archives, chaque service, chaque dossier, chaque document, chaque nom est scrupuleusement noté, référencé, recopié, analysé, croisé et recoupé avec les précédents. Aucune piste, même a priori dérisoire, n'est négligée. J'ai beaucoup aimé cette accumulation de détails, même les "inutiles", qui a pu en désorienter certains, mais qui traduit bien d'une part le travail obsessionnel de l'auteur, dont le caractère pointilleux, policier, envahissant, est absolument hallucinant, d'autre part son désir de se protéger derrière l'objectif, le non affectif.
C'est d'ailleurs curieusement en dernier que l'auteur ira à la rencontre des rares témoins encore vivants, d'une famille que pour une grande part il ignorait.
Il y a donc 2 versants dans ce livre, d'une part la découverte d'un père, dont le destin s'est inscrit dans l'histoire, tout d'abord l'histoire coloniale, puis l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Et ce malgré les mystères qui persistent. Mais aussi l'auto-découverte du fils, qui ayant refusé le silence, découvre sa fragilité, révélée par ce qu'il découvre, et la reconstruction que cela permet ensuite.
Passionnant de bout en bout, ce livre est un nouvel opus à ajouter à la série des livres sur un homme à la recherche de ses racines, aux prises avec les archives et l'histoire, confronté aux témoignages familiaux, réels ou reconstruits. Après cette lecture, on ne pourra plus affirmer que notre vie informatique et les puces nous ont transformés en « objets » traçables ; cela existait bien avant, même si l'accès était un peu plus compliqué !