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sur 755 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quelle joie en cette rentrée littéraire 2017 de voir publiée cette mise à l'honneur du premier éditeur et ami de jeunesse de mon "écrivain-phare", Albert Camus... par une jeune auteure...

Un moment inoubliable grâce à Kaouther Adimi, avec le très courageux éditeur algérois, Edmond Charlot... qui fit ses débuts très jeune, à vingt ans, avec un texte d'Albert Camus, et de trois camarades théâtreux, "Révolte dans les Asturies"... Lancement passionnel dans ce métier d'éditeur-libraire, grâce , entre autres, à sa rencontre enthousiaste avec la libraire parisienne, Adrienne Monnier...qui l'enchanta ! Mais des éléments non négligeables ont précédé... qui ont favorisé le terrain: un grand-père très cultivé, qui n'avait pourtant fait aucune étude, qui lui offre un exemplaire des "Croix de Bois" dédicacé par Dorgelès, un père représentant chez Hachette, qui lui rapporte des livres, la rencontre d'un professeur de philosophie qui marquera également son ami de classe, Camus.
Je voulais nommer cet enseignant spécial, Jean Grenier, qui l'encouragea vivement dans son rêve de réaliser quelque chose dans "La chose imprimée" !

Je connaissais dans les grandes lignes , le parcours humain et intellectuel exceptionnel de cet éditeur, mais grâce à ce livre et aux extraits [ imaginés ] de son carnet de bord, [ rendus d'autant plus crédibles que l'écrivaine a utilisé des sources très détaillées, publiées par Domens ] j'ai appris mille nouvelles choses, entre les anecdotes incroyables de l'univers des éditeurs, imprimeurs, les nouvelles idées qu'il a apportées [ dont un détail dans la maquette des livres fréquent aujourd'hui, sans qu'on sache que cela provient de ce "faiseur de livres": les couvertures à rabats, qui permettaient d'ajouter des éléments sur le contenu du livre, et des renseignements sur l'auteur], la période terrible de l'après-guerre où Charlot créée une annexe de ses éditions à Paris, où le papier est rarissime, et où les grands éditeurs parisiens ne se comportent pas de la plus belle façon... faisant des "coups tordus" à ce petit éditeur , de surplus algérois, qui commence à leur faire de l'ombre....

Cet ouvrage par un subterfuge astucieux, fait alterner le passé et le "tout présent". Entre les extraits du journal d'Edmond Charlot, le récit propre de l'auteure sur l'histoire douloureuse de l'Algérie, les soubresauts violents , terribles de l'Histoire entre Alger et la France , et le présent immédiat, représenté par Ryad, un jeune du même âge que Charlot lorsqu'il a débuté son métier d'éditeur, qui par contre, n'a aucun goût pour la littérature, ni pour les livres, l'auteure nous offre ainsi un tableau plus subtil de la compréhension, perception d'un pays, d'une ville, Alger, de son quotidien, de son histoire dont la "petite-grande" histoire de cette librairie, témoin engagé, vivant d'une époque ... et aussi par les anciens de la rue Hamani...ex-rue Charras, que rencontre Ryad...

Il est juste venu de France pour faire un stage à Alger [avec le piston d'un proche de son père]... et le contenu de ce dernier va être de vider la petite librairie de Charlot, "Les Vraies Richesses", tout jeter , meubles, rayonnages et Les Livres !! puis repeindre le local qui est destiné à devenir une boutique de beignets !!


Je ne peux m'empêcher de transcrire un extrait des "Mémoires barbares" de Jules Roy:
" de cette aventure, dont nous ne savions pas que nous la vivions, il reste pour moi une sorte de mirage. Charlot fut un peu notre créateur à tous, tout au moins notre médecin accoucheur. Il nous a inventés (peut-être même Camus), engendrés, façonnés, cajolés, réprimandés parfois, encouragés toujours, complimentés au-delà de ce que nous valions (...)

Nous étions les poètes les plus grands, les espoirs les plus fantastiques, nous marchions vers un avenir de légende, nous allions conférer la gloire de notre terre natale [...]
Nous fûmes son rêve. C'est là que le sort le trompa, injustement, comme se lève une tempête sur une mer calme. A la bourrasque il tint tête tant qu'il put. Je ne l'entendis jamais protester contre l'injustice ni maudire l'infortune qui l'accablait.
Par moments, il m'arrive de me demander si nous avons été assez dignes de lui. " (p. 210-211)


Du mal à quitter ce livre et surtout cet homme très attachant et brillant que fut Edmond Charlot... qui à lui tout seul... a su découvrir des talents incroyables: Camus, Roblès, Audisio, Sénac, Amrouche, Jules Roy, Mohammed Dib..., [ Que les grands éditeurs parisiens, Gallimard, le Seuil, Julliard ne reculèrent pas à "débaucher" ! ]...Il continua son existence durant , à se battre contre les épreuves les plus âpres...

"17 mai 1938
[...] Mon engagement doit être absolu. C'est ainsi que je conçois mon travail. L'écrivain doit écrire, l'éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limite à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps. " (p. 76)

Merci , en tout premier à Kaouther Adimi, qui nous offre une lecture éblouissante sur un personnage admirable...L'émotion est démultipliée puisque l'auteur est née à Alger, fait revivre une figure emblématique de la ville et remet en mémoire la très douloureuse histoire de son pays.. et ...comble des belles "coïncidences"... , celle et pas des moindres rejoint la devise d'Edmond Charlot choisie à la création de sa petite librairie-édition, "lieu crée par des Jeunes, pour des jeunes !"... Il reconnaissait lui-même qu'elle était un peu prétentieuse, mais il l'a conservée !

Donc un très bel hommage très réussi , rédigé par une "jeune auteure" !....
L'ouvrage est complété par des éléments bibliographiques avec lesquels Kaouther Adimi a travaillé, avec en plus des rencontres avec "les copains de Charlot" !, les précieuses publications des éditions Domens... autour du libraire-éditeur, ouvrages que je vais aller voir de plus près... Car je n'ai acquis seulement que son catalogue d'éditeur, publié par eux... [ il y a qq années !]



[N.B.
Une petite parenthèse personnelle, car à cette lecture, les images et les souvenirs reviennent avec une grande émotion: des années durant, je commandais des ouvrages épuisés à qq libraires d'ancien de "province", dont "Le Haut Quartier" à Pézenas, où je recevais les ouvrages et les courriers de la part d'une dame, Marie-Cécile Vène... Il m'a fallu qq temps pour apprendre que c'était la librairie qu'Edmond Charlot avait recréé en revenant en France, en 1962, après le saccage absolu de sa librairie, Les "Vraies Richesses"... En 2005, l'occasion m'a été donnée d'aller découvrir ce lieu. Un moment magique de discussions, d'échanges
avec Marie-Cécile Vène, qui m'apprenait parallèlement la fort triste nouvelle du décès d'Edmond Charlot, peu avant [ 2004]... Je n'aurai pas eu le plaisir de rencontrer ce "grand Monsieur"... mais curieusement, j'aurais été parmi ses clientes fidèles... anonymes, pendant plus de quinze ans !! ]
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Kaouther Adimi nous emmène en terre algérienne des années 1930 à nos jours, sur les traces d'Edmond Charlot. Pour son troisième roman, Nos richesses, cette jeune auteure lauréate du Prix Renaudot des Lycéens 2017, réussit un très beau portrait de cet amoureux des lettres et des livres qu'était Charlot.
Cet homme un peu oublié qui a pourtant consacré sa vie à la littérature, malgré de faibles moyens et les obstacles rencontrés méritait amplement ce très bel hommage.
Ce roman se compose de deux récits : celui d'Edmond Charlot sous la forme d'un journal si bien écrit qu'on le croirait réel et celui de Ryad, l'un parlant du passé, l'autre du présent.
En 1936, sur les conseils de son professeur de philosophie, Edmond Charlot crée une librairie : « Ce sera une bibliothèque, une librairie, une maison d'édition, mais ce sera avant tout un lieu pour les amis qui aiment la littérature et la Méditerranée. » Il nommera ce lieu « Les vraies richesses » en hommage à Jean Giono et avec son autorisation et son slogan sera : « Des jeunes, par des jeunes, pour des jeunes. » Charlot sera entre autre le premier éditeur du jeune Albert Camus, inconnu à l'époque pour « Révolte dans les Asturies ».
Ryad, quant à lui, étudiant-ingénieur, arrive à Alger pour faire un stage manuel. Il est chargé par l'ami de l'ami de son père de vider, détruire les livres, nettoyer et repeindre justement cette fameuse librairie qui a été transformée depuis en bibliothèque par l'État. le nouveau propriétaire a décidé d'en faire un restaurant ! Les beignets remplaceront les livres… Mais la tâche ne sera pas si facile que cela à réaliser car Abdallah qui était préposé au prêt, « le vieux gardien des lieux », et tous les habitants du quartier veillent et sont décidés à protéger ce patrimoine.
J'ai été emportée par ce roman très attachant, plein de poésie, de douceur et aussi d'humour. Ce livre décrit en même temps des faits d'une extrême violence avec les premières révoltes, la guerre, la décolonisation. Il n'est également pas dénué de nostalgie.

C'est un véritable hymne à la littérature, aux livres, à la peinture, à l'art en général et à la culture. Impossible pour celle ou celui qui aime lire de passer à côté de ce splendide ouvrage.

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Jules Roy a dit de lui dans ses Mémoires barbares : " ... Charlot fut un peu notre créateur à tous, tout au moins notre médecin accoucheur. Il nous a inventés ... engendrés, façonnés, cajolés, réprimandés parfois, encouragés toujours, complimentés au-delà de ce que nous valions, frottés les uns aux autres, lissés, polis, soutenus, redressés, nourris souvent, élevés, inspirés. "

Edmond Charlot, un jeune homme de vingt et un ans à peine, qui en 1935 ouvrit à Alger une librairie pour éditer, prêter et vendre les oeuvres de jeunes auteurs méditerranéens. Albert Camus, un de ses camarades de classe de Khâgne, Jules Roy, mais aussi Max-Pol Fouchet, Albert Cossery, Emmanuel Roblès, Mouloud Mammeri, et bien d'autres sont de ces écrivains qu'il publia et furent ses amis.

Éditeur de la France libre durant l'Occupation, Edmond Charlot fut, jusqu'au milieu des années 1950, l'un des personnages importants de la littérature française ; jusqu'à ce que les difficultés financières l'obligent à abandonner Les Vraies Richesses, sa chère librairie algérienne, puis, quelques années plus tard, sa maison d'édition parisienne.

Roman historique et inspiré sur le passé douloureux de l'Algérie et des Français, Nos richesses raconte, avec talent et empathie, une histoire passionnante. On y découvre un ami de la littérature, des écrivains et des livres, à travers le voyage fictionnel à Alger de Ryad - jeune stagiaire chargé en 2017 de liquider la librairie Les Vraies Richesses - et des extraits sobres et émouvants du journal d'Edmond Charlot.

Dans la vieille demeure occitane où il a fini sa vie, Edmond Charlot était devenu presque qu'aveugle, " ce qui l'attristait énormément car il ne pouvait plus lire ni écrire des lettres à ses amis. " Après sa mort, il a été incinéré et ses cendres ont été dispersées dans la Méditerranée, son " chez-lui. "
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D'emblée, l'auteure prend le lecteur par la main, et guide ses pas dans les rues d'Alger, en 2017, face au soleil, passant devant les boutiques, la Casbah, l'imprégnant des couleurs, pour arriver devant ce qui fut la librairie « Les Vraies Richesses ».

Certes, la librairie n'existait plus en tant que telle depuis les années 90, reconvertie en une bibliothèque, gérée par Abdallah, un vieil homme qui veillait jalousement sur les livres. A son grand dam, elle va être vendue et transformée en commerce de beignets, tâche confiée à Ryad, jeune homme qui arrive de France pour un stage de formation qui va consister à faire place nette…

Le décor est planté et l'auteure va nous raconter l'aventure de cette librairie, bibliothèque, maison d'éditions, alternant les récits de Charlot, ses carnets précieux et l'opération de grand nettoyage de Ryad et l'Histoire.

Kaouther Adimi nous donne la liste impressionnante de tout ce dont il doit se débarrasser : des milliers de livres d'auteurs français, étrangers, en arabe, des livres pour enfants, des ouvrages scientifiques, les meubles, les photos… mais aussi les manuscrits, les correspondances précieuses avec les auteurs que Charlot a publiés…

Le simple fait de la lire m'a fait frissonner, (je dirais même crier intérieurement au scandale) car jeter un livre pour moi est un sacrilège ! Alors un tel trésor !

J'ai beaucoup aimé suivre le parcours d'Edmond Charlot (que je ne connaissais pas, je le reconnais) dans la création de sa librairie « Les vraies richesses » avec peu de moyens, beaucoup de travail et d'opiniâtreté, la manière dont il prend soin de ses auteurs comme de ses lecteurs, ou déniche de nouveaux talents, les coups bas, la censure, les difficultés à trouver du papier pendant la guerre, sans oublier sa revue « L'Arche » …

Il veut créer un espace ouvert aux lecteurs et aux écrivains de tous les pays de la Méditerranée, « gens d'ici, de cette terre, de cette mer, sans distinction de langue ou de religion ». Il soigne la présentation, la couverture, introduit le rabat où l'on peut lire le résumé du roman, sans oublier son catalogue recherché.

Certaines réflexions résonnent étrangement tant elles pourraient être énoncées de nos jours, telle celle-ci, écrite le 17 décembre 1938

« Aujourd'hui encore, des clients intéressés uniquement par les derniers prix littéraires. J'ai essayé de leur faire découvrir de nouveaux auteurs, de les inciter à acheter l'Envers et l'Endroit de Camus, mais totale indifférence. Je parle littérature, ils répondent auteurs à succès. » P 79

On rencontre des auteurs qui ne sont pas encore célèbres, Albert Camus fumant une cigarette devant la porte de la librairie, Jules Roy, Vercors, Max-Pol Fouchet, Himoud Brahimi, Kateb Yacine, Emmanuel Roblès, Saint-Exupéry

« Au fond, face à l'entrée trône un bureau en bois massif. Des photos en noir et blanc sont accrochées un peu partout. Ryad déchiffre les noms sous les portraits d'hommes dont la plupart lui sont inconnus : Albert Camus, Jules Roy, André Gide, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Emmanuel Roblès, Jean Amrouche, Himoud Brahimi, Mohamed Dib… » P 48

Le personnage d'Abdallah est très intéressant aussi ; émouvant lorsqu'il surveille ce qui se passe lors de l'opération nettoyage, debout sous la pluie, revêtu d'un drap blanc, tel un linceul. Il est la mémoire vivante du lieu, et respecte les livres, même s'il ne les lit pas.

Kaouther Adimi raconte de fort belle manière l'histoire de la librairie en la mêlant à l'Histoire : celle du pays avec le centenaire de la colonisation en 1930, la seconde guerre mondiale où les Indigènes sont envoyés au combat comme les autres, et la manière dont ils sont accueillis au retour, les massacres de Setif, la Toussaint rouge, et ce qu'on appellera « les évènements d'Algérie », le mot guerre étant encore escamoté…

J'ai beaucoup aimé ce voyage dans l'Histoire et la Littérature, et la petite histoire dans la grande et l'auteure m'a donné envie d'en avoir davantage, et de découvrir plus en profondeur les auteurs algériens que je connais trop peu.

L'auteure a passé « un an à écumer les fonds d'archives », comme elle dit, pour nous offrir un roman riche et bien écrit, que j'ai eu du mal à lâcher, un de mes préférés de cette rentrée littéraire 2017.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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C'est à travers le regard de trois hommes que Kaouther Adimi fait revivre une minuscule librairie, serrée entre une pizzeria et un marchand de légumes dans une ruelle d'Alger.
En ouvrant « Les vraies richesses » dans les années 30, Edmond Charlot, libraire, imprimeur et éditeur a voulu partager sa folle passion pour les livres.

Au fil du temps, la librairie, devient une bibliothèque de prêt, faute d'acheteurs. Abdallah, le nouveau maître des lieux n'aime pas lire, mais les livres sont un trésor qu'il doit protéger.

En 2017, lorsque Ryad à son tour investi l'endroit, c'est pour faire le vide, débarrasser, donner où jeter les vestiges d'un temps révolu.

En découvrant par hasard cette petite échoppe, lors d'une promenade à Alger, l'auteure a été intriguée par ce lieu étrange et a fait des recherches sur son créateur Edmond Charlot.
Les carnets qu'elle a retrouvés et son imagination ont donné corps à un personnage hors du commun qui deviendra au fil des années l'ami et confident de Camus, d'Emmanuel Robles où de Jean Giono.

Dès les premières lignes, je me suis laissée envoûter par une écriture aussi élégante que précise. En nous faisant découvrir Alger l'auteure nous invite dans des ruelles baignées de soleil où le bleu du ciel rejoint celui de la mer. Tous les sens sont sollicités dans une ronde de senteurs et de sons.

Chaque personnage de cette histoire vraie, en grande partie, est brossé avec beaucoup d'application et une grande sensibilité.
L'immersion dans le monde de l'édition m'a passionnée et j'ai aimé suivre Edmond Charlot, dans ses succès mais aussi dans ses terribles moments de doute et de découragement.
Outre l'hommage au monde des livres, de l'édition et des libraires, ce livre est aussi une chronique du temps qui passe, il s'en dégage beaucoup de nostalgie.

Kaouther Adimi signe un très beau roman peuplé des fantômes de grands écrivains.
Je garderai longtemps en mémoire l'image de Saint-Exupéry, assis sur un trottoir fabriquant de petits avions en papier de chocolat pour des enfants hurlant de rire sous un soleil éclatant.

Un coup de coeur !
J'ai lu ce roman dans le cadre de l'opération lancée par Lecteurs.com "Les explorateurs de la rentrée littéraire". Merci à eux.
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Un livre qui a pour terrain de jeux Alger… L'Alger des années 30 à 60, le réel, celui d'Edmond Charlot, premier éditeur et ami de Camus… L'Alger de 2017, celui fictionné par Kaouther Adimi… Comment ce livre peut-il être entré dans ma vie alors que cet Alger y était entré cinq ans avant en 2017 justement… L'année où j'ai découvert Alger, l'année où j'ai cherché à retrouver les maisons de Camus à Alger, celle de sa mère où il a grandi… celle qu'il a lui-même racheté, dans la même rue de Lyon, aujourd'hui rue Belouizded… Je me rappelle cette ballade, cette quête immobilière avec mon épouse dans cette rue, cette rencontre avec des Algérois devant la maison de sa mère, qui nous racontent des tournages de film devant cette maison… la rencontre avec le bijoutier qui a sa boutique en bas de la maison de Camus, les discussions sur le trottoir autour des regrets que la maison ne soit pas devenue un musée, sur la place que n'a pas su donner l'Algérie à son enfant qui a quand même obtenu le prix Nobel… mais chut, on pourrait nous entendre nous plaindre du gouvernement… Toute cette belle journée… et savoir maintenant que je suis passé sinon dans la rue (rue Hamani aujourd'hui anciennement Charasse) au moins juste à côté puisque notre hôtel était proche de la place de la Grande Poste, non loin de la gare où nous étions arrivés… juste à côté de cette librairie où Camus s'asseyait sur le pas de porte pour écrire ces premiers mots d'écrivain… J'ai tant raté ce pèlerinage au moment même où Kaouter Adimi l'écrivait !


J'ai donc pris un plaisir immense à cette lecture, ce joli patchwork mené de main de maître par une jeune auteure, qui sait par son personnage principal que la valeur n'attend pas le nombre des années, puisque Charlot a fondé cette librairie-bibliothèque-maison d'édition à 21 ans. On passe facilement de l'Alger de l'époque à celui d'aujourd'hui, de cette librairie de légende à cette fermeture et ce remplacement par une boutique de beignets. L'auteure parvient à retracer l'Histoire complexe de l'Alger de l'Occupation comme de celui des luttes pour l'indépendance, jusqu'à même évoquer la décennie noire, tout cela avec un témoin tellement plongé dans ses soucis d'éditeur et de manque de moyens financiers mais aussi de moyens bassement matériels (plus de papier, plus d'encre) que l'Histoire n'est presque qu'accessoire. L'intelligence du choix du journal fictif de son personnage, le joli duo Abdallah-Ryan de 2017, le vieux dernier gérant de la librairie face au jeune ingénieur chargé lors d'un stage de débarrasser sans état d'âme cette librairie pourtant si pleine d'histoire ; le « nous » lancinant des témoins du quartier, ces Algériens spectateurs de l'Histoire comme de cette histoire, qui nous embarquent du coup avec eux dans ce « nous » inclusif et nous font traverser tant d'émotions.


Un petit bijou qui réserve des surprises jusqu'au bout du récit, une pépite de moins de 200 pages où l'amour des livres et de ceux qui les font vivre, libraires, bibliothécaires, éditeurs engagés, suinte de chaque mot.
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Que dire de ce livre très remarqué lors de la rentrée littéraire 2017, après déjà une trentaine de critiques sur ce site ? Des critiques souvent élogieuses, et à juste titre.
C'est le premier roman de Kaouther Adimi que j'ai découvert, je n'ai pas encore lu les précédents romans. Dès les premières lignes, dès les premières pages, j'ai été conquise. Conquise par cette évocation d'un pays que pourtant je connais peu et mal, dont je connais mal l'histoire, l'Algérie. Conquise par l'évocation touchante d'Edmond Charlot, amoureux des livres, que nous allons suivre sur des années par ses carnets, son journal fictif, toujours instructif. L'homme, passionné et passionnant, libraire, éditeur, ami avec tout un cercle d'éditeurs et d'auteurs, va se battre sa vie durant pour sa passion, les livres. Passeur de livres, il mentionne à plusieurs reprises, pendant la Seconde guerre mondiale, le manque cruel de papier ! Lui qui est éditeur cherche mille stratagèmes pour continuer à publier, et quand c'est impossible, en libraire et passeur, il cherche à acquérir des livres pour les revendre. Toujours réunir des auteurs, repérer de bons auteurs dont il publiera les textes dès que possible ... Quête d'un idéaliste, car l'homme est un passionné et un idéaliste. Passionnant !
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Ce que j'ai aimé ces pages ! Ce que j'ai aimé cette invitation à découvrir Alger et cette vieille librairie. Ce que j'ai aimé cette écriture si douce et si puissante aussi qui vous prend, vous enserre comme une liane depuis les pieds jusqu'à la tête. Vous voilà engluée dans cette histoire mais cet emprisonnement n'est que bonheur malgré cette sale guerre dont encore aujourd'hui on parle à demi mots, que l'on qualifie encore d'événements.

Merveilleuse auteure qui sait si bien créer une intimité certaine avec son lecteur, qui vous conte une histoire d'aujourd'hui, celle de Ryad venu débarrasser une vieille librairie de ses encombrants livres et en même temps qui soulève doucement le drap jeté sur la guerre d'Algérie pour vous en montrer les ignominies mais avec délicatesse. C'est tellement surprenant cette façon de mêler le doux et le brutal.

Mais c'est aussi l'histoire, dans les années trente, d'Edmond Charlot. Un personnage ce Charlot, libraire, imprimeur et éditeur, passionnant et passionné, prêt à tout pour faire connaître les premiers écrits des auteurs qu'il a dénichés (Albert Camus, Jules Roy...). On sent qu'il les aime, qu'il les protège, qu'il les place au devant de la scène. Et cet amour est valable pour ses clients-lecteurs auxquels ils prêtent les livres quand ceux-ci n'ont pas les moyens de les acheter. Avec quelle abnégation il remplit sa mission, son sacerdoce.

Cette lecture m'a enchantée. J'y ai découvert une belle mais difficile vie, vécue sous des temps troublés. Mais surtout j'ai fait la connaissance d'une écrivaine pleine de sensibilité et de talent.

Lien : http://mes-petites-boites.ov..
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Pas de critique structurée, juste quelques réflexions…
- Après la lecture de ce livre qui reste un roman, ne pas être tenté de vouloir réécrire l'Histoire, ne pas faire d'uchronie stérile, avoir l'honnêteté de reconnaître que le chancre horrible qui ravagea l'Algérie au siècle dernier, est né de contrevérités, de discours fallacieux, de mensonges récurrents, d'une politique inadaptée, inique, creusant une plaie putride, qui se transforma en cancer, condamnant à mort , sans rémission possible, ses victimes, pour la plupart innocentes sans les distinguer : Indigènes, Arabes, Européens, musulmans, juifs, catholiques, athées, civils et jeunes recrus…
- Les impacts de balles qu'on peut apercevoir en déambulant dans Alger, (page 10) sont des vestiges d'avant juillet 1962, peut- être certains résultant de la fusillade rue d'Isly, du 26 mars, de cette même année, et ceux aussi plus tardifs de la décennie noire, balles qui fauchèrent « syndicalistes, artistes, militaires, enseignants, anonymes enfants », car malheureusement cela fait « des siècles que le soleil se lève au-dessus des terrasses d'Alger et des siècles que nous assassinons sur ces mêmes terrasses ».
- Il faut voir dans « Nos Richesses » comme un trait d'union entre les générations, celle du vieux Abdallah, el hadj , et celle de l'étudiant Ryad, une passerelle qui se doit tolérante, fraternelle, reliant les deux rivages de la Méditerranée , un pont, pour accéder à l'autre rive, celle qui offre , par l'entremise des livres la vraie richesse : la culture, mais une structure solide pour supporter le poids car « un homme qui lit en vaut deux »!
- En fait, les deux hommes attablés chez Saïd ont bien raison, le gouvernement ajoute quelque chose à la nourriture avec des substances interdites qui ramollissent effectivement le cerveau, drogue non pas du violeur mais celle de l'inculture, de l'abêtissement, ôtant toute envie d'ouvrir le moindre livre, sans livre, on ne réfléchit pas, l'ignorance rend docile !
- Nostalgie, émotion, bonheur aussi de retrouver cette kyrielle de personnages qui me sont chers : Camus, bien sûr, (que Kaouther décrit, comme il se doit, la cigarette aux lèvres, une Bastos ?) , Grenier, Roblès l'oranais, Bosco, Senac, Jules Roy, Mohamed Dib, Mouloud Ferraoun, Kateb Yacine et tant d'autres, et bien sur Edmond Charlot, celui qui créa dans un espace minuscule ce « cabinet de lecture, lieu d'exposition, siège d'une librairie, mais surtout cette officine de propagande de la culture méditerranéenne ».
- Encore quelques mots :La rue Charras (du nom d'un militaire envoyé en Algérie à titre de répression compte tenu de ses opinions républicaines et mort en exil à cause de son hostilité envers l'Empire ) est devenue Hamami en l'hommage à ce boxeur champion d'Afrique des super welters de boxe anglaise en 1976, un militaire , fait place à un sportif…
- Et puis enfin, si cet espace se transformait réellement en une échoppe vendant des beignets (zlabia, griwech…) elle ne pourrait que ressembler, étrangement à celle que décrit Camus dans le Premier Homme : une petite boutique de beignets arabes avec « sur un des côtés, un foyer, dont le pourtour est garni de faïences bleues (assorties à la couleur du local théoriquement repeint par Ryad) et blanches sur lequel chante une énorme bassine d'huile bouillante… »
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Adimi, Zeniter, une nouvelle génération parle de l'Algérie. La précédente était celle des enfants ou petits enfants de colons qui retournaient sur place pour comprendre un passé qui leur échappait (mon préféré, dans le genre est « Les ombres de Boufarik » de Olivier Chartier). Cette génération-ci est composée de jeunes femmes aux racines algériennes qui n'ont pas connu la guerre, ni même la décennie noire, où elles en étaient juste à apprendre à marcher. D'où un regard nouveau, libéré de toute propagande, passionnant car sans préjugé ni haine. Toutes deux reviennent en historiennes sur la période coloniale, tout en se cantonnant l'une et l'autre dans l'écriture romanesque. Zéniter aborde la question douloureuse des harkis, Adimi revient, elle, sur une aventure passionnante, grosso modo à l'époque de la seconde guerre mondiale : la librairie et maison d'édition d'Edmond Charlot, à Alger, connu comme le premier éditeur de Camus. (Mais pas seulement : éditeur de la France libre, il fut aussi, entre autres, le premier éditeur du "Silence de la mer" de Vercors).
L'écriture est belle, la fiction est maîtrisée, avec au moins trois points de vue : celui de Charlot, à qui Adimi prête un journal, celui, prétendument contemporain de Ryad, venu vider la librairie pour qu'elle soit transformée en boutique de beignets (!) et d'Abdallah, le vieux gardien du temple, qui assiste désespéré à la destruction de tout ce qui fut sa vie, et puis un « nous » anonyme, non-personne du narrateur, qui parcourt les rues d'Alger.
Revit ainsi cet homme passionné qui à partir de rien, une boutique minuscule de 4 sur 7 m, l'emprunt de quatre sous à tous ses amis et une volonté de fer a créé cette littérature franco-algérienne libre des années 1937 à 1962. Un hymne aux livres et à la littérature. Kaouther Adimi, chemin faisant, fait revivre l'histoire de ces années de braise, avec, parfois, des élans douloureux, comme ses pages sur le 17 octobre 1961, mais le plus souvent sans hargne, sans esprit de revanche.
Sereine. La vie est devant elle, l'Algérie en devenir aussi.
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