Ordres de tuer

ORDRES DE TUER : LES TÉLÉGRAMMES DE TALAAT PACHA ET LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN

Depuis un siècle la Turquie rejette le génocide Arménien sous prétexte qu'il n'y a aucune évidence documentaire !
Ça y est : L'historien turc, Taner Akçam, vient de publier, le 23 janvier 2018, un ouvrage basé sur des télégrammes du ministre de l'intérieur de l'époque, Talaat Pacha, qui prouve que la liquidation des Arméniens a bel et bien été organisée et ordonnée.

L'auteur, en fuite depuis des années de son pays natal, où il s'était évadé de prison, est professeur au Centre pour l'étude de l'holocauste et des génocides de l'université de Minnesota. En 2006, il avait publié son oeuvre capitale : "Un acte honteux : le génocide arménien et la question de la responsabilité turque". Maintenant, à l'âge de presque 65 ans, ce chercheur infatigable, surnommé par le New York Times "le Sherlock Holmes du génocide ", peut se vanter d'apporter enfin cette évidence documentaire. Couronnement d'années d'efforts pour une page d'histoire hautement tragique.

La question qui se pose bien sûr est comment le vizir Iznogoud-Erdogan et sa clique vont réagir devant ces preuves irréfutables. Interrogé par la presse, cet éminent historien a déclaré qu'il ne se fait guère d'illusions, mais qu'il est curieux d'apprendre quelles fables ils vont inventer à Ankara à présent ! D'ailleurs, le parallèle qu'il voit avec le sort que cet horrible Erdogan réserve actuellement aux Kurdes, une autre minorité ethnique, religieuse et culturelle, ne laisse rien présager de bon.

Pour situer cette découverte, un bref retour en arrière s'impose.

Au début du siècle dernier un mouvement nationaliste, connu sous le nom de "Jeunes-Turcs", a renversé le sultan ottoman, Abdülhamid II, et prit le pouvoir. Très vite, ce pouvoir a été concentré entre les mains d'un triumvirat de 3 pachas : Enver, Djemal et Talaat. C'est ce dernier pacha qui nous intéresse tout particulièrement ici.

Talaat Pacha (1874-1921) est originaire de Kardzali, la capitale des Turcs de Bulgarie. Grâce à son père, un général, il a pu faire des études. Jeune il rejoint les Jeunes-Turcs et devint ministre de l'intérieur en 1909 et un nationaliste de plus en plus fanatique. À l'ambassadeur américain Morgenthau, il explique ses vues sur les Arméniens : ils se sont enrichis sur le dos des Turcs, ils veulent créer un état indépendant et ils ont aidé nos ennemis, entre autres les Russes. "Nous avons pris la décision irrévocable de les rendre impuissants". Il s'est bien gardé de spécifier qu'il s'agissait, en fait, d'une élimination physique, soit en donnant des ordres à ses troupes de les fusiller, soit de les envoyer dans le désert de Méposotamie, où ils ne pouvaient survivre. Les scandaleuses marches de la mort direction Alep en Syrie.

Dans un télégramme de Talaat Pacha du 22 septembre 1915, on peut lire : "Les droits des Arméniens au sol turc ont expiré. Pas un Arménien ne doit rester, même pas le nourrisson dans son berceau. le gouvernement assume toute responsabilité pour cette situation".
Une semaine plus tard, dans un autre télégramme, Talaat précise : "Les autorités, sous l'ordre du Comité Union et Progrès (le nom officiel des Jeunes-Turcs), ont décidé d'exterminer tous les Arméniens en Turquie. Sans distinction entre femme, enfant et invalide, leur existence doit être terminée, peu importe l'horreur des méthodes employées et sans écouter sa conscience".

Lire à ce propos l'excellente oeuvre littéraire de Franz Werfel : "Les 40 jours du Musa Dagh", que je recommande absolument pour pouvoir se donner une idée concrète de cette horreur.

Condamné par une Cour martiale turque à mort pour génocide, en 1919, mais, hélas, par contumace, car Talaat et les 2 autres pachas et potes avaient pris la fuite en Allemagne. C'est à Berlin, 2 ans plus tard, qu'il fut tué par un rescapé arménien.

À la fin du XIXe siècle, la population arménienne comptait quelque 2,5 millions membres. le génocide a eu lieu en 3 phases : 100.000 morts entre 1894-1896 ; 20.000 en 1909 et à peu près 700.000 en 1915.

À présent, 29 pays ont reconnu officiellement que le traitement des Arméniens par les Turcs constitue effectivement un génocide, parmi lesquels pratiquement tous les anciens pays de l'Union européenne (sauf la Finlande, le Danemark, l'Espagne et le Portugal). Manquent à l'appel cependant : la Grande-Bretagne et les États-Unis !

En toute logique, le gouvernement turc devrait clôturer tout de suite le Mausolée Talaat à Istanbul. Rebaptiser le quartier qui porte son nom dans cette ville, ainsi que les boulevards Talaat à Ankara, Izmir et Edirne !
Et surtout ne pas oublier d'abroger le fameux article 301 du code pénal qui interdit toute mention du génocide arménien. Article infâme qui a causé des problèmes au plus grand écrivain et Nobel turc, Orhan Pamuk, et contribué à la mort violente de l'éditeur et auteur de "Deux peuples proches, deux voisins lointains : Arménie-Turquie", Hrant Dink, tué par un autre nationaliste de 17 ans, en 2007 !

Mais s'il faut compter sur le grand humaniste au pouvoir en Turquie, je crains qu'il faille s'armer d'une colossale patience. Sans prétendre être clairvoyant, je crois qu' il y a de fortes chances que l'assassin de Hrant Dink sera libéré pour bonne conduite bien longtemps avant !

Travail considérable et très important contre les négationnistes