Il arrive parfois qu'un texte prenne une signification tout à fait différente selon l'époque dans lequel on le lit.
La publication par les éditions du Passager Clandestin de la nouvelle
37° centigrades de l'auteur italien
Lino Aldani n'a d'ailleurs rein d'innocente en pleine période d'épidémie Covidesque et de mesures sanitaires à n'en plus finir.
Écrit en 1963,
37° centigrades imagine une Italie du futur où le citoyen doit se conformer aux règles sanitaires établies par la CMG, une société privée qui gère la santé et qui impose ses lois aux gens cotisant chez eux. Les conventionnés, comme on les appelle, doivent suivre des normes très strictes (et souvent absurdes) comme porter en permanence un thermomètre sur eux pour vérifier leur température et prévenir tout signe précoce d'infection. Interdit également de trop fumer ou de trop boire, d'ouvrir la fenêtre d'un hélibus en plein vol pour aérer ou d'oublier son gilet de corps avant de sortir.
Nico, l'un de ces conventionnés, en a ras-le-bol de ces obligations et de la cotisation qu'il paye à la CMG l'empêchant tout simplement d'acheter ce qu'il désire, notamment l'un des magnifiques levacars qui sillonnent Rome.
Par esprit de révolte ou pour prouver qu'il peut se passer des normes sanitaires, Nico se déconventionne. Mais que se passe-t-il si l'on tombe malade dans ce monde où l'utopie sanitaire a viré à la dystopie ?
Critique du système en 1963…
Lino Aldani offre une réflexion sur le système de couverture médicale dans une Italie qui, à l'époque, se repose principalement sur des systèmes d'assurances privées pour assurer la prise en charge des frais médicaux.
La CMG devient ici une proto-sécurité sociale mais sur un plan strictement privé, semblant avoir pris le pas sur toute autre initiative d'état au point que ni le gouvernement ni le citoyen n'arrive plus à s'en dépêtrer.
Pourtant, l'idée n'était pas mauvaise et semble, au contraire, avoir mutée en cours de route à cause des abus engendrés par une utilisation excessive et inconsidérée par l'usager de santé mais aussi du fait de la vénalité/corruption du système.
Dans un univers qui rappelle le meilleur des mondes ou encore 1984, Nico se rebelle contre un système totalement asphyxiant…mais qui est aussi devenu indispensable !
La question philosophique et éthique derrière ce récit, c'est bien le « tout ou rien » souvent rapporté dans l'histoire des systèmes capitalistes une fois confronté à la problématique du soin. En bref, si vous ne payez pas, vous n'êtes pas soignés. Logique de prime abord mais, lorsque l'investigation et les normes vont trop loin, que faire ?
Lino Aldani plaide ici pour un juste milieu et un contrôle de ce genre de couverture qui ne soit pas assuré par des organismes privés à but lucratifs.
La mésaventure de Nico démontre à la fois le caractère indispensable d'un système de prévention efficace et de soins raisonnés mais également la nocivité d'un mode de vie capitaliste où l'on ne distingue plus les campagnes de prévention des pubs commerciales.
Entre les lignes,
Lino Aldani décrit la folie automobile qui s'empare de l'Italie à l'époque et de la fascination de l'homme moderne pour la possession d'un tel engin. Délicieusement désuet en somme.
… échos des années 2020
Pourtant, cette nouvelle interroge aussi sur les limites de la coercition autour d'un sujet sanitaire qui effraie à juste titre. Bien que le sujet de
Lino Aldani n'ait pas du tout été celui du Covid à l'époque,
37° centigrades entre en résonnance avec notre époque ultra-sanitaire par nécessité.
L'obsession du citoyen pour la santé peut vite devenir un prétexte pour n'importe quoi et le récit de Nico oscille entre le complotisme et la méfiance anti-gouvernementale actuelle du fait des restrictions sociales, de la nécessité d'une prévention au moins minimale et d'un système robuste pour éviter de se retrouver soigner par un médecin aux moyens ostentatoirement insuffisants.
Drôle d'écho donc pour cette aventure qui convoque dystopie sanitaire et réflexion sur notre propre définition de la bonne santé.
Peut-on éthiquement priver de soins une personne qui s'est fourvoyée ? Peut-on imposer des contraintes tellement gigantesques qu'elles empêchent la vie ordinaire de tout un chacun ?
Autant d'interrogations qui méritent une nouvelle lecture de ce texte franchement perturbant…
Une dystopie sanitaire et une véritable réflexion sur l'importance d'une prévention détachée des intérêts financiers,
37° centigrades passionne et interpelle le lecteur jusqu'à son épilogue glaçant.
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https://justaword.fr/37-cent..