Le seul petit problème quand on lit un chef-d'oeuvre c'est qu'on peut se demander quoi pouvoir bien lire après lui. Par contre, le même chef-d'oeuvre fait aussi qu'on ne pense pas plus à hier qu'a demain, on est dedans, à chaque mot, on part, juste ralentissant aux virgules, reculant la fin. Alors là, « présent » veut dire aussi « cadeau ».
Un ami, ancien excellent libraire, me l'offre en me disant juste « chef-d'oeuvre ». Je n'ai que ça à dire aussi. Publié avant les années 30, le style et les idées y sont d'une modernité surprenante. C'est le livre d'une colère lucide et jamais apaisée contre la pudibonderie, l'absurdité des moeurs et des pensées victoriennes vis à vis de la femme, de l'art, de la sexualité, et de toute forme de progrès ; un cri féroce contre la guerre (14-18 vécue au front). C'est un roman politique et philosophique qui est au-dessus des partis et des idées convenues. Un hymne à la liberté, la jeunesse d'esprit et à la culture qui restera d'actualité tant que la bêtise sera au programme de ceux qui veulent nous digérer plus encore que diriger. Aldington le poète, désavoué des milieux littéraires britanniques et amoureux de la France avait décidé de terminer en solitaire sa vie dans un petit village où il était autant respecté qu'aimé... oui, respect, hommage, Great Man.
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Mais contre quoi combattaient-ils en réalité ? Quels étaient leurs véritables ennemis ? Clairement, dans un flot d'amertume, il perçut la réponse. Leurs ennemis, les ennemis des Allemands aussi bien que des Anglais — c'étaient les imbéciles qui les avaient envoyés se tuer les uns les autres au lieu de s'entraider. Leurs ennemis, c'étaient les fourbes, les gens sans scrupules ; les faux idéaux, les idées stupides avec lesquels on les bernait ; le mensonge, l'hypocrisie, la bêtise. Si ces soldats symbolisaient quelque chose, alors rien n'était essentiellement faussé dans l'humanité ordinaire, du moins en ce qui touchait les combattants. La direction seule était faussée, non celle de la guerre, mais celle de la paix. On gouvernait les nations par la tricherie et on les sacrifiait à de faux idéaux et à des idées stupides. Il était posé en principe qu'on ne pouvait les gouverner qu'en les dupant : mais si on ne leur avait jamais offert autre chose, comment pouvait-on le savoir ? Déduper le monde. Rien à faire, rien à faire...
Si vous avez l'intention de prouver que l'hypocrisie est nécessaire — c'est le vieil argument des politiques —, brouillons le jeu et rendons les pions; Mais on peut s'en passer. Elle devient nécessaire uniquement lorsqu'on recourt à la fourberie : quand on prétend influencer les gens pour les faire agir contre leurs justes instincts, et leurs véritables intérêts. Si l'on veut juger un homme, une cause, une nation, il faut poser la question : pratiquent-ils le faux semblant, la tromperie, la simulation ? Si la guerre avait été, pour un seul de ses participants, une affaire honnête, on n'aurait pas eu besoin de la tromperie et du mensonge pour la faire avaler.
Les listes des morts et des blessés continuèrent à paraître longtemps encore après l'Armistice, dernières contractions des artères tranchées de l'Europe. Bien entendu, personne ne se souciait beaucoup de les lire, ces listes. A quoi bon ? Les vivants doivent se protéger des morts, et surtout des morts importuns. Mais le vingtième siècle avait eu son printemps cruellement saccagé. Une bonne dose d'oubli s'imposait.
Le monde regorge de tant de choses que je suis convaincu que nous devrions tous vivre heureux comme des rois.
— Le temps passe, dit Georges, que savons-nous du temps ? Des animaux préhistoriques, comme l'ichthyosaure et la reine Victoria, ont gîté, ont couplé, ont mis bas...