Dire encore l’émerveillement face à un paysage, l’impression qu’en lui est résumé l’essentiel de l’existence. Le regard se porte, incessant, sur ce qui le compose : arbres, terre lourde, herbe soyeuse et sur l’horizon qui bleuit avec le ciel. Puis, soudain, le heurt brutal avec la réalité, le temps qui brise l’élan et brouille la vue, la blessure qui s’ouvre, le brouillard nappant ce tableau, s’enfonçant lentement dans les ténèbres, engloutissant celui qui s’était rallié au rêve, par inadvertance.
Que l’on songe à un paysage et aussitôt des images se bousculent, invisibles à l’œil mais tellement présentes….
Dans cette succession, l’autre est toujours le même, un chemin sous le soleil, au loin des montagnes qui voisinent avec le ciel, des sapins, des épicéas : pourtant cet ensemble n’est pas uniforme ni anonyme. Il se rattache à des terres précises, naguère parcourues. Tel est le pouvoir de ces souvenirs dont personne ne sait d’où ils renaissent, pareils à un feu soudain, à un orage imprévisible. Est-ce cela l’histoire de celui qui erre en lui-même afin de ne pas se perdre, de ne pas céder au vide pour que les mots soient ce cours rapide qu’il convient de saisir, de maîtriser ?
Un paysage et rien de plus, avec cette impression d’habiter à distance un royaume pas tout à fait perdu mais hors de portée, accessible seulement en ces instants d’un rappel inattendu.
Un paysage où l’on est prêt à s’aventurer une fois encore à travers les sous-bois de la mémoire.
Ce jardin libère l’enfance de ses liens.
Désormais, tu peux revenir sur ces lieux
heureusement préservés de tout. De ce jardin
s’échappent des couleurs, des senteurs que tu
n’as pas oubliées et qui, en cet après-midi,
t’assaillent de nouveau : il a évincé le temps pour
n’être que présence diaphane et cependant si
tenace au point de mettre à jour le moindre
souvenir qui, tout à l’heure encore, n’était que
tache blanche dans la mémoire.