En 1984, Eric Ambler vivait encore lorsque son roman «Epitaphe pour un espion» a été- republié en France.
Ce «polar» (?) écrit en 1938 est un condensé assez remarquable de la situation politique en Europe à la veille de la seconde guerre mondiale et des courants de pensée qui prévalaient alors dans les principaux pays futurs belligérants.
Le cadre de l'action est la pension de la Réserve à Saint Gatien non loin de Nice, une pension de famille, où séjournent des Américains, des Français, des Allemands, des Suisses, des Italiens, un Tchèque, et des Anglais.
Cette véritable allégorie pleine de tact, de justesse et de précision dans le ton, les dialogues et la psychologie des personnages est servie par le style simple et précis de Ambler.
Le héros, Vadassy, un prof de langue à l'origine indéfinie, dans le sillage de l'après première guerre mondiale, son pays de naissance, a migré de la Hongrie à la Yougoslavie, à l'Italie. Il parle plusieurs langues et exerce la profession de professeur dans un cours privé à Paris.
De fait, il est un Européen avant l'heure, et, c'est là son principal problème lorsqu'il est arrêté par la police française à son arrivée à La Ciotat.
L'arrestation sert de prétexte à transformer Vadassy en informateur de la police niçoise. Parmi les pensionnaires, se cache peut-être un ennemi de la France, un espion pour faire simple.
La tâche de Vadassy n'est pas simple, et les différents pensionnaires ne sont pas toujours ce qu'ils prétendent être.
Hésitant entre plusieurs personnes, Vadassy va aller de déconvenue en déconvenue, son instinct le pousse à fantasmer la réalité ou à sous estimer la nature de certains personnages.
Il n'est pour rien dans l'histoire qui lui arrive mais se voit contraint de procéder aux vérifications qui lui sont demandées non sans enchaîner les bévues et parfois en prenant des initiatives mal venues.
Il fait preuve de réalisme malgré tout, et ne se nourrit guère d'illusions : «Quand un homme se raconte, c'est encore une attitude ; on ne peut pas plus connaître un homme que l'on ne peut voir à fois les quatre faces d'un cube.»
Vadassy préfigure le personnage type de la littérature policière anglo-saxone, le héros malgré lui ou plutôt le non-héros malgré lui.
Saura-t-il défaire l'écheveau dans lequel il se trouve prisonnier :
Duclos, le Français professe un anti-communisme de bon aloi «Si l'industrie retse entre les mains des sans culottes qui nous gouvernent, le système financier de la France sautera et entraînera l'Europe dans sa chute.»
Schimller, l'Allemand dissimulé sous une identité tchèque, fuit les Nazis et a quitté son pays où «(...) la social-démocratie (...) espérait désarmer la force par la bonne volonté et désarmer un chien enragé en le caressant...en 1933, la social démocratie allemande fut mordue et mourut.»
Un livre relu avec le même plaisir 35 ans après une première lecture.
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Venant de Nice, j'arrivai à Saint-Gatien, mardi, 14 août. Je fus arrêté le jeudi 16 à onze heures quarante-cinq du matin par un agent de police et un inspecteur en civil qui m'emmenèrent au commissariat.
De Toulon à la Ciotat, la ligne de chemin de fer sui la côte d'assez près et on à l'occasion, à plusieurs reprises,lorsque le train émerge de l'innombrable série de petits tunnels qui jalonnent la route, d'apercevoir la mer en contrebas.
Un de mes amis qui m'avait parlé de la pension de Saint-Gatien m'en avait vanté l'excellente table ; il avait ajouté que la situation était admirable et qu'on y vivait parfaitement pour quarante francs par jour.
La Réserve, ainsi se nomme cette pension, domine le petit village de Saint-Gatien composé de maisons de pêcheurs badigeonnées de rose, de jaune ou de blanc comme on en trouve sur sur toutes les côtes de la Méditerranée : de l'autre côté de la baie,, des pinèdes descendent jusqu'à la plage et protègent le petit port miniature contre la mistral. La pêche est presque l'unique ressource des villageois. Il y a cinq bistrots, sept magasins et, un peu à l'écart, le commissariat de police.
Mais de l'extrémité où je me tenais ce matin, je ne pouvais apercevoir ni le village ni le commissariat.
Quand un homme se raconte, c'est encore une attitude ; on ne peut pas plus connaître un homme que l'on ne peut voir à fois les quatre faces d'un cube.»
Un de mes amis qui m'avait parlé de la pension de Saint-Gatien m'en avait vanté l'excellente table ; il avait ajouté que la situation était admirable et qu'on y vivait parfaitement pour quarante francs par jour.