Ce roman d'Amila, comme tous les siens, est une véritable machine à remonter le temps...de la nostalgie dans la nostalgie, c'est magique !
« À un antique panneau émaillé, rouillé plus qu'à moitié, où e lisait encore péniblement Veedol, on croyait deviner qu'il s'agissait d'un garage. »
« (…) des ménagères qui allaient au Vini-Medoc ou à la boulangerie voisine. »
« Une inscription à la craie, rougie de rouille, sans mystère, affirmait depuis bien des mois : À bas la calotte ! Des tenants du parti des curés l'avaient subrepticement transformée en un À bas la culotte ! lourd de puissants refoulements. »
Un théâtre social que la lecture fait revivre et dont on se demande encore s'il a réellement existé.
De la couleur, du fond de l'observation comme seul Amila sait le faire.
Mais le clou du roman n'est pas là, même si ces illustrations constituent la sauce et les légumes qui entourent et agrémentent la viande.
À la base de l'intrigue, la rencontre de deux univers qui s'ignorent ou peuvent être amenés à se rencontrer en situation de crise.
L'hôpital et la pègre deux univers où la pesanteur de la hiérarchie bride les initiatives des jeunes loups. Chefs de gang et Mandarins, même combat ! On se demande si Beauvoir n'a pas lu Amila ou l'inverse...
CÔTÉ PÈGRE :
René Lecomte dit le Comte, un malfrat du haut du panier règne sur un empire où il joué la carte de la diversification en bon gestionnaire… « Des dizaines de bars et bordels (...) des vingtaines d'auberges (...) des fabricants de pastis (…) »
« Ce type est milliardaire » bavent ceux qui rêvent de lui succéder.
René est un véritable trompe-la-mort et une autorité crainte. Il partage le pouvoir avec sa maîtresse Maine « Un peu encrouée, solide, mais admirablement bâtie, elle portait toujours la toilette adéquate qui (…) faisait se retourner les hommes…les filles aussi, d'ailleurs, et peut-être davantage. »
Après plusieurs séjours en Amérique du Sud, il fait un retour remarqué à Paris, auréolé de gloire.
CÔTÉ HÔPITAL :
Mme Debrais l'infirmière-chef tance les stagiaires de l'école attenante à l'hôpital : « (…) tâchez de vous tenir convenablement avec les internes (…) ils aiment la chair fraîche ! S'il y a des histoires, ce n'est pas eux qu'on sacquera ; c'est vous !… »
Adeline, Sylvie et Thérèse sont prévenues.
Les internes, « Augereau (…) un grand maigre d'aspect triste. On le disait hautement pistonné et, don, destiné aux premiers rôles. » et Carré, le séducteur, « (…) il revint à la charge et lui pelota « carrément » les fesses. Elle se dégagea (…) Je ne mange pas de ce pain-là ! » Exercent sur les jeunes infirmières l'autorité que le patron leur refuse
« On ne pouvait rien faire sans l'avis du patron, le professeur Duchemin.
L'hôpital des années 1950, les dortoirs, les chambres communes, les soins à l'ancienne avec des recommandations sibyllines des internes laissant la main aux infirmières pour se réfugier dans leur chambre de garde.
« Un centicube de solution camphrée… »
« (…) l'enveloppement de glace pour la typhoïde (…) »
« Enfant 8. En cas extrême (cyanose), un centicube de lobéline. Attention ! Une seule piqure par nuit. »
Et lorsque les jeunes filles respectent les consignes à la lettre, elles ne sont pas exonérées de remontrances pour autant : « À l'usage, vous verrez que c'est un métier qui demande de l'initiative ! »
L'intrigue se déroule dans ces deux milieux où l'autorité tente, avec une réussite relative, d'imposer ses certitudes sur une réalité qui lui échappe. La confusion qui en résulte fait tout le sel de l'histoire. Impatience des internes à remplacer un jour le patron. Révolte des infirmières. Doutes des seconds couteaux quant aux ordres du chef de gang. Les sous-fifres prennent souvent des initiatives heureuses mais, elles n'en sont pas pour autant reconnues.
Comme à son habitude Amila excelle à dépeindre les travers de milieux gangrenés par l'autorité aveugle de ceux qui prétendent détenir le savoir mais en fait ne détiennent que le pouvoir dont ils ont hérité pour la plupart.
LISEZ AMILA !!!