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sur 212 notes
Avouons-le, les desseins étaient ambitieux. Mille ans. Un régime de mille ans, ça ou des prunes, les grands huiles du NSDAP avaient ainsi dressé leur plan usurpatoire. Au surplus ça sera dix ans, et en tractant la bête dans la douleur. Car à force de faire la guerre à tous, de vouloir décimer quiconque n'est pas blondinet aux yeux bleus et à la germanité tout à fait antédiluvienne, fatalement qu'un jour ou l'autre ça allait mal finir. Dieu merci.

Mais quelle charnier ! Il fallait qu'ils en tiennent une sacré couche, le Führer et sa clique, pour faire avaler d'un trait leur vilaine idéologie. Parce que les tops gun du Reich, niveau apparence, pour l'aryanité, c'est du couci-couça chez les gros bonnets : entre Goebbels qui louche de la jambe, Göring le putschiste morphinomane qui change de tenue comme lui prend l'envie de pisser, ou encore Himmler ce binoclard malingre à la mine anémiée, on repassera pour filer le bon exemple question supériorité raciale.

Si j'ai lu quelques livres sur les nazis et la solution finale, celui-ci vous hèle comme un vieux pote dans la rue que vous aviez zappé depuis deux décennies. Vous l'auriez bien esquivé mais une fois dedans, la force de son récit vous prend. Oui, la comparaison est douteuse mais vous captez l'idée générale.

J'ai allègrement allongé mes temps de lecture. Il fallait l'oser, raconter le barbarisme primaire d'Auschwitz sous le prisme d'une ironie poivrée, c'est ce qu'on appelle couillu. La focale est cynique, d'un mordant féroce envers ces nazis qu'on aimerait tous véritables salauds.

À quoi l'auteur apporte de la nuance, il dénude l'idée d'un bloc monolithique de fumiers. Certains suivent le mouvement, perpétrateurs serviles partiellement insensibilisés par les renforts d'un nationalisme omniprésent. Ils se dépêtrent tels de raides contorsionnistes, menant parfois à une forme de dépersonnalisation, parfois à une forme de folie.
D'autres jouent franc-jeu, parfont leur cruauté et s'attaquent sans niaiser à élargir leur pouvoir. Leurs états d'âme sont mis à l'index et balancés à la marge d'un circuit cérébral au fonctionnement abscons.

Le personnage de Doll, directeur d'Auschwitz, résume à lui seul la faillite d'un système léthifère. Les cadences sont infernales, les juifs arrivent trop vite et en trop grand nombre. Que faire de tous ces corps ? Comment augmenter la productivité en maintenant des rations faméliques ?
Ce Doll, sorte de loque avachie, fascine par ses ambivalences lardées de soubresauts virilistes. C'est qu'en plus de la rampe d'arrivée, il doit gérer le naufrage de son couple. Car c'est là toute la tragédie mise en exergue dans le livre ; au milieu de ses fours crématoires, la vie continue presque ordinairement pour ces meurtriers bureaucrates. Alors cet alcoolique désabusé, pas plus fou qu'un autre, même sans doute tout à fait fréquentable dans d'autres circonstances, devient cette ordure débectante au sadisme facile.

Je savais les hauts dignitaires méticuleux dans leurs sottises mais j'ignorais tout de leurs fricassées d'anthropologie raciale, de recherche archéologique et notamment cette délirante théorie de la glace cosmique. Leur cerveau de traviole n'avait de limite que leur machiavélisme sans esprit de retour.
Bref, j'ai beaucoup aimé ce livre où le cynisme est roi. Sous une forme extrêmement satirique et acerbe, l'auteur dresse la déliquescence d'un appareil. Assurément, c'est un bouquin clivant.
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Relu à la faveur de la publicité faite autour du film éponyme sorti il y a peu. J'avais pratiquement tout oublié du contenu de ce livre (il n'est donc pas inoubliable...). Impression de malaise renforcée par le style assez brouillon avec la caricature de nazi veule et dégueulasse qu'est la figure du commandant Doll. Golo Thomsen est l' image même de l'opportuniste , lui aussi assez minable. La Hannah, même si elle s'émancipe de son pochtron de mari et ne cède pas à Thomsen, n'inspire, elle aussi, guère plus que du mépris. Surnage la figure de Schmulz le responsable du sonderkommando, dévasté et obnubilé par le fait de rester un homme et donc de ne pas surtout pas s'habituer. Bref. On n'apprend rien. La mécanique implacable et la déshumanisation à laquelle se sont voués ces parfaits petits nazis chefs d'entreprise est bien mieux rendue dans "la mort est mon métier" de Robert Merle (oh la la , comment je vais gérer toutes ces pièces à gazer/brûler, mince le fournisseur de zyclon B est en retraite sur la livraison).
Bref. Je ne crois pas que j'irai voir le film. Et je vais probablement re oublier La Zone d'intérêt.
Trois étoiles quand même car il ne faut pas, jamais, oublier ce qui a été commis par des humains sur des humains.
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Alors que le film de Jonathan Glazer envahit les écrans, autant se plonger dans le livre pour s'imprégner de l'ambiance. Curieux livre qu'est cette Zone d'intérêt : livre historique, soap-opéra, thriller, horreur, les genres se mélangent pour un résultat inattendu. Martin Amis place quatre personnages principaux au coeur de son intrigue. Ces personnages évoluent (presque) dans le même cercle : un officier SS, le commandant d'un camp d'extermination, son épouse, et un esclave juif qui nettoie les douches à gaz. Quand deux officiers discutent du rendement à faire pour tuer des juifs, des grandes fêtes se mettent en place pour célébrer les résultats des morts. Quand le commandant est malheureux en amour/sexe, il se tape une autre femme et peu importe si elle tombe enceinte. Quand un camion emportant des cadavres s'échoue devant l'arrivée du train, ça fait tâche. Comment mentir aux nouveaux arrivants que tout va bien se passer puisque des corps viennent d'atterrir à leurs pieds? Tout n'est que détail. Un roman fort, dérangeant, qui laisse un goût amer en bouche. Et l'odeur. Oui cette odeur de corps qui imprègne les narines, les vêtements. Comment s'en débarrasser et comment vivre avec?
Martin Amis met le doigt dans des situations, des détails gênants, qui font mal et qui nous confrontent à une réalité bien réelle. le livre fourmille d'anecdotes bien écrites, qui font frémir. Mais il accumule aussi de nombreux paragraphes incompréhensibles, avec une traduction parfois illogique. Ecrit en anglais, avec des passages en allemand, le texte est traduit en français. Une volonté de ne pas être un bon français est volontaire selon quel personnage s'exprime. Mais on perd le fil entre les fonctions des officiers SS, des termes qui glissent sur nous et font qu'on ne suit plus qui est qui. Et surtout qui veut du mal à qui et pourquoi. Car, il y a des guerres internes entre SS, une volonté de détruire l'autre (pourquoi se limiter aux juifs quand on peut faire du mal à un commandant SS?).
Le film a cette force de se consacrer qu'à une seule famille et ne pas s'éparpiller avec plusieurs personnages annexes. Mais les deux se complètent avec cette volonté de donner le premier rôle à des anti-héros, des hommes détestables par leurs actions, forcés ou non.
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L'esprit Charlie à Auschwitz

Martin Amis tente ici le "pourquoi", ça ne reste toutefois qu'un "comment" à travers 3 voix principales : le veule responsable du KZ ; le directeur de l'usine associée au camp, "neveu de", fat et néanmoins trop intelligent pour encore y croire ; et puis le chef des Sonderkommandos, dont la seule ambition au jour le jour est celle de ne pas mourir. Une chronique de l'intérieur avec ses jeux de pouvoir misérables.

Un livre qui a fait polémique puisque Gallimard y a vu une daube sans nuances et a refusé de le publier, tout comme l'éditeur historique de Martin Amis en Allemagne
Il m'a semblé que le trait était juste, mesuré, et on sait que c'est un sujet qui tient à coeur l'auteur.

L'esprit caustique aurait donc du mal à passer ? Il faut du pathos pour parler des kz ? Ou bien faudrait-il pour notre tranquillité d'esprit qu'il n'y ait que des très méchants facilement identifiables ? On voit bien aujourd'hui avec la problématique des migrants que le danger ne vient pas des méchants mais des veules, des peureux, des lâches...

Et je n'ai pas pu m'empêcher de faire le parallèle entre Hannah, la belle aryenne (sauf les yeux, hein !) et la Jasmine de Bagdad Cafe, elles viennent toutes deux de Rosenheim !

ps à lire la critique de Joyce Carol Oates dans le New Yorker
https://www.newyorker.com/magazine/2014/09/29/death-factory
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Signe des temps, les romans ayant Auschwitz comme décor fleurissent dans les librairies, il semble qu'il ne soit plus obscène de faire de la fiction avec la Shoa. Quand un auteur prend un tel risque, on est en droit d'exiger une oeuvre subtile et exigeante, dans le cas présent Martin Amis s'en sort avec les honneurs et les félicitations du jury.

Les premiers chapitres font craindre le pire, s'il est clair que l'on est dans un camp de la mort nazi et du côté des bourreaux, l'ambiance est plutôt au vaudeville avec un personnage principal, nazi hautain, qui ne s'intéresse qu'au sexe et aux proies féminines qui ne manquent pas entre les détenues, les gardiennes et les femmes de soldats.
Tout se complique quand il commence à tourner autour de la femme du commandant du camp. Drôle de couple que M. et Mme Doll : lui parfait nazi faible mais cruel, peureux mais manipulateur, elle soumise et superficielle au premier abord mais qui se révèle surprenante.
Le talent de Amis va consister à donner de plus en plus d'épaisseur à ses personnages principaux et à en introduire des supplémentaires qui vont densifier le récit, comme Szmul, le chef du Sonderkommando, l'homme qui côtoie la mort à chaque minute celle, bien réelle, des déportés et la sienne imminente au bon vouloir des nazis.
Le passé des personnages va interférer avec le présent et une lutte à mort va s'installer là où on l'attend mais aussi là où on ne l'attend pas, sous fond de désagrégation du système nazi et de sauve qui peut.

La Zone d'intérêt offre plusieurs niveaux de lecture. Au premier degré un vrai roman à suspens, une étude psychologique sur les nazis des camps sur leur haine ordinaire et leur indifférence à la mort des autres, pire peut-être l'indifférence sans la haine. On peut juste regretter que Doll soit caricatural, un nazi tout aussi détestable mais plus subtile n'aurait pas affaibli la démonstration.
Sont aussi présents les problèmes techniques rencontrés pour faire cohabiter un camp d'extermination et une production de guerre par des condamnés à mort sous-alimentés (manifestement Amis s'était documenté). Et la cohabitation avec de gentilles familles nazi qu'il faut protéger de ce spectacle dégradant.
Le contexte d'un camp de la mort pousse évidement caractères et situations aux extrêmes, les comportements les plus courageux et les plus abjectes peuvent se retrouver dans la même personne mais la vérité profonde d'un individu ressort.

Au final c'est un brillant exercice que réussit Martin Amis sur un sujet bien casse-gueule qui ne demandait ni pathos, ni facilité pour être digne. Il n'y a pas de honte à lire un tel roman qui en plus d'être captivant permet de toucher des réalités que seule la fiction permet de comprendre. Avec des personnages complexes qui s'avèrent, comme de juste, constitués de bien et de mal.

On ne peut que recommander aussi de lire les remerciements qui au-delà de la reconnaissance de l'auteur envers divers proches ou historiens, lui permettent de se poser des questions fondamentales sur le nazisme et où les réponses qu'il apporte sont passionnantes.
Deux autres raisons de lire La Zone d'Intérêt ; Martin Amis vient de décéder et un film tiré du roman sera bientôt sur les écrans.
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[Lu en 2016]
M'intéressant particulièrement aux ouvrages romancés ou aux témoignages concernant la seconde guerre mondiale. Je ne pouvais donc pas passer à côté.

Martin Amis voulait faire quelque chose d'original et de nouveau sur le sujet ? Pari réussi, et haut la main.

J'ai été déconcertée par l'attachement qu'on a pour certains personnages alors que tous sont du côté "bourreau". Pas d'humour bien sûr ici, tout est à deviner. Et c'est tant mieux car un livre humoristique sur un sujet pareil serait fort mal venu selon moi.

Je me suis surprise donc à vouloir connaître la vie de ses personnages. le style est magistral : on oublierait presque, je dis bien presque, que les 3 personnages masculins ont un rôle dans la mort de milliers de personnes. Amis a réussi a faire passer leur vie personnelle avant leur "travail" et de reléguer justement cette abomination de l'histoire et ces actions de meurtriers à un "travail".

Je suis donc déconcertée par cet ouvrage mais totalement fascinée par la "magie" de l'auteur. A lire !
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Je fréquente les romans de Martin Amis depuis - Money, Money - et - La flèche du temps - dans lequel étaient déjà évoqués le nazisme et les camps d'extermination.
- La zone d'intérêt - m'a été suggéré par un ami juif, journaliste, dévoreur de livres, dont la grand-mère a été déportée à Auschwitz et s'est retrouvée lors "d'une soupe" au camp, face à face avec Mengele.
En dépit de l'acuité littéraire de cet ami, de sa relation aux génocides nazis, il m'a fallu quelques années avant d'oser franchir le pas, anxieux que j'étais de tomber sur une "profanation" sous couvert de l'art supposé qu'auréolerait un livre sur la Shoah, qui est, comme il m'arrive souvent de le répéter, LE marqueur de l'histoire de Sapiens, et pas le détail qu'un certain néo-fasciste français a consenti à lui donner du bout de ses lèvres nazillonnes.
Qu'il soit dit d'entrée de jeu que qualifier le texte d'Amis de montypythonien et se limiter à ce seul aspect de son roman, équivaut à ne retenir d'un livre que la forme et passer complètement à côté du fond. C'est aimer ce même livre pour sa reliure ou l'inverse à cause de sa couverture. C'est enfin ignorer que l'apparence n'est rien, qu'elle est trompeuse si l'on renonce à chercher le coeur qui se cache derrière elle, ce coeur au fond duquel baigne la plaie emplie de sang.
L'histoire est chorale et donne successivement la parole à Thomsen, officier SS neveu de Martin Bormann, haut dignitaire nazi et conseiller d'Hitler, lequel Thomsen va tomber follement amoureux d'Hannah Doll, épouse du commandant du camp Paul Doll, surnommé par ses hommes " le vieux pochetron ", et à Szmul, un Sonderkommando ou Arbeitsjude (esclave juif, en général, forcé contre trois mois de survie de participer à la solution finale).
Cette histoire d'amour autour de laquelle évoluent de nombreux personnages va être la première écriture palimpseste de ce roman où la seconde écriture va être celle de l'horreur nazie et du plus grand crime de masse programmé dans l'histoire de l'homme.
Nous sommes à Auschwitz et Doll n'est autre que Rudolph Höss.
La force de l'oeuvre d'Amis est d'avoir su, par un tour de force d'écriture, nommer certains éléments du camp de la mort différemment.
Le Canada ( "Les Entrepôts du Kanada ou les Entrepôts du Canada ou simplement le Kanada ou le Canada sont des entrepôts localisés dans le camp de concentration d'Auschwitz, où toutes les possessions des nouveaux déportés, les Juifs en grande majorité, sont placées dès leur arrivée. L'appellation de Canada fait allusion au pays du même nom, avec toutes ses ressources. Dans le langage du camp, c'est l'endroit où l'on trouve tout.") par exemple est rebaptisé Kalifornia, sans que le lecteur puisse y voir autre chose que ce que c'était vraiment.
Sa force, c'est d'être parvenu à pousser plus loin la caricature, le grotesque, l'abject d'hommes et de femmes qui pourtant s'étaient employés à faire de leur vie ce qu'il y avait de plus caricatural, de plus grotesque et de plus abject.
Et ce faisant, le tour de force d'Amis, c'est de parvenir enfin à nous rendre l'horreur encore plus innommable, encore plus insupportable.
Un nazi à propos de ce qui est censé être ignoré de ce qui se passe dans les camps : " Des secrets ? Quels secrets ? Toute l'Allemagne se bouche les narines..."
À propos de l'odeur : "carton moisi et huile avariée qui nous rappelle que l'homme descend du poisson"...
Dans les camps, l'odeur est partout, tout le temps... la femme de Doll fume, c'est illégal pour les femmes, des Davidoff ;" ça masque l'odeur "...
La neige est teintée de brun...
Après la défaite, les survivants continuent et continueront, dit-elle, de porter l'odeur et de sentir cette odeur sur ceux qui de près ou de loin ont participé ou se sont tus.
Tout est abordé dans le bouquin d'Amis, depuis ce qui a précédé l'arrivée des nazis au pouvoir jusqu'à leur chute et les quelques années qui suivent celle-ci.
Lorsque j'utilise le qualificatif de palimpseste, c'est parce que en première écriture, on peut lire, Doll assistant à une représentation théâtrale avec sa femme :
" Après plusieurs cocktails au bar du théâtre, Hannah et moi rejoignîmes nos sièges au 1er rang. Les lumières faiblirent et le rideau monta en grinçant vers les cintres, révélant une laitière trapue qui se lamentait de son garde-manger vide. Les Bois chantent éternellement traitait d'une famille de fermiers pendant le rude hiver qui suivit le Diktat de Versailles... Hormis quoi, je ne vis presque rien des Bois chantent éternellement. Non que je me fusse assoupi - au contraire - Il arriva quelque chose de fort particulier. Je passai la totalité des 2 heures et demie à estimer ce qu'il faudrait (étant donné la hauteur de plafond prévue contre l'humidité ambiante ) pour gazer le public du théâtre, à me demander quels vêtements pourraient être récupérés et combien pourraient rapporter tous ces cheveux et ces dents en or..."
D'une efficacité glaçante !
En deuxième écriture, on peut lire :
"-Nous nous étonnons de la nature industrielle de la méthode, de sa modernité. Ce qui est compréhensible. C'est très frappant. Mais les chambres à gaz et les crématoires ne sont que des épiphénomènes. L'idée était d'accélérer le processus et de faire des économies, cela va de soi ; sans compter qu'on essayait ainsi d'épargner les nerfs des bourreaux. Les bourreaux... ces roseaux graciles. Mais les balles et les bûchers auraient fait l'affaire, en fin de compte. Ils avaient la volonté.
Il est bien connu que les Einsatzgruppen en ont déjà tué plus d'un million par balle. Ils y seraient arrivés... de cette façon. Des millions de femmes et d'enfants. Par balle. Ils en avaient la volonté.
-Que pensez-vous... de ce qui nous est arrivé ? de ce qui leur est arrivé ?
-Cela leur arrive encore maintenant. C'est un phénomène bizarre, inhabituel. Si je ne dis pas "surnaturel", c'est seulement parce que je ne crois pas au surnaturel. Mais ça donne l'impression d'être surnaturel. Leur volonté. D'où la tiennent-ils ? Leur agressivité est teintée de soufre. Un vrai souffle de feu de l'enfer. Ou peut-être cela a-t-il été au contraire très humain, purement et simplement humain...
Peut-être tout cela arrive-t-il quand on répète constamment que la cruauté est une vertu. Digne d'être récompensée comme tout autre vertu... par des privilèges et du pouvoir. Comment savoir. L'attrait de la mort... tous azimuts. Avortements et stérilisations forcés. Euthanasie... par dizaines de milliers. le goût de la mort est véritablement aztèque. Saturnien.
Oui, moderne, voire futuriste. Ça, mêlé à quelque chose d'incroyablement antédiluvien. Remontant à l'époque où nous étions tous des mandrills et des babouins."
Implacable réquisitoire.
Grâce à un lexique revisité en partie, à une langue dont la muzikalité donne le La à la brutalité, à l'horreur, au ridicule et au grotesque, Amis en fait prendre pour leur grade à ces êtres qui sont sortis de l'humanité, et fait monter d'un cran la répulsion extrême qu'ils nous inspirent.
La Shoah et ses victimes, contrairement à ma peur initiale, conservent tout le tragique de ce que fut leur impensable "destinée".
Pour conclure, je repense à cette phrase répétée de manière obsessionnelle par Doll-Höss :
"Il n'est pas vain de répéter que je suis un homme normal avec des sentiments normaux".
Et en écho les mots de Primo Levi :
"Aucun être humain normal ne pourrait jamais s'identifier à Hitler, Himmler, Goebbels, Eichmann et quantité d'autres."
Magnifique travail de documentation de Martin Amis, dont on peut prendre connaissance en postface.
Un grand bouquin au réalisme fou, à la vérité historique respectée... à ceci près :
" Comme je l'ai dit, au début, au professeur Evans, la seule liberté consciente que j'ai prise aves les faits attestés a été d'avancer de dix-sept mois la défection à l'URSS de Friedrich Paulus ( le commandant défait de Stalingrad ). Hormis quoi, je colle aux faits historiques, à "ce qui s'est fait", dans toute son horreur, sa désolation et son opacité sanguinaire." ( Martin Amis ).
Je remercie Alain Stern de m'avoir orienté sur la piste de ce livre, livre que je vous recommande.



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Je savais que ce livre avait partagé la critique lors de sa sortie, comme « les bienveillantes » en son heure que j'avais dévoré et beaucoup aimé. et bien je viens d'achever la lecture de ce livre qui m'a plu, beaucoup même, qui porte un regard par moments décalé mais en même temps pas uniquement sur l'horreur des camps. les différents narrateurs qui trament ce roman lui donnent une force évocatrice immense. On a pu comparer aux Bienveillantes bien sûr ... et pourtant le traitement n'est en rien semblable et la comparaison peu aidante... le héros principal, évolutif, pose un regard crédible et critique, effrayant, ne trouvant à la fin plus de sens à ce non sens qui a dépassé l'entendement
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Est-il encore nécessaire de présenter Martin Amis, l'écrivain britannique lui-même fils d'écrivain, qui compte aujourd'hui parmi les auteurs de la couronne les plus réputés ? La plume grinçante et satirique d'Amis nous revient en France chez Calmann-Lévy à l'occasion de la rentrée littéraire (Antoine Gallimard, son éditeur historique, ayant refusé d'en acquérir les droits), dans une comédie détonnante se déroulant pendant la Shoah orchestrée par les nazis lors de la seconde guerre mondiale, époque dans laquelle l'auteur s'était déjà aventuré en 1991 dans La flèche du temps où il racontait dans un procédé de narration original la vie d'un médecin nazi.

Alors peut-on rire de tout, en littérature ? Réponse en lisant La Zone d'intérêt

L'histoire se lit comme une pièce de théâtre, un vaudeville de camp de concentration réunissant Paul Doll, commandant du camp de concentration, alcoolique et obsédé, Hannah son épouse, belle et rebelle, et Angelus Thomsen, un officier de liaison SS qu'on nous dit maniéré, mais qui tombe éperduement amoureux de la femme du commandant.

Autour d'eux ? La mort, évidemment. L'abominable machine de destruction nazie tourne à plein régime, les trains se succèdent, les cadavres deviennent une problématique sanitaire : l'odeur des charniers rend l'air irrespirable et contamine l'eau. Pour les prisonniers encore en vie, c'est le travail forcé pour les industriels allemand, l'ultime effort de guerre, jusqu'à ce que leur cadavre rejoigne les nombreux autres qui attendent d'être réduits en cendre.

Au loin, les échos du front Russe, qui ne trompent personne sur le déclin de ce Troisième Reich qui devait durer mille ans, et qui n'en tiendra même pas dix. Dans cette ambiance cernée de tristesse, cette machine de mort, Thomsen courtisera Hannah sous les yeux fous de jalousie de Doll, lui-même pas très fidèle, et bien décidé à se débarasser de son épouse trop libertine…

Martin Amis signe avec La Zone d'intérêt un roman brillant, une comédie amère, cynique, dont l'effroi historique sert de décors irréaliste à une histoire aussi louffoque que ridicule, mais qu'on dévore avec un étrange plaisir, celui de découvrir un peu d'amour et de légèreté dans cette époque de destruction. Un très bon roman, à lire avec beaucoup de recul !
Lien : https://www.hql.fr/la-zone-d..
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Un livre à la limite du supportable… J'avoue avoir eu beaucoup de mal à le lire et aucune envie de le lâcher. Je sais, cela semble totalement contradictoire et ce roman est une contradiction à lui seul.

Comment décrire cet ovni ? Nous sommes dans un vaudeville, mais un vaudeville au beau milieu d'un camps de concentration…Comment mêler la farce à l'horreur ? Comment écrire l'indescriptible ?

Nous sommes donc dans un camps de concentration. Les voix s'alternent, tour à tour le chef du camps, personnage imbu de lui-même, totalement mégalo, obsédé par le rendement, par sa femme. Puis celle d'un officier SS, séducteur et totalement déconnecté de la réalité du camps, celle du chef d'un Sonderkommando, ses hommes récupérant les corps dans les chambres à gaz…

Les voix s'alternent, les mots allemands également… J'avoue que tous ces mots allemands rendent le récit d'autant plus compliqué à lire et à comprendre… Et l'alternance continue : nous passons tour à tour de petits sujets totalement insignifiant comme : est-ce que untel réussira à coucher avec une-telle à l'horreur la plus profonde comme par exemple le tri des déportés…

Le ton du roman est aussi déstabilisant : de l'humour, du burlesque, de l'absurde… un ton totalement décalé par rapport au sujet. C'est glaçant, c'est troublant, c'est horrible et pourtant, c'est un très bon roman qui me restera longtemps en tête… A lire, ne serait-ce que pour se faire une idée.
Lien : https://moietmoi.wordpress.c..
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