Il s'agit du premier tome d'une nouvelle série, débutée en 2014. Il contient les épisodes 1 à 6 écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par Kaare Kyle Andrews. Seul le lettrage a été réalisé par une tierce personne :
Joe Caramagna. Il n'est pas besoin de connaître le personnage pour comprendre cette histoire.
La première séquence rappelle les origines d'Iron Fist, comment la famille Brand (le père, la mère et leur fils) accompagnée par Harold Meachum ont réalisé un trek dans l'Himalaya, pour trouver la mythique cité de K'un Lun, et ce qu'il en advint. Puis le récit revient au temps présent. Daniel Rand ne trouve pas le sommeil, il songe qu'il a choisi de donner la mort plutôt que d'accepter la vie éternelle. Brenda Swanson (sa conquête d'une nuit) se réveille et lui propose de revenir fai
re des galipettes, quand une armée de ninjas lance son attaque. Au cours de la lutte qui s'en suit, Danny Rand constate qu'il n'arrive plus à concentrer son énergie dans son poing. Une fillette d'une dizaine d'années (Pei) fait irruption lui disant qu'il doit retourner à K'un Lun.
La couvertu
re de ce tome est tellement intense qu'elle peut à elle seule décider le lecteur à tenter sa chance avec cette nouvelle itération d'Iron Fist.
Kaare Andrews ne réalise pas beaucoup de comics, mais ses différents projets portent toujours la marque d'une réelle ambition, que ce soit une version noire et futuriste de Spider-Man (dans "Règne"), ou la mise en images d'un scénario de
Warren Ellis, avec une esthétique peu conventionnelle (voir
Astonishing X-Men : Xenogenesis, et le postérieur d'Emma Frost).
Un rapide coup d'oeil à l'intérieur du présent tome confirme qu'à nouveau Andrews refuse le tiède et le consensuel, pour une approche personnelle. Dans un premier temps, ce qui frappe le lecteur, c'est la grande cohérence formelle des pages. Pour commencer, il a choisi de donner une apparence spécifique aux séquences du passé, en recourant à un facsimilé de la mise en couleurs des années 1960 (des trames visibles de points), et en simulant des plis sur le papier de la page, comme s'il s'agissait d'anciens documents ayant été pliés pendant un temps certain. Suivant le lecteur, il peut apprécier ces détails de présentation, ou les trouver superflus, de simples artifices.
Ensuite, le lecteur constate qu'Andrews affiche ses influences sans complexe, qu'il s'agisse de
Tim Sale ou de
Frank Miller. Il peut s'agir de la maniè
re de traiter un ombrage, ou dans la façon de représenter les personnages secondaires avec désinvolture comme des silhouettes grossièrement esquissées. Sous cette apparence superficielle, se trouve un réel savoir-faire qui ne se limite pas à une imitation des maîtres. Chaque séquence dispose de son découpage spécifique, s'adaptant à la natu
re des dialogues et de l'action.
Pour la scène de l'avalanche, Andrews intègre les effets sonores en arrière-plan directement dans le dessin pour rendre compte du bruit assourdissant. À l'issue de l'attaque des ninjas, Andrews compose un dessin pleine page les montrant en train de prendre feu, avec pour toile de fond la tour Rand pas encore reconstruite, se détachant sur un ciel rouge cramoisi. En une unique image, l'artiste montre la défaite totale des ninjas, la chaleur de l'affrontement, l'effet de la violence dans la vie de Daniel Rand. Dans une autre séquence, le lecteur assiste médusé à l'arrivée d'une flotte d'hélicoptères sur le cité de K'un Lun, directement inspirée par "Apocalypse Now" de Francis Ford Coppola (il s'agit là encore plus d'une citation que d'un plagiat ou d'un manque d'inspiration).
L'intérêt du lecteur est donc maintenu tout au long de ces 6 épisodes par des visuels sortant des stéréotypes propres aux comics industriels de superhéros (Danny Rand ne porte jamais sa cagoule jaune), offrant toujours une trouvaille ou une surprise souvent savoureuse (l'armée d'infirmières identiques dans les couloirs de l'hôpital). Andrews réussit même à manier une forme de second deg
ré discret (qui ne nuit pas à l'intensité dramatique) et adulte. Outre ces dangereuses infirmières, il y a aussi Brenda Swanson sortant un string de sa commode dans un contexte montrant qu'elle soigne sa toilette pour profiter de l'avantage que lui procure sa silhouette parfaite.
Kaare Andrews a le bon goût de ne pas réduire ce personnage féminin à une simple bimbo. Certes le premier épisode ne la présente pas sous son jour le plus flatteur (jouant les admiratrices enamourées pour le bénéfice de Daniel Rand). Mais la suite montre qu'elle n'a rien d'une nymphomane idiote. Dans un même ord
re d'idée, la première séquence qui retrace la découverte de K'un Lun par la famille Brand peut paraître très convenue au lecteur qui connaît déjà le personnage, soit la version
Chris Claremont &
John Byrne, soit la version
Ed Brubaker & Matt Fraction (voir "Immortal Iron Fist"). Rien de bien nouveau dans cette redite... sauf qu'après quelques épisodes le lecteur s'aperçoit que le visage grimaçant de Wendell Rand en dit long sur son état d'esprit, et sur la folie qu'il a passée à son fils. Ainsi Kaare Kyle Andrews développe discrètement la psychologie du personnage en montrant, plutôt que par le biais de longs monologues intérieurs.
En ce qui concerne l'intrigue, l'auteur se montre un peu moins habile. Les Immortal Weapons (introduits dans la série "Immortal Iron Fist") sont aux abonnés absents, et Andrews introduit un moyen bien pratique d'accéder à K'un Lun, alors même qu'elle est censé ne venir au contact de la Terre que tous les 10 ans. Il installe petit à petit les enjeux du récit. Dès le premier épisode, le lecteur a bien compris que Daniel Rand est coupé de la source de son pouvoir qui lui permet de concentrer son énergie dans son poing. Il faut le temps des 5 épisodes suivants pour développer le contexte de la situation et d'introduire les ennemis qui manquent un peu d'épaisseur. Mais c'est le seul point négatif de ce récit.
Kaare Kyle Andrews s'empa
re d'un personnage de second rang de Marvel pour écrire ses aventures, sur un mode qui sort du moule ordinai
re des comics (pas de production par une équipe à la chaîne). Il revient à la version originelle d'Iron Fist pour en donner une vision assez noire et intense, à la fois sur le plan visuel, mais aussi sur le plan psychologique. Il en résulte un récit haletant et viscéral, qui permet de fermer les yeux sur un scénario qui s'autorise un ou deux raccourcis.