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EAN : 9782330114336
272 pages
Actes Sud (07/11/2018)
3.38/5   12 notes
Résumé :
Un soir d'hiver, deux hommes et une femme ayant juré allégeance à Daech prennent pour cible une librairie de Göteborg où a lieu une rencontre avec Göran Loberg, connu pour ses caricatures du Prophète. Mais au moment où l'un d'eux s'apprête à égorger le dessinateur, la femme éprouve un trouble étrange, un sentiment de déjà-vu, et abat le bourreau d'une balle en pleine gorge.
Que s'est-il passé ? Pourquoi n'est-elle pas allée au bout de l'acte terroriste ? >Voir plus
Que lire après Ils se noieront dans les larmes de leur mèreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Multi-primé en Suède, Ils se noieront dans les larmes de leurs mères est le second roman du poète et romancier Johannes Anyuru.
Après du paradis souffle une tempête, l'écrivain nous offre une oeuvre de science-fiction camouflée en littérature blanche (ou serait-ce l'inverse ?) dans lequel il s'interroge sur les dérives identitaires du monde occidental et sur la violence du terrorisme islamique. Sujet à la fois complexe et sensible, le rapport au religieux s'intègre ici dans un cadre plus large : celui de l'être humain et de ses croyances, du corps bafoué et de l'esprit tabassé.

Nous sommes un soir d'hiver comme les autres en Suède et un caricaturiste renommé, Göran Loberg, tient une conférence sur la liberté d'expression et ses caricatures du Prophète.
Dans la salle, trois jeunes gens — Amin, Hamad et Nour — font irruption et prennent en otage le dessinateur au nom de Daech.
Alors qu'Amin est sur le point d'égorger Gorän, Nour est prise d'un violent sentiment de déjà-vu. Comme si cet événement avait déjà eu lieu et qu'elle le connaissait déjà par coeur. Au dernier moment, la jeune femme tire sur Amin et met fin à la prise d'otages d'une façon totalement inattendue.
Bientôt diagnostiquée schizophrène et enfermée dans un asile psychiatrique de haute sécurité, elle reçoit la visite d'un écrivain suédois d'origine algérienne interpellé par son histoire atypique.
Car Nour n'est pas Nour, ni Anissa d'ailleurs, cette jeune belge convertie à l'Islam et qui est passée par l'enfer de la prison d'Al-Mima en Jordanie.
Dans le monde d'où vient la jeune terroriste, Amin est parvenu à ses fins en éliminant le caricaturiste…engendrant ainsi les loi du dix-sept février et la transformation de l'état suédois en un état fasciste prêt à tout pour éliminer les musulmans présents sur son territoire.
…Et si Anissa n'était pas schizophrène ? Et si Anissa avait vraiment vécu l'horreur absolue dans laquelle la haine engendre l'indicible ?

Lui-même fils d'immigré ougandais, Johannes Anyuru s'appuie sur les menaces de mort reçues par le caricaturiste suédois Lars Vilks et par les monstrueuses prisons de Guantanamo et Abou Ghraib pour imaginer un monde alternatif tellement proche du nôtre qu'il semble le toucher du doigt.
Aventure temporelle ou parallèle, dystopie ou méandres schizophréniques, le récit utilise la science-fiction pour explorer le plus vieux sentiment humain : la peur.
Johannes Anyuru met en parallèle la peur des musulmans et celle des occidentaux, construit des haines comme des miroirs et un besoin d'identification communautaire qui confine à l'obsession maladive.
D'un côté, il y a donc cette jeune femme dont le nom n'est jamais vraiment certain. Venue de quelque part dans le futur ou fruit d'un traumatisme passé tellement puissant qu'elle ne s'en est jamais remise. Condamnée à la torture d'Al-Mima, un camp de torture pour terroristes présumés, elle finit dans la peau d'une jeune fille qui ne sait plus qui elle est.
Dans son esprit, elle vient d'ailleurs, du futur, d'un temps où la prise d'otage de la librairie Hondo fait glisser la Suède dans un état totalitaire où les musulmans sont parqués dans le ghetto de Kaningarden pour être humiliés, battus, torturés, exécutés. Un enfer. La petite fille de cette époque-là nous explique la mort de ses parents en même temps que de ses derniers espoirs d'un monde où elle trouverait une place, une vraie.

De l'autre côté, le monde réel, celui d'un écrivain et de sa femme, Isra, qui s'interrogent sur leurs places dans la société suédoise actuelle devant l'histoire racontée par la détenue. Doivent-ils rester ou partir ? Seront-ils jamais suédois ou resteront-ils toujours descendants d'immigrés et musulmans ?
Johannes Anyuru n'est pas là pour désigner les bons et les méchants, car la frontière entre ceux-ci se brouillent très régulièrement. Tous les points de vues, du caricaturiste au jeune délinquant devenu terroriste en passant par le poète musulman ou le djihadiste, tous ont des raisons d'exister, aussi mauvaises soient-elles. L'écrivain dissèque patiemment les mécanismes de la haine et la replace au centre de tout. La haine du musulman et la haine de l'occidental, renvoyées dos à dos, et la peur, forcément, toujours elle, qui enclenche l'engrenage infernal où plus personne ne gagne.

Au milieu de tout ça, Johannes Anyuru pourrait se complaire dans un fatalisme sinistre. Avec ce futur dystopique et ces camps de prisonniers bien réels, quel futur reste-t-il ? Il reste certainement celui de l'humain et de l'espoir envers et contre tout. Il reste la vision du poète qui définit la vie et le monde comme un poème d'amour écrit par Dieu lui-même. Celui d'un papa qui enseigne à sa fille que les battements de son coeur lui murmure Allah lorsqu'il bat et que la place de Dieu n'est pas dans la mort mais dans la vie. Celui d'une mère qui aime sa fille jusqu'au bout et refuse de jamais baisser les bras, quitte à rester pour briser le cercle infernal de cette peur que l'on transmet de génération en génération.

Plus qu'un truc scénaristique, la notion de voyage temporelle prend ici tout son sens lorsque Johannes Anyuru, non content de relier tous les points de son histoire, s'en sert pour montrer le serpent qui se mord la queue.
Il suffit de lire ce prodigieux chapitre où un djihadiste finit par s'exécuter lui-même d'une balle dans la tête à l'infini, ou de comprendre en fin d'ouvrage que tout est toujours pareil…et aussi différent. Que l'aile d'un papillon peut peut-être déclencher une tempête à l'autre bout du monde lorsque deux enfants de confessions différentes rient ensemble sur une balançoire.
Ils se noieront dans les larmes de leurs mères ne choisit jamais la facilité et explore toutes les facettes de son intrigue sociale, allant même jusqu'à s'immiscer dans la tête du tueur et du fasciste, non pas pour excuser mais pour expliquer les vides. L'exercice s'avère aussi terrifiant que fascinant mais surtout totalement bouleversant.

Ils se noieront dans les larmes de leurs mères, ces djihadistes qui laissent leurs familles en plan pour une guerre de la honte, ces blancs qui veulent humilier ceux qu'ils ne veulent pas comprendre, ces terroristes qui ne gagnent rien d'autre que la haine des autres.
Johannes Anyuru raconte ce qui pourrait être si tout glissait encore et encore tout en refusant de chuter. Parce qu'il faut savoir relever les défis et comprendre l'autre, comprendre que tous nous sommes un poème d'amour.
Voici un livre essentiel dont l'intelligence bouleverse de la première à la dernière page par son humanité indestructible.
Lien : https://justaword.fr/ils-se-..
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Nous sommes dans une période toute proche mais non définie et à la fois plus lointaine dans laquelle la Suède, ce pays souvent montré en exemple pendant longtemps, est devenue un enfer pour ceux qu'on a classés comme non-suédois, pour tous ceux qui sont différents, en tout premier lieu les musulmans. L'élément déclencheur, celui qui été le prétexte d'un changement radical de la politique et de la société, a été une prise d'otages dans une librairie. Ceci est l'aspect qui m'a le plus intéressée, à savoir à quelles libertés sommes-nous d'accord de renoncer au nom de la sécurité.

"ils se noieront dans les larmes de leurs mères" est aussi un roman d'anticipation : la jeune femme d'origine belge qui a participé à l'attaque, et a évité le massacre, ne se reconnaît plus dans ce qu'elle est pourtant, n'a plus la mémoire de ce qui s'est passé lors de certains interrogatoires en Syrie ou en Irak, elle ne parle plus sa langue mais le suédois qu'elle n'a appris dans une autre partie de sa vie, un futur où elle est une ado, elle évoque des souvenirs d'un avenir sombre, presque apocalyptique. L'écrivain venu recueillir son histoire sera très vite troublé, ébranlé puis paniqué par ce qui attend certaines familles. J'ai eu beaucoup de peine à comprendre cette notion de passé, présent et futur qui se mélangent, ce temps qui n'est pas linéaire.
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Le même sentiment m'a habité en lisant 1984 de G. Orwell. L'impression d'étouffer. de gêne. de mal-être.

Ouvre un champs entier de questions sur notre époque, notre traitement de l'information, nos réactions face à l'impensable.

Aussi essentiel que LA VAGUE de Strasser.
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critiques presse (1)
Actualitte
09 janvier 2019
Puissant. Un coup de poing, qui pourtant résonne comme un appel à la paix.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Donna Haraway, l’auteure du visionnaire Manifeste cyborg, avait un jour écrit, à propos de la science-fiction en tant que genre […] qu’elle était une “négociation entre les mondes”.
Les clichés d’Al-Mima en tête, je me demandai si ce n’était pas exactement ce que les textes de la jeune femme faisaient : négocier avec ce monde qui avait fait d’elle une personne si effroyablement nuisible.
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Je ne crois plus du tout en cette conception qui voudrait que le temps soit une ligne droite. Selon moi, cette histoire, comme n’importe quelle autre histoire qui puisse être racontée, n’a pas qu’un seul commencement, elle en a plusieurs. Et rien ne se termine jamais vraiment.
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Le vide qui se trouvait à l’intérieur des mots, et à cause duquel on ne faisait plus de différence entre des choses pourtant bien distinctes. Yani un musulman et un terroriste. Ou un infirmier et un agent de sécurité. On ne faisait plus la différence entre le sang dans mes veines et le couteau d’Amin. Plus aucune différence entre mon cœur qui battait et les bombes qui explosaient en Algérie.
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Rappelle-toi, nous sommes un poème d’amour.
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Des vivants, il ne reste plus que des soupirs, des ombres furtives jetées sur un mur.
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