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Dan Nisand (Collaborateur)
EAN : 9782810003938
256 pages
Editions du Toucan (16/03/2011)
4/5   3 notes
Résumé :
« Je m'étais installée comme d'habitude pour prendre mon café au centre de la ville de Brcko, en Bosnie. Il était là, j'étais fatiguée mais je l'ai regardé, je lui ai souri même. La veille, jusque très tard j'ai plaidé son dossier à Sarajevo devant la Cour spécialisée pour convaincre le Procureur général de transférer son cas directement à Sarajevo. Cet homme travaillait au camp de concentration de Luka pendant la guerre. Il a directement torturé des dizaines de per... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
je suis admirative du courage de cette femme qui se bat pour la justice.
à lire même si on n'est pas expert en droit international, geopolitique, psychologie, humanisme, criminologie de guerre, histoire des balkans, relations internationales, sigles, institutions,..
Une justicière des temps modernes en quelque sorte. une lecture intelligente à conseiller.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Brćko
Corps engloutis

Mon avion survole la campagne serbe, amorce un virage en direction de l'aéroport de Belgrade. Le ciel est bas, gris : l'hiver n'est pas loin. J'entends sortir le train d'atterrissage. Le sol se rapproche. Bientôt, je vois défiler le tarmac. Une secousse, puis l'appareil stabilise son assiette avant de freiner brutalement. Nous roulons au pas jusqu'à l'entrée du terminal. Me voici de retour dans les Balkans.
Dès ma sortie de l'avion, mon téléphone sonne. C'est Dijana, mon assistante, qui veut s'assurer que je suis bien arrivée. Elle m'informe des dernières nouvelles, des rendez-vous qu'elle a pris pour moi. À la sortie du hall d'arrivée, un 4 × 4 de l'OHR1 m'attend. Il n'y a pas d'aéroport à Brćko : je dois atterrir à Belgrade, en Serbie, et faire environ deux heures de route pour rejoindre le district, en Bosnie-Herzégovine. Je prends des nouvelles du chauffeur, je passe encore quelques coups de fil : me voici de nouveau dans le bain. Nous quittons rapidement l'autoroute et passons une première frontière, celle de la Croatie. Un tampon de plus sur mon passeport. Nous parcourons des forêts, de vastes plaines à l'aspect désolé, absolument plates sous le ciel grisâtre. Bientôt, tout ceci sera couvert de neige. Parfois, nous traversons un village; les façades des maisons sont toutes peintes en couleurs vives, jaune, bleu, vert et même rose, typiques des Balkans. Au bout de la route, nous atteignons la Sava. Une fois sur l'autre rive de ce large affluent du Danube, nous serons en Bosnie, à Brćko : le poste frontière se trouve dans la ville même.
Le pont qui enjambe la Sava est une longue structure de ferraille bleue. Comme sur toutes les routes de Bosnie, on y voit beaucoup de piétons, hommes, femmes, enfants, vieillards qui se déplacent à pied, souvent frôlés de trop près par les voitures et les camions. En 1992, c'est ici que les hostilités ont vraiment commencé. À la suite d'un référendum boycotté par les Serbes de Bosnie, le pays a proclamé son indépendance le 1er mars. Dès le 6 avril, la JNA2 attaquait. Des troupes ont commencé à se masser à Bijeljina, une ville à majorité serbe située à 40 km de Brćko. C'étaient, entre autres, les unités paramilitaires de Vojislav Seselj3, ainsi que les « Tigres », une milice dirigée par Zeljko Raznatovic, plus connu sous le nom d'Arkan4.
En avril 1992, la JNA exigeait que Brćko soit divisée en trois cantons ethniques, mais les autorités de la ville ne répondirent pas à l'ultimatum qui leur avait été fixé. Dans la nuit du 29 au 30 avril, le pont enjambant la Sava a été piégé sur toute sa longueur, et la nouvelle que l'édifice allait sauter s'est répandue parmi la population serbe. D'après des témoins que j'ai pu rencontrer, dès minuit, un certain nombre de soldats de la JNA ont quitté leur poste aux abords du pont. À partir de 4h30 du matin, plus aucun policier ne se trouvait en faction à l'entrée de l'édifice. Ce n'était jamais arrivé, la police demeurant toujours présente à cet endroit. Le matin du 30 avril, à 5 h, de nombreux piétons s'étaient engagés sur le pont, comme ceux que notre 4 × 4 dépasse pour atteindre l'autre rive. Au petit matin, ils se rendaient en face pour aller travailler ou chercher des marchandises. Des gens qui avaient le tort de ne pas être serbes. Les bérets rouges serbes ont vu ces piétons. J'ai eu accès à des transmissions radio interceptées à l'époque : des soldats hésitaient à faire exploser le pont parce que les civils étaient trop nombreux. Voici la réponse qui leur est parvenue de la base : « Je me fous des civils, faites tout sauter. »
Deux détonations ont entièrement détruit l'édifice, en dessous duquel une demi-tonne d'explosifs a été retrouvée. Dans presque toute la ville, les vitres des maisons ont volé en éclats. On estime qu'environ 150 personnes, déchiquetées par l'explosion, se sont enfoncées dans la Sava avec les débris du pont. Des morceaux de corps ont été projetés à des centaines de mètres alentour. Les témoignages, que j'ai écoutés et accumulés dans mes carnets depuis bientôt trois ans, décrivent une horreur inimaginable.
Aujourd'hui, une cérémonie de commémoration a lieu chaque 1er mai. Je ne me contente pas d'y assister : depuis deux ans et demi, je me bats pour faire progresser l'enquête sur l'explosion du pont. Sans succès. Cette opération était planifiée de longue date, soigneusement organisée et préparée. Les complicités parmi les personnalités serbes de Brćko ont été nombreuses. Trop de gens ont intérêt à ce que cette affaire ne refasse jamais surface.
Après cette terrible journée du 30 avril 1992 à Brćko, la guerre était déclarée. Au cours des trois années suivantes, la rivière rendrait encore de grands services aux criminels. Ils y jetteraient par centaines les dépouilles de leurs victimes. Des corps engloutis, qu'on ne retrouvera jamais. Des familles dont le deuil restera impossible.
Brćko est une ville du nord de la Bosnie. En 1991, sa population était majoritairement bosniaque, mais composée aussi de Serbes et de Croates. Puis sont survenus la guerre et le nettoyage ethnique. On estime aujourd'hui que la population se compose d'environ 40 % de Bosniaques, 45 % de Serbes et 15 % de Croates.
Enclave stratégique des rives de la Sava, Brćko était isolée dans une vaste région à majorité serbe. Après Srebrenica, Brćko a été un des théâtres majeurs des exactions commises pendant la guerre. La population en reste irrémédiablement marquée. Lorsque les accords de paix de Dayton ont été signés, en 1995, après de longues négociations conduites sous l'égide des Américains, la Bosnie-Herzégovine a été divisée en deux entités. Près de 51 % du territoire revenaient à la Fédération de Bosnie-Herzégovine, à dominante croato-musulmane, tandis que 49 % étaient impartis à la République serbe de Bosnie, que Radovan Karadžić et ses partisans avaient proclamée à la veille de la guerre. Enfin, la paix arrivait. Cependant, l'accord laissait de côté le problème posé par la petite municipalité de Brćko.
Il suffit de regarder une carte pour comprendre les causes de cet insoluble casse-tête. Les Bosniaques revendiquaient Brćko pour son port fluvial, le premier de ce pays quasi dépourvu d'accès à la mer; c'était aussi le seul couloir possible vers la Croatie. Or, ce couloir reliait les deux grandes régions de l'entité serbe qui, sans Brćko, serait privée de continuité territoriale. À Dayton, la ville a donc fait l'objet d'interminables négociations, mais aucun accord n'a pu être conclu entre Milošević et Izetbegovic5. Un Tribunal international d'arbitrage dut être désigné pour résoudre la question du statut de la ville. Ce n'est qu'en 1999 que ce Tribunal décida que la municipalité ne serait finalement adjugée à aucune des deux entités, mais deviendrait un district neutre et autonome sous supervision, c'est-à-dire sous protection internationale.
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Prologue
Aujourd'hui, je me suis installée comme d'habitude pour prendre mon café au centre de la ville de Brćko, en Bosnie. Il était là, j'étais fatiguée mais je l'ai regardé, je lui ai même souri. La veille, jusque très tard, j'avais plaidé son dossier à Sarajevo devant la Cour spécialisée des crimes de guerre pour convaincre le procureur général de transférer son cas directement à Sarajevo. Les policiers et le procureur de Brćko possédaient assez d'éléments pour inculper ce type pour crimes de guerre, mais la pression est trop forte et je sais qu'aucune sanction ne sera prise ici, à Brćko. Je sais que cette affaire va m'échapper en partant à Sarajevo, je le regrette, mais je sais aussi qu'ici, l'affaire est trop sensible pour une si petite communauté.
Cet homme, qui travaillait au camp de concentration de Luka pendant la guerre, a personnellement torturé des dizaines de personnes, commis aussi des viols et tué des enfants, à Brćko et à Srebrenica.
Il a été arrêté, le chef de la police vient de me téléphoner pour me le confirmer.
Cet après-midi, la sécurité m'a appelée pour me dire que quelqu'un voulait me parler. Cette femme, je ne la connais pas. Elle est entrée dans mon bureau, elle ne s'est même pas assise, n'a rien accepté à boire, elle a juste tendu sa main dans laquelle elle tenait un bracelet en argent, le bracelet de son fils qui a été tué, je crois qu'il avait 8 ans.
Puis, elle m'a déclaré d'une traite :
« Je sais qui vous êtes, je vous ai vue parfois dans les rues de Brćko, mes amies m'ont parlé de vous. Je suis venue vous remercier pour avoir cru à tous ces témoignages, pour vous être battue, y compris au sein même de votre bureau, afin de permettre d'honorer enfin la mort de mon fils et de mon mari, morts parce qu'ils s'appelaient Sead et Jasmin, morts parce que quelqu'un comme Karadžić avait une haute idée de ce qu'était la race pure, morts parce qu'ils n'ont pas accepté le fascisme et ont résisté, mais mon enfant de 8 ans, est-ce qu'il résistait lui ? Parce que personne n'a empêché Karadžić, Milošević et Mladić d'ordonner tous ces massacres, ni les gens prêts à les mettre en œuvre sans se poser de questions, sans se demander s'il était normal après la Seconde Guerre mondiale d'enfermer des enfants dans des camps, de les torturer, de les abattre, ceux qui étaient aussi leurs voisins, comme des bêtes. Pour simplement exécuter les ordres.
Merci de vous soucier de nous, de donner un sens au mot justice. Merci pour m'avoir permis de rompre ce calvaire quotidien, tandis que tous les jours, lorsque je vais au marché, je croise cet homme qui a torturé ma famille et qui ose même me saluer parfois avec un sourire, et qui, depuis quinze ans, vit paisiblement à Brćko, comme si rien ne s'était jamais passé. Je voudrais que vous gardiez ce bracelet. »
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Vidéo de Céline Bardet
https://www.franceculture.fr/emissions/comme-personne/celine-bardet-briser-le-silence-sur-le-viol-de-guerre
Céline Bardet est juriste internationale. Depuis une vingtaine d'années, elle combat inlassablement les crimes de guerre et plus particulièrement les violences sexuelles utilisées comme arme stratégique. Volubile, passionnée et pragmatique, Céline Bardet veut lever ce tabou.
Un portrait de Nathalie Hernandez
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