« Si, à l'intérieur du segment choisi, notre récit revient sur les défaites aussi bien que sur les victoires, les hésitations rencontrées autant que les certitudes gagnées, les épreuves négatives et positives, c'est parce que ces grèves inédites ont soulevé en pratique, inévitablement, une série de contradictions. C'est parce que minimiser ces contradictions serait escamoter l'intelligence et la persévérance déployées pour tenter de les surmonter. »
Les auteur-e-s détaillent les différentes grèves des sans-papiers, leurs spécificités et leur unité, la place des organisations syndicales et les débats qui les traversaient, les rôles des autres instances de soutien aux sans-papiers. Elles et ils ne masquent pas les contradictions, les difficultés, les oppositions, les divergences. Leur livre témoigne d'un véritable souci d'analyser et de diffuser les multiples dimensions de ces luttes, de ces grèves pour obtenir des papiers et une reconnaissance pleine et entière du statut réel de travailleur. « décrire l'enchaînement d'interactions et de batailles, d'aboutissements et de remises en cause, de raisonnements et d'hésitations, qui a fait les grèves des travailleurs sans-papiers. »
le livre comporte trois parties : « Octobre 2006- avril 2008. Les travailleurs sans papiers révélés par la grève », « Mai 2008 – octobre 2009. Des victoires partielles et instables » et « Octobre 2009 … Une grève pour tous ? »
Pour inciter, non seulement à lire ce livre mais aussi à le diffuser largement, je vais souligner, parmi les multiples analyses des auteur-e-s, deux points auxquels, j'ai été particulièrement sensible. Ce choix est très partiel et donc partial.
Si le Réseau éducation sans frontières (RESF) met en avant des revendications autour des droits et de la figure des élèves, « les salariés sans papiers mettent ainsi en avant non plus leur marginalité mais au contraire leur intégration concrète au salariat, dans ses dimensions individuelle et collective. » Les immigré-e-s sans papiers travaillent, « beaucoup chez des employeurs ayant pignon sur rue ». sans oublier que grâce à l'intérim des grands groupes (Vinci, Bouygues, etc.) utilisent des sans-papiers sans « endosser le risque légal de les employer ». Sur ce dernier point, je renvoie au livre de
Nicolas Jounin :
Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment (Editions La Découverte, Paris 2008)
Les auteur-e-s soulèvent aussi la question de l'échelle des décisions démocratiques « Dans ce jeu du chat et de la souris et du mammouth, en encourageant des délibérations démocratiques à petite échelle Solidaires risque de diviser le collectif plus large où celles-ci prennent sens. Cependant, à l'échelle de ce collectif, les prises de décision fonctionnent davantage sous le régime de la délégation à une direction qui ne s'élargit que depuis peu à des grévistes. » Favoriser la maîtrise la plus totale des actrices et des acteurs impliquent d'avoir en tête ces difficultés d'organisation des lieux de décisions démocratiques, de leurs coordinations, le poids des habitudes de délégation, et le recours nécessaire aux associations permanentes institutionnalisées et reconnues par les pouvoirs publics.
Dans la conclusion des auteur-e-s, je souligne trois dimensions : l'extension du champ d'intervention syndical est aussi une extension géographique vers d'autres entreprises : « En étendant leurs frontières civiques, les syndicats ont fait du même coup une percée au sein d'un tissu productif qu'ils avaient jusque-là peu réussi à investir : petites et moyennes entreprises, sous-traitance, intérim, travail au noir… » ; la complexité des rapports sociaux « Constitués d'échanges inégaux, de relations interétatiques asymétriques et de racialisation des populations, ces rapports collectifs s'imbriquent selon des modalités diverses aux modes d'organisation et de délégation propres aux syndicats. …..Au sein d'une lutte qui subvertit l'ordre raciste, il existe donc des éléments de reproduction de cet ordre » et le poids ”matériel” du collectif « le chemin de la lutte collective apparaît alors plus rentable que celui de la patience solitaire. Conquérir ses papiers, plutôt que les recevoir en faveur, c'est aussi se former pour d'autres batailles. »
L'importance de cette lutte pour des papiers et des droits ne doit pas être sous-estimée. A l'heure des crispations nationales ou nationalitaires, ce livre concoure à mieux faire connaître la réalité sociale et les indispensables actions pour l'égalité des droits de salarié-e-s et espérons le demain, de l'égalité des citoyen-ne-s. Il questionne, de fait, aussi toutes les organisations syndicales sur les moyens à mettre en oeuvre pour organiser la majorité des salarié-e-s, dépassant les divisions liées aux processus de production (éclatement des collectifs de travail, sous-traitance, intérim), sans oublier, bien sûr, les divisions entre ”nationaux” et ”étrangers” racialisés avec ou sans-papiers, femmes et hommes, etc.
Je conclus en élargissant le titre du livre : On bosse ici, on reste ici, on décide ici, on vote ici !
Deux livres pour compléter :
Alexis Spire :
Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l'immigration (Raisons d'agir, Paris 2008)
Sous la direction d'Olivier le Cour Grandmaison : Douce France. Rafles Rétentions Expulsions (Editions Seuil-RESF, Paris 2009)