«
Vie & mémoire du docteur Pi » de l'écrivain argentin
Edgar Bayley, traduit de « Vida y memoria del doctor Pi » par
Jean-Marie Saint-Lu avec une postface d'
Alicia Dujovne Ortiz (2016, Editions Do, 120 p.) a tout d'un film burlesque, du type de ceux de
Buster Keaton.
32 courtes vignettes qui décrivent les agissements du Docteur Pi, ainsi que de nombreuses dames, le plus souvent des « brunettes », dont les ébats font montre de la bonne santé du docteur.
Tout commence par une séance de réflexions « Je ne dis rien, je ne pense rien, se répétait le docteur Pi, sans remuer les lèvres, en traversant la rue. Un cerf bleu et un hélicoptère ont brièvement attiré son attention ». Ce qui en soi est une bonne chose que d'associer action et réflexion. Donc « Il sortit son parapluie et dit enfin à voix très basse :"C'était nécessaire." ». Sur quoi « Une femme, grassouillette et d'âge moyen, l'avertit : "Attention, vos lacets se sont défaits." ». Toujours le système action-réaction. « Pi la remercia pour l'avertissement et laça ses chaussures. Puis il se dirigea avec confiance vers le charmeur de serpents. Elle lui tendit les bras et abandonna son stand au champ de foire. "Seulement pour quelques instants", a déclaré le charmeur ». Et survient la conclusion, somme toute morale. « "Il n'y a que des moments, quelques petits moments", a déclaré Pi ». Même si ce court extrait « La Charmeuse » coupe un peu l'effet du texte, il permet de comprendre et de juger du haut niveau intellectuel du texte.
On est bien dans le mouvement « invencionista » du Buenos Aires des années 80, le livre étant publié en 1983. D'ailleurs il est bien connu que les rues de Buenos Aires sont envahies, en fait étaient envahies, par des cerfs bleus. La circulation automobile a eu raison de cette prolifération, tout comme la myxomatose a régulé celles des léporidés en Australie. Il a été prouvé par la suite que leur couleur bleue a marqué une évolution darwinienne en réaction aux feux tricolores, vert, orange, rouge, qui avaient été installés en ville.
Je ne détaillerai pas les chapitres suivants de la même façon. Comme disait Zazie « Zavezkalire ». En fait, au lieu de lire, on penserait plutôt à des dessins, à la façon de
Glen Baxter et à son oncle François, « Oncle François semblait avoir pris son confinement très au sérieux » sur la lune, comme le montre sa tente marquée d'un « F »
Les « jeune brunette » sont un peu partout dans le livre. Avec Pi, ils pédalent en tandem et « tout à coup, le tandem se met à voler ». Ailleurs, une autre brunette contribue au « miracle de l'ampoule ». Plus tard encore, Pi est en retard à son rendez-vous car il a connu « quelques difficultés en descendant de la montagne. Avalanches, marchands insistants, un serpent et une jambe cassée ». Décidément, le docteur Pi, avec sa redingote, son chapeau haut de forme et son mélange peu commun d'exaltation et de discrétion, est difficile à décrire et impossible à ne pas poursuivre.
Parmi les autres personnages, il y a le poète Madariaga. Il « avait acquis un ranch de chevaux. Une avec des chevaux rares. Chevaux grands, petits, tout petits chevaux issus de croisements subtils et de techniques très raffinées. Son intention n'était pas d'entraîner des chevaux de course, bien qu'il en possédait quelques-uns très rapides, très recherchés par divers haras. Son objectif apparent était de produire de nouvelles espèces de chevaux. Des chevaux qui ne ressembleraient pas du tout à des chevaux ». le docteur sait aussi faire le bateleur. « A l'entrée, le Dr Pi a tenté d'attirer les passants via un mégaphone. Plusieurs artistes participant à la performance ont exposé leurs talents : l'homme fort, le cracheur de feu, l'amnésique et Max, dont les pouvoirs surnaturels pouvaient atteindre la lévitation universelle ».
Et il sait en plus grimper aux murs. « L'écaillage des murs est une de mes spécialités. J'utilise des chaussures spéciales et une canne adhésive ». Mais pour cela il doit passer des tests. « Lequel de ces mots préférez-vous le plus : sédition, folie, coiffure d'archidiacre ? / Coiffure. / Croyez-vous en la virginité du roi Salomon ? / Cela apparaît évident en vertu de la deuxième loi de la thermodynamique. / Complétez cette phrase : le poney galopait… /.. après un amour impossible. / Une phrase semblable à la suivante : L'avion à réaction raccourcit les distances. / le sonneur reste au lit. » ou encore « Que préférez-vous : un gommage ou un frottement ? / Un gommage quand je me lève et un frottement quand je me couche »
Edgar Maldonado Bayley, né à Buenos Aires (1919-1990) était poète, nouvelliste, dramaturge, metteur en scène, traducteur et essayiste. Il fut l'un des plus grands représentants des avant-gardes dans les années 40-50 en Argentine et joua un rôle central dans la création du mouvement « invencionista ». le « Manifesto Invencionista » est publié en 1946 par le peintre Tomás Maldonado (1922-2018). Il annonce le début argentin du mouvement de l'art concret à Buenos Aires. Très vite, il se fédère avec le mouvement « Perceptismo » et devient « Arte Concreto-Invención ».
Edgar Bayley était poète, nouvelliste, dramaturge et essayiste. Il a également été directeur de théâtre, traducteur et bibliothécaire. Il a fait partie de nombreux magazines d'art et de poésie, dont « Arturo », « Poesía Buenos Aires » et « Zona de la Poesía Americana ». Il a écrit pour des journaux tels que « La Nación », « Clarín », « La Opinión » et « Tiempo Argentino ». de même, il rejoint « Arte Concreto-Invención », qui rassemble des artistes plasticiens et des écrivains qui postulent la valeur autonome de la poésie et en même temps la concrétion de l'art.
Il n'est pas facile de trouver d'autres ouvrages de
Edgar Bayley, les seuls étant publiés en Argentine. On trouve cependant plusieurs anthologies poésies « Antologia Personal » (1983, Centro Editor de America Latina, 161p.) Et une «
Antología poética » (2015, Fondo de Cultura Económica, 275 p.). Parmi les romans et nouvelles, on distingue « Alguien Llama » (Quelqu'un Appelle) (1983, Editorial Argonauta, Buenos Aires, 57 p.) et « Todo El Viento del Mundo » (Tout le Vent du Monde) (2013, Colihue, Buenos Aires, 277 p.). Quelques pièces de théâtre aussi réunies dans « Antologia Poética ».
Plus haut, j'ai fait référence à
Glen Baxter et ses albums. En littérature, je pense plutôt aux deux courts ouvrages de l'anglais
William Ernest Bowman (1911-1985).
Le premier « The Cruise of the Talking Fish » traduit par
Thierry Beauchamp «
L'Expédition du Poisson Parlant » (2013, Editions Wombat, 160 p.), est inspiré de «
L'Expédition du Kon Tiki » de
Thor Heyerdahl (1950, George Allen and Unwin, 256 p.). Véritable introduction nécessaire à tout explorateur en devenir. le terme explorateur s'appliquant aussi bien aux océans continents vierges ou non, voire même aux planètes extrasolaires.
Le second livre « The Ascent of Rum Doodle » traduit par Jean Rosenthal en «
À l'assaut du Khili-Khili » (2010, Editions Wombat, 215 p.). Ce livre est important pour tout novice en alpinisme, car il décrit les préparatifs et l'ascension du mont Khili-Khili, le plus haut sommet de la Terre à 13 000 mètres d'altitude. Un sommet en quelque sorte.