Engagé volontaire durant la Seconde Guerre Mondiale, mais n'ayant jamais réellement participé à des combats avant que celle-ci ne fut terminée, Edward Behr devait pourtant voir sa vie marquée par les guerres coloniales ou plutôt celles qui ont résulté de la décolonisation : Algérie, guerres civiles en Afrique, et Vietnam.
L'ensemble est assez inégal bien que l'humour rageur en soit aussi un fil conducteur au point que l'on se prend un moment à douter du sérieux de l'auteur et même à regretter le défaut d 'analyse que l'on est en droit d'attendre d'un reporter jusqu'à ce que l'on arrive au chapitre Vietnam, sans doute le plus long, mais aussi le meilleur chapitre de ses mémoires. Rien que pour cela il faudrait lire Behr, du Good Morning Vietnam avant l'heure, en noir en blanc.
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Depuis le début de l'engagement américain au Vietnam, les G.I's avaient fait preuve d'un vif enthousiasme pour la marijuana, et les Vietnamiens n'avaient pas mis longtemps à s'apercevoir que la vente de la marijuana était une opération fort lucrative. En 1967, une brume d'odorantes fumées enveloppait comme un impalpable nuage presque toutes les bases d'opérations et les bunkers américains au Sud-Vietnam, avec le consentement tacite de presque tous les officiers. [...) Probablement sur les conseils du Pentagone, les commandants de l’armée américaine commencèrent à publier de sévères mises en garde contre la marijuana, prévenant leurs hommes de ses dangereux effets secondaires. [...] Mais les G.Is continuèrent à fumer, attendirent vainement que les redoutables effets secondaires se manifestent, fumèrent de plus belle et en vinrent pour finir à la conclusion que, sur ce point comme sur tant d'autres aspects de leur vie régie par l'armée, les autorités leur mentaient. Et ainsi, lorsque l’héroïne commença à faire son apparition et que l'armée réitéra, en termes encore plus forts, ses précédentes mises en garde, la réaction de la plupart des G.I's fut une totale incrédulité.
[...] il n'y avait qu'à fréquenter la piscine du cercle sportif de Saigon ou prendre l'avion de Saigon à Paris sur un vol Air France bourré de fils à papa vietnamiens qui finissaient leurs études et qui avaient réussi à échapper à la conscription (Air France avait institué un vol spécial le vendredi soir qui faisait escale à Nice où beaucoup de riches Vietnamiens possédaient une résidence secondaire), pour comprendre que la société vietnamienne était en proie à la corruption et aux injustices de classe. Reste à savoir comment leurs homologues américains se seraient comportés dans les mêmes circonstances. On peut parfaitement soutenir que ce ne fut qu'à partir du moment où les fils de la bourgeoisie américaine - protégés jusque-là lorsqu'ils étaient étudiants par des sursis plus que généreux - devinrent mobilisables pour le Vietnam, que le tout-puissant Establishment américain prit de façon irrévocable position contre la guerre.
[...] je savais que le déploiement de l'énorme machine de guerre américaine, avec toutes ses invraisemblables ramifications technologiques et bureaucratiques, dans un contexte plus "colonial" qu'on ne voulut jamais l'admettre, était un spectacle que je ne reverrais probablement jamais de mon vivant ; c'était un peu comme si j'avais eu l'occasion d'aller voir le dernier brontosaure se déplacer lourdement dans un environnement de plus en plus hostile.
Je ne crois pas que beaucoup de mes collègues aient envisagé la guerre tout à fait sous cet angle. Pas au début, en tout cas. Ils étaient, dans l'ensemble, beaucoup plus jeunes et beaucoup plus arrogants, préoccupés par le côté purement américain de cet engagement militaire, et ils ne se souciaient pas tellement de replacer la guerre dans un contexte plus vaste; ce qui les intéressait par-dessus tout, c'était ce que dans l'argot des G.I's on appelait le "bang bang" ("pan-pan") [...] ils tenaient une chronique quotidienne des péripéties au sein des unités de combat, et - suivant que ces correspondants représentaient des journaux du Texas, de la Californie ou du Maine - ils rendaient compte, en priorité, de la vie journalière de leurs "boys". Ce qui leur manquait, c'était une vision d'ensemble.
Ce jour-là, je tombai sur un G.I qui humait ouvertement de l'héroïne par le canon de son fusil. Je décidai de faire une enquête sur le tas.
"Comment vous sentez-vous ? lui dis-je.
- C'est épouvantable, je ne mange plus, je ne dors plus, et ça fait une semaine que j'ai pas été aux chiottes.
- Alors pourquoi faites-vous ça ? "
Le soldat jeta un regard autour de lui, sur l'étendue rouge de poussière de latérite qui recouvrait tout et sur les hélicoptères qui atterrissaient et décollaient sans lui, et il me dit :
"Je le fais pour me sentir normal".
[...] on racontait qu'en s’appuyant sur la somme impressionnante de renseignements à laquelle il avait accès, le Pentagone avait demandé à l’ordinateur omniscient : Quand gagnerons-nous la guerre ? Et l’ordinateur avait répondu : En 1967. La précaution la plus élémentaire, à savoir qu'on ne peut se fier à un ordinateur que dans la mesure où l'on peut peut faire confiance aux données qu'on lui fournit, semblait être ignorée tant de la Maison Blanche que du Pentagone.
Plateau Raconter
la guerreLe
journaliste, correspondant de
guerre et le cinéaste face à
la guerre : pbs d'éthique. Discussion principalement basée sur l'exemple concret du conflit libanais. Avec la participation de John RANDALL grand reporter à WASHINGTON,
Raymond DEPARDON photographe.
Hervé CHABALIER (jou au matin), Freddy EYTAN jou israélien, Jocelyne SAAB jou Libanaise, Michel HONORIN jou tf1,
Edward BEHR jou...