Quelle pierre cet essai autobiographique apporte-il à l'édifice du polyamour ? Difficile à dire, tant le discours est décousu et autocentré. Quand l'auteur réussit à placer dans l'intro les phrases "Je ne suis toujours pas la femme que je pense qu'il lui faudrait. Mais je suis probablement la seule compagne décente qu'il ait eu dans sa vie." en parlant de son compagnon actuel, on s'interroge... manque de confiance en soi ou mégalomanie qui s'ignore ? Si les interventions des personnes interviewées dans ce livre sont structurées et offrent un certain plaisir de lecture (quoi qu'un peu courtes), ce n'est pas le cas de celles de l'auteur, souvent désordonnées et floues. Son chapitre consacré à la monogamie comme "construction sociale" préfère passer sur le fait que malgré la présence encore très forte de l'Eglise en France au 19ème siècle, chez les aristocrates et même dans la bourgeoisie, être marié tout en ayant une maîtresse ou un amant de façon quasi-affichée était très courant... Les grands absents de ce livre sont l'ex-mari et le compagnon actuel, nous aurions gagné à entendre leurs témoignages et savoir s'ils vivent tout cela aussi bien que leur compagne, sur le plan affectif et logistique. Ils apparaissent au détour de quelques paragraphes, trop peu hélas pour être en cohérence avec la culture de la transparence prônée par l'auteur. Ceci dit, dans les ressources citées en fin d'ouvrage, se trouve un épisode du podcast Transfert où l'auteur et son (désormais ex)mari s'expriment sur leur découverte du polyamour (qui raconte la première histoire annexe de l'auteur). L'écouter a le mérite de montrer une réalité moins jolie, à savoir que tout, absolument tout, tourne autour d'elle : il faut la rassurer, l'écouter, s'adapter à ce qu'elle veut, et on a pas toujours l'impression que la réciproque soit vraie. C'est globalement un livre qui oscille entre un ton geignard (ces nombreuses plaintes sur le fait de sur-performer la maternité et la féminité) et un constant besoin de se valoriser (tout au moins les parties écrites par l'auteur).
Lucile Bellan a récemment dit dans une émission que c'était le manque de ressources sur le sujet du polyamour qui l'avait poussé à écrire ce livre. Rectifions cette information inexacte : en France, La salope éthique est sorti en 2013, le blog Les fesses de la crémière a commencé à publier ses premiers articles sur le sujet dès 2014 (s'il a cessé son activité en 2018,
Audren a laissé son site en ligne ce qui représente des dizaines d'articles fouillés),
Stéphane Rose en a parlé dans
En finir avec le couple, tout comme le Osez le polyamour d'Eve de Candaulie. Et c'est le sujet principal de
Françoise Simpère depuis des années !
Lucile Bellan cite quelques-uns de ces livres dans son texte et sa bibliographie en fin d'ouvrage (sans respecter l'ordre chronologique de parution, pourquoi ?), c'est heureux car dans chacun, il y a beaucoup à puiser, peut-être même plus que dans ce "
Polyamoureuse". La faute à un texte bâclé qui paraît écrit dans l'urgence et sans avoir mûrement été réfléchi. Si les polyamoureux sont les chantres de la liberté à tout crin, ce livre donne, à travers cette expérience de vie singulière dépeinte par l'auteur la sensation d'être face à quelqu'un qui n'a surtout pas réglé de gros problèmes d'ego.