Il n’a jamais été vrai, il ne sera jamais vrai, il ne peut pas être vrai qu’il y ait sur la Terre un intérêt supérieur au mien, un intérêt auquel je doive le sacrifice, même partiel, de mon intérêt ; il n’y a sur la Terre que des hommes, je suis homme, mon intérêt est égal à celui de qui que ce soit ; je ne puis devoir que ce qui m’est dû ; on ne peut me rendre qu’en proportion de ce que je donne, mais je ne dois rien à qui ne me donne rien ; donc, je ne dois rien à la raison collective, soit le gouvernement, car le gouvernement ne me donne rien, et il peut d’autant moins me donner qu’il n’a que ce qu’il me prend. En tout cas, le meilleur juge que je connaisse de l’opportunité des avances que je dois faire et de la probabilité de leur rentrée, c’est moi ; je n’ai, à cet égard, ni conseil, ni leçon, ni surtout d’ordre à recevoir de personne.
Qui dit anarchie, dit négation du gouvernement ;
Qui dit négation du gouvernement, dit affirmation du peuple ;
Qui dit affirmation du peuple, dit liberté individuelle ;
Qui dit liberté individuelle, dit souveraineté de chacun ;
Qui dit souveraineté de chacun, dit égalité ;
Qui dit égalité, dit solidarité ou fraternité ;
Qui dit fraternité, dit ordre social ;
Donc, qui dit anarchie, dit ordre social.
La société est la conséquence inévitable et forcée de l’agrégation des individus. L’intérêt collectif est, au même titre, une déduction providentielle et fatale de l’agrégation des intérêts privés. L’intérêt collectif ne peut être complet qu’autant que l’intérêt privé reste entier, car comme on ne peut entendre par intérêt collectif que l’intérêt de tous, il suffit que, dans la société, l’intérêt d’un seul individu soit lésé pour qu’aussitôt l’intérêt collectif ne soit plus l’intérêt de tous et ait, par conséquent, cessé d’exister.
Il est donc vrai qu’un parti, quel qu’il soit, n’existe et n’est craint que parce qu’il aspire au pouvoir ; il est donc vrai que nul n’est dangereux qui n’a pas le pouvoir. Il est vrai, par conséquent, que quiconque a le pouvoir est tout aussitôt dangereux ; il est, par contre, surabondamment démontré qu’il ne peut exister d’autre ennemi public que le pouvoir.
Il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi du peuple, car quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouve placé, quel que soit l’homme qui en est investi, de quelque nom qu’on l’appelle, le pouvoir est toujours le pouvoir, c’est-à-dire le signe irréfragable de l’abdication de la souveraineté du peuple, la consécration d’une maîtrise suprême.