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EAN : 9782705691578
207 pages
Hermann (22/01/2016)
4.5/5   1 notes
Résumé :
Qu'est-ce qu'un phénomène ? La pensée moderne emploie ce terme avec une forme d'évidence. On se dispute sur ce que sont les phénomènes, mais on ne doute pas qu'il y en ait ni qu'ils constituent un point de départ sur lequel on puisse construire. Ce livre, a travers une mise en perspective historique et conceptuelle globale, remet en question cette évidence. Non pas qu'il rejette la notion de phénomène, mais il essaie de comprendre d'abord de quel type de décision p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un ouvrage qui, à plus d'un titre, éclaire le lecteur sur la nature de la phénoménologie et de ses problèmes. Sans polémique stérile, l'auteur remet en cause, de manière légitime, l'emploi inconditionné du concept de phénomène dans la philosophie moderne et contemporaine : non que le phénomène ne trouve pas sa place dans la philosophie de monsieur Benoist, mais qu'il suppose une norme, un préalable ontologique, à partir duquel le remplissement de l'intention phénoménologique serait envisagé, à partir duquel le « donné » serait rendu envisageable, grammaticalement possible (si toutefois il s'agit véritablement d'une question de « grammaire », comme le considère Benoist, en lieu et place d'une « simple » impasse conceptuelle).

L'axe argumentatif de l'essai se présente dès le premier chapitre. L'argumentaire peut se résumer ainsi :
• Pour que la notion d'apparaître ait un sens il faut une rupture, une surprise : il faut donc une norme d'attente et des conditions qui viendraient instituer le caractère phénoménal et qui ne se confondraient pas avec l'apparaître lui-même
• On ne peut faire de l'exception le principe du normal, au moins sur le plan conceptuel. La non-perception se définit ainsi par la perception. Ainsi la perception, qui constitue alors la normale, n'est pas apparaître.
• Il n'y a donc pas d'apparaître inconditionné en fonction de la « syntaxe ordinaire ». Il y a une norme ontologique à l'apparaître : cette norme s'institue par l'être (Benoist refusera cependant d'hypostasier cette norme).
Ce raisonnement est rigoureux et tout à fait valide. On lui trouvera même une profonde vérité. On pourrait cependant remettre en cause, avec quelque hardiesse, la prémisse selon laquelle le phénomène serait rupture : si l'on considère l'apparaître, et même si on ne saurait appeler apparaître l'être, on doit admettre la possibilité que la norme n'est pas celle que l'on croyait, et que ce qui était tenu pour constance constitue à partir de ce moment-là le véritable phénomène ; on peut aussi considérer que, eu égard à l'être en tant qu'être, l'on a surtout affaire à des possibilités essentielles, et que toute manifestation, y compris une constante, représente, de fait, une rupture du champ apriorique des possibles. Cela manquerait certainement de « naturel » à une lecture imparfaite, mais c'est précisément ainsi qu'opère notre esprit lorsqu'il apprend à objectiver dans son développement.

Si la sophistique revient au refus des normes et à une critique radicale du langage, c'est parce l'être lui-même est coulé dans la grammaire de l'apparaître – ce que, précisément, il ne serait pas en tant qu'instituteur de la norme. Faire du phénomène un absolu, l'unique source d'accès, ce qu'a d'ailleurs aussi fait le positivisme de Comte, serait donc une erreur logique : c'est selon moi tout à fait vrai dans la mesure où il n'y a pas de sens à viser un objet sans objet, et c'est pourquoi il n'est pas question de se contenter de la seule phénoménologie pour obtenir un discours sur le monde en l'absence d'une objectivité préalable, le phénomène n'étant pas de lui-même un fait. Reste selon moi à comprendre que cet être n'est pas un existant, car une norme ne saurait s'instituer si l'on ne pose pas le fait de présence, attesté par la visée même, à partir d'une application effective de la norme, laquelle suggère, pour être appliquée, un substrat sur lequel s'appliquer : l'être ne peut normer quoi que ce soit s'il n'a pas de substrat, et ne peut donc se présenter lui-même comme normateur effectif, et dans ce contexte « réel », sans système d'apparition. Il est visé en étant, pour ainsi dire, déjà posé, mais il faut bien admettre qu'il l'est en tant que possible, et que le possible (d'ailleurs intellectuel par principe) ne se réalise qu'au contact de l'acte d'apparaître. Si la norme procède de l'être et non du paraître, on peut fort bien considérer que l'être, qui n'est pas le réel, s'atteste à travers son paraître, et que la norme gagne ainsi son véritable efficace. On doit même considérer qu'une norme ontologique du paraître extérieure au paraître est déjà posée dans la perspective de la vérification d'un paraître : ainsi, si le « don » se constitue bien en fonction d'une possibilité antérieure, alors il en reste pas moins que cette norme ne s'active qu'en fonction du phénomène. Cette norme se retrouverait alors dans la subjectivité transcendantale, absolue, ce que rejette précisément Benoist. On objectera que cette norme provient alors bien d'un être réel et indépendant : il l'est sans doute dans toute sa « naturalité », mais son existence dépend d'une possibilité absolue d'adéquation entre lui et son apparaître : cette possibilité qui ne dérive pas encore d'une décision extérieure à l'objet implique pourtant ensuite la nécessité d'un sujet possible ou transcendantal en matière d'existence. In fine, il est activé par un acte s'appliquant au phénomène. Ainsi, Benoist a tout à fait raison de critiquer l'emploi inconditionné du concept de phénomène, mais je crois néanmoins que la normation suppose une métaphysique idéaliste.

Avec Husserl, la phénoménologie internalise la normativité dans l'espace alors subjectivisé de la phénoménalité : cela constituerait aussi une erreur selon Benoist, sans objet réel pour la normer, sans possibilité, suite à la réduction phénoménologique, d'éviter la régression infinie. Un tel réalisme est solide, mais s'ouvre selon moi à des objections. En commentant Aristote, Benoist rappelle ceci : la douceur du vin n'apparaît qu'en tant qu'elle est douceur du vin, en tant que simple douceur elle est douceur (et il n'y aurait pas de sens à dire qu'elle apparaît comme douceur). Mais c'est déjà là montrer que la caractéristique de l'objet qui apparaît est dans l'espace de la phénoménalité, qu'en vertu de l'attribution de la caractéristique à cet objet l'apparaissant en tant qu'apparaissant est déjà un être. Dans ce cas, l'être continue à avoir un rôle normatif, et ne cesse pas de se distinguer du paraître, mais cette normation s'effectue, sans relativisme, à même le système d'apparition et de constitution. Seulement, cela suffirait à briser l'immanence de la sphère subjective, à faire projeter une transcendance sémantique. Et c'est précisément déjà, il est vrai, un refus du monopole de la phénoménologie.

Je pense qu'il est bon de conclure par la critique de Jean-Luc Marion par monsieur Benoist, plus précisément de la conception du « phénomène saturé » : il n'y aurait pas d'excédant de la signification sur l'intuition, mais impossibilité pour la signification de fonctionner comme norme d'un donné : elle n'est pas au-delà, mais en-deçà, là où on ne peut constituer une possibilité d'être donné. C'est l'intuition qui aurait quelque chose en plus : l'intention ne constitue rien par elle-même. Je crois au contraire que l'intuition peut manquer, que cela n'est en rien agrammatical : on applique l'intention à une intuition, mais rien n'interdit, dans l'acte de normation lui-même (auquel échappe probablement le phénomène saturé, phénomène typiquement esthétique), que le normé prenne une autonomie (ce qui ne serait, sans doute, pas propre au phénomène saturé), parce que l'apparaitre ne se soumet à la norme ontologique qu'en ce qu'y regarde sa manifestation générale, c'est-à-dire qu'elle n'est là qu'initialement. En visant l'objet, même si celui-ci est constitué en tant que préalable, il se peut tout à fait que se manifestent subjectivement du sens supplémentaire : ce sens échappe alors au réquisit de la véracité, mais il reste un contenu. Alors, pour comprendre ce phénomène, il faudra nécessairement en sortir : et là, de retour dans la pleine normalité ontologique, on le comprendra sans le vivre.
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Vidéo de Jocelyn Benoist
Le 22 avril 2022 a été organisée une table ronde autour du livre de David Zapero, La forme de la règle. Kant, l'éthique et la subjectivité (Vrin, 2021, collection « La vie morale »), en présence de l'auteur.
La discussion s'est tenue dans les locaux de la librairie Vrin et simultanément en vidéoconférence. En voici quelques extraits.
(Nous nous excusons par avance pour la qualité insuffisante de la vidéo, réalisée a posteriori à partir de l'enregistrement de l'événement en direct.)
En présence de : - David Zapero, chercheur du département de philosophie de l'Université de Bonn (0:21-12:10) - André Charrak, professeur des Universités en philosophie à l'Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne (12:14-15:51) - Jocelyn Benoist, professeur des Universités en philosophie à l'Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne (15:52-18:39) - Alex Englander, chercheur du département de philosophie de l'Université de Bonn (18:40-20:01) - Monika Betzler, professeure à l'Université de Munich, chaire de philosophie pratique et éthique (20:01-21:11) - Jens Rometsch, maître de conférences à l'Université de Bonn.
Crédits : Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne Centre de philosophie contemporaine EXeCO, avec le soutien de l'Institut universitaire de France et de l'IRP RPRCT.
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