Lenteur
Chaque nouvelle étape permet d’apercevoir ce qui n’était pas encore visible ; ce qu’aucun projet n’aurait pu définir. Le projet était nécessaire pour commencer, pour avoir ce courage, fait de naïveté et de croyance. Tout sera oublié en chemin, sauf à devenir l’obstacle qui interdit la découverte, la chance qui se présentera. Une fois fini, le tableau est cette réalité qui a séché tous les possibles. Une parole à demeure, une pensée bâtie. Il pousse à son comble le paradoxe de toute parole puisqu’il est fait de terre (des pâtes colorées) et qu’il est en même temps insaisissable et m’invite à parler sans espoir de le rejoindre.
Parole
J’emploie ce mot comme une recherche de sens ouverte aux autres. Comme le sont l’échange des mots ou des sons (mais cette fois il s’agit de couleurs). Pour insuffler mes chimères, les transférer à quelque chose de visible où elles demeurent, posées entre nous.
Rouge-gorge
J’écoute ce soir encore le chant d’un rouge-gorge dans un buisson déjà presque englouti par la nuit (cet habitant de l’hiver vient maintenant nicher chez nous). Je l’entends aussi depuis l’autre bout de ma vie. Rien n’a changé du vivant mélancolique qu’il éveille en moi. Je suis devant ce chant comme devant la peinture, avec le même corps criblé par les points sensibles d’une longue mémoire. L’éclosion d’un sixième sens, peut-être ? Valéry de retour de Hollande, parle à propos de Rembrandt et Wagner, de l’ombre de l’ouïe, une vision, une écoute recueillies en énigme dans ces « régions distraites et sans défense de l’âme sensitive » qui ne sont pas tournées vers l’action, mais vers des « pressentiments, des attentes, des commencements indéfinissables ». Je ferais volontiers de ces mots le titre de mes tableaux.
Jean-Louis Bentajou
(Retouches, 2015 - extraits, pp.151-159)