Tragique, en vérité, est la situation du philosophe : il a le monde presque entier contre lui. Tout au long de l’histoire de la civilisation, et des côtés les plus divers, se manifeste de l’hostilité contre la philosophie. Elle est la partie la moins défendue de la culture. Sa possibilité même est sans cesse remise en question ; et chaque philosophe est obligé de commencer par la défendre, par en montrer le droit et la valeur. Les attaques dont elle est l’objet viennent d’en haut et d’en bas : la religion est son ennemie, la science est son ennemie. Elle ne jouit à aucun degré de ce qu’on appelle le prestige de la popularité, et jamais le philosophe ne donne l’impression qu’il s’acquitte d’une « commande sociale ».
Aucun philosophe, certes, ne dispose que d’un horizon étroit ; la plénitude de l’être ne lui est pas octroyée ; il ne lui est pas donné de recevoir la lumière totale, et c’est ce qui détermine les divergences entre les courants philosophiques. Sur chaque conscience la lumière ne laisse tomber que quelques-uns de ses rayons ; et de l’originel, le philosophe n’aperçoit que ce qui lui est découvert. En dehors de cela, il n’y a que remaniement d’idées reçues, apports livresques, quand il y a encore quelque chose. Derrière toute philosophie se cache le tourment de la vie, du Sens, de la destinée ; et la philosophie est avant tout doctrine de l’homme, la doctrine de l’homme intégral par l’homme intégral.
On voit l’originalité de cette philosophie existentielle de Heidegger et de Jaspers, tragique et pessimiste parce qu’elle met l’homme devant l’abîme. Tandis que presque toute la philosophie moderne, de Descartes et des cartésiens par Kant et les néo-kantiens aux positivistes, qui était sous la dépendance du développement scientifique et de ses découvertes, renfermait une forte dose de naturalisme, la philosophie de l’existence le surmonte. C’est là son grand et indiscutable mérite ; mais, comme elle le tient de Kierkegaard, son originalité s’en trouve affaiblie et elle renvoie à ce qu’il pensait lui-même.
On confond souvent connaissance et rationalisation, parce que la rationalisation tient souvent une large place dans la connaissance ; c’est un tort, car la rationalisation non seulement objective et aliène, mais en outre elle mène au général au lieu de servir la communion et la participation. On a plus d’une fois signalé que ce qu’il y a d’individuel et de singulier dans l’être échappe à la connaissance rationalisée. Si, comme nous l’avons vu, l’objectivation est désunion, cette désunion se vérifie dans la généralité même.
L’être du philosophe, son immersion au sein de l’existence précède son activité de connaissance ; et c’est à l’intérieur de son être, à l’intérieur de l’existence du philosophe lui-même que cette activité s’exerce. Ce n’est pas par le néant que le philosophe peut commencer ; la philosophie ne peut séparer, exiler le philosophe de l’être, car elle ne lui permet pas de déduire l’être de la connaissance et il ne peut que dériver la connaissance de l’être.
« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père », déclare le Christ dans l'évangile de Jean. Si les différentes Églises chrétiennes ont fondé des traditions dissemblables, leur dessein est cependant de s'unir en Dieu.
Retraçant l'aventure oecuménique à travers ses grandes figures, dates et étapes, Antoine Arjakovsky montre comment, par-delà la réunion des baptisés, elle permet d'envisager et d'appréhender la nécessaire convergence entre les croyants du monde entier. Prenant appui sur Nicolas Berdiaev, John Milbank, mais aussi Emmanuel Levinas ou Abdennour Bidar, reprenant l'esprit de rapprochement entre les Églises chrétiennes initié en Europe au XXe siècle et de la rencontre interconfessionnelle d'Assise en 1986, il dessine une voie de conciliation entre chrétiens, juifs, musulmans mais aussi hindouistes et bouddhistes, afin de dégager une conception de l'oecuménisme plus juste, plus vraie, plus paisible et plus respectueuse de l'environnement à l'échelle planétaire. Il y parvient en proposant une science nouvelle fondée sur une métaphysique résolument oecuménique.
Une profession de foi en l'espérance.
Fondateur en 2004 à Lviv, en Ukraine, du premier Institut d'études oecuméniques en ex-URSS, directeur de recherche au Collège des Bernardins, enseignant de science oecuménique à l'Institut chrétiens d'Orient et président de l'Association des philosophes chrétiens, Antoine Arjakovsky est l'auteur, entre autres, de Qu'est-ce que l'orthodoxie ?
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