J'ai tout de suite accepté la lecture du dernier roman d'
Anne Berest proposée par Masse Critique, «
Sagan 1954 » aux éditions Stock, car je trouvais le sujet du livre particulièrement intéressant : raconter
Sagan, auteure que j'apprécie, l'année 1954, l'année qui précède la légende. Et bien, je n'ai pas été déçue car c'est plus que ça. Ce n'est pas seulement bien ou agréable mais c'est exactement le genre de livre qui me fait aimer la lecture.
C'est le premier livre d'
Anne Berest que je lis et la découverte de cette auteure m'enchante. Je ne sais pas si ça se fait mais j'ai envie de comparer ce roman à ceux de
Colombe Schneck ou
Anne Wiazemsky. Ce sont des jeunes femmes qui savent rendre hommage à des artistes contemporains (
Jean-Luc Godard, Denise Glaser par exemple) tout en témoignant de l'époque actuelle car elles savent faire le parallèle avec leurs états d'âme sans confondre le passé et le présent. J'adore ce genre de roman qui alterne les personnages et les époques, l'autofiction et la biographie romancée. Et puis,
Anne Berest a eu l'ingénieuse idée d'illustrer son livre avec cinq photos de Françoise enfant ou
jeune fille.
Sagan 1954, c'est une histoire plus qu'un roman, comme l'écrit
Anne Berest.
Mais c'est d'abord l'histoire d'un roman et de l'entrée d'une
jeune fille en littérature.
Plutôt que d'écrire une biographie de
Françoise Sagan,
Anne Berest se concentre sur l'année 1954, elle choisit donc une tranche de vie, l'année de publication du premier roman de la jeune Françoise Quoirez, 18 ans, «
Bonjour tristesse ». 1954, c'est le premier roman et c'est aussi le choix du nom de plume «
Sagan » en référence à
Proust et cela lui plait beaucoup à Françoise de prendre un pseudonyme parce que tous les écrivains qu'elle admire en ont notamment
Paul Eluard à qui elle a emprunté le titre de son roman. Elle se marie donc avec la littérature et le moment est très émouvant même s'il est jubilatoire, comme toutes les histoires d'Amour. Et puis, c'est aussi la rencontre avec les grands, surtout Colette, qu'elle admire et
Marguerite Duras qui l'invite à diner avec sa copine Florence
Malraux.
C'est aussi une histoire d'amitié.
Anne Berest donne de l'importance à ceux qui entourent Françoise où qui sont présents cette année 1954 et d'ailleurs, toutes les références (quelles soient littéraires, politiques, géographiques…) permettent au lecteur d'être connectée à son époque. Son amie Florence
Malraux va l'accompagner dans sa jeunesse et ne jamais la quitter, même si elles sont très différentes elles s'entendent à merveille et cette complicité n'est pas pour rien dans le succès de Françoise, la désinvolte. Les jeunes filles de l'année 1954, Florence et Françoise, sont en train de grandir, elles font leur éducation sentimentale, et le lecteur s'attache à ces femmes naissantes.
C'est également une histoire de génération.
Présentée par
Anne Berest, Françoise est aussi dans le miroir d'une autre génération : celle de ses parents bourgeois et originaux avec qui elle entretient des rapports peu classique qui est aussi celle de René Julliard, son éditeur, celui qui, grâce à ses collaborateurs, a cru en elle a la première lecture et qui la préparera à la sortie de «
Bonjour tristesse » en librairie le 15 mars 1954, et celle de grands auteurs, plus âgés, comme ceux du jury du prix des critiques qui vont lui tenir la main pour l'encercler dans une ronde et la couronner « peut-être par défi ou provocation ».
Et puis le rapport à
l'amour inter-génération se traduit aussi dans le rapport amoureux d'Anne Barest qui va rencontrer un homme plus jeune qu'elle et nous allons voir naitre une histoire d'amour en lien avec l'écriture du livre. Il y a donc un parallèle entre l'histoire de Françoise et celle d'Anne, mais l'auteure est à sa place, aujourd'hui en train d'écrire un livre, elle ne se prend pas pour
Sagan, elle s'en imprègne et elle le fait avec modestie.
C'est enfin une histoire de lieux.
Anne Berest est comme possédée. Elle s'imprègne des lieux pour son travail tout en continuant à vivre son histoire personnelle. Elle se promène dans Paris et on la devine cheminant sur le pont des arts, guidée par une personne qu'elle admire. Les lieux incarnés représentent une sorte de connexion entre le passé et le présent.
Le regard affûté d'
Anne Berest nous fait aussi aimer d'autres paysages admirés de Françoise, celui de Carjac, les Causses du Lot, domaine où elle est née mais aussi la côte d'azur où elle passe ses vacances et qui est le cadre de «
Bonjour tristesse ».
Ce qui est bien avec ce livre, c'est qu'il se lit vite mais que le plaisir dure longtemps. La force de «
Sagan 1954 » est que l'auteure parle peu du livre-sujet «
Bonjour tristesse » ou de son écriture (juste quelques citations) mais qu'elle donne envie de le lire ou de le relire. On peut aussi jouer les prolongations avec tous les autres livres en référence et les auteures de l'époque. Une époque marquée par l'innovation littéraire (je pense en particulier au nouveau roman) où une
jeune fille de la bourgeoisie a choisi sa vie et a pris un ton résolument moderne, sans tabou, traduisant sa liberté de penser qui sera parfois considéré comme scandaleuse. C'est, en quelque sorte, un livre sur l'émancipation d'une femme.
Alors, quand
Anne Berest écrit que le livre refuse de se finir, simplement parce qu'elle n'en a pas envie, moi non plus je ne voulais pas me séparer de Françoise, ni de «
Sagan 1954 » et j'ai fait durer mon plaisir de lecture au maximum en lisant lentement pour en apprécier toute la saveur.