À travers ce livre, les auteurs se livrent à une réflexion sur le fait d'apprendre et de transmettre et remettent en cause la maïeutique issue des années 70 où l'élève « devait être au centre du projet éducatif » et où tout devait partir de sa propre expérience. Mais quel contenu transmettre alors ? Depuis
Yvan Illich et sa « société sans école » où l'institution était vue comme aliénante, jusqu'à Piaget ou Vygotski, la façon de transmettre des savoirs a subi bien des vicissitudes.
D'abord à quoi « sert » cette transmission ? Pourquoi, en gros les enfants doivent-ils aller à l'école ? On remet tout à plat :
« Il y a transmission dans les sociétés humaines parce qu'elles sont historiques, et que le transfert des acquis, d'une génération à l'autre est, pour toute société, la condition de survie dans le temps. »
Deux écoles s'opposent donc dans cette façon de transmettre. Celle qui pense que la connaissance individuelle doit s'acquérir à l'instar de l'évolution de l'humanité, la théorie évolutionniste qui consiste à valoriser l'enfant qui se construit par rapport à la nature et essaie de trouver le bon geste ou la bonne solution. Mais cette théorie a pour inconvénient d'individualiser l'enfant qui ne se projette pas forcément dans une société et son histoire et n'accepte pas l'autorité puisqu'il estime qu'il n'y a « rien avant ni au-dessus de lui. A celle-ci s'oppose (ou plutôt devrait se compléter) l'idée du maître tout-puissant qui inculque un contenu pas forcément compréhensible.
Derrière ces belles idées, il y a aussi le dénigrement de l'école qui semble ne plus jouer son rôle mais aussi, les auteurs montrent combien le rôle des parents –si besoin était- est essentiel :
« le mathématicien
Laurent Lafforgue, revenant sur son parcours scolaire après l'obtention de la médaille Fields, dit à quel point l'adhésion sans réserve de ses parents à l'institution scolaire lui a permis de trouver du sens aux apprentissages, même quand leur « utilité » n'était pas perceptible. »
On pourrait reprocher aux auteurs de tirer leurs exemples de l'exception mais on notera l'idée d' « utilité » perceptible en repensant à Colette qui lisait
Balzac à sept sans tout comprendre et s'appropriait des mots comme « presbytère ». :
« …certains parents pratiquent devant leurs enfants ces jeux de mots et calembours dont les petits sont friands. Tout en les amusant, ils les initient ainsi à la prise de distance avec les unités du langage, lettres, mots et sons, ce qui suppose un énorme travail d'abstraction par rapport au flux de l'oral, et qui, de plus, anticipe sur les attendus scolaires en matière d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. »
Au savoir apparemment « inutile » s'est substitué un savoir qui se voudrait « utile » puisqu'il faudrait que tout soit clair et compréhensible dès le départ. le statut du maître en prend un coup alors qu'il reste le rouage essentiel de tout apprentissage qui demande de l'effort –aspect assez occulté de l'éducation, surtout depuis « le sacre de l'apprenant » :
« le maître est très exactement celui qui ne se contente pas d'être au-dedans, mais qui sait ce que veut dire être au-dehors, et qui, de ce fait, est en mesure d'assurer le passage, de dissiper l'étrangeté, de fournir la clé de déchiffrement des idiomes cryptés, de rendre intelligible ce qui se présente de l'extérieur comme un système opaque, bouclé qu'il est sur lui-même. »
Enfin en opposant deux conceptions radicalement différentes –Piaget et Vygotski –on montre que la théorie « évolutionniste » a ses limites et qu'à un moment donné, il faut transmettre de la connaissance, ne serait-ce que la difficulté d'écrire.
« Vygotski tient à montrer que l'un ne peut aller sans l'autre : l'apprentissage des fonctions psychiques supérieures, écriture et concepts scientifiques en premier lieu, ne put se faire que dans le cadre de l'enseignement scolaire et avec la médiation des adultes. Telle est sa première idée-force. »
L'ouvrage se termine par des considérations plus ou moins inactuelles sur l'apprentissage à l'heure d'internet où encore une fois –bien que cela soit devenu un truisme – le maître est celui qui dirige les recherches, sait et apprend à faire le tri.
Ce genre de livre devient nécessaire et remet un peu les pendules à l'heure dans cette époque où l'éducation est devenue un peu un fourre-tout et l'école responsable ou en tout cas éponge de tous les maux. Quand on regarde un peu honnêtement de l'intérieur comme de l'extérieur, le contenu des apprentissages, on a de plus en plus l'impression d'avoir soit affaire à des produits allégés, soit d'un concentré impossible à traiter. Un juste milieu est toujours possible. Personnellement, je deviens de plus en plus réactionnaire en ce qui concerne le système éducatif français. Peut-être est-ce l'âge.
Anecdote savoureuse : j'ai lu ce livre juste après « Eddy Bellegueule » d'
Edouard Louis. J'ai ensuite appris la polémique récente– à mon sens ridicule- qui l'a opposé à
Marcel Gauchet, un des auteurs de ce livre. Me voilà rassuré sur mon éclectisme !